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MOLIÈRE : Les Fourberies de Scapin (Dossier pédagogique)

Publié le 17/01/2022

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Les Fourberies de Scapin font partie de la toute dernière période de la carrière de Molière. De 1663-1664 à 1670, Molière s'est affirmé comme le maître incontesté de la scène comique, donnant à sa production dramatique deux directions qui correspondent à la fois à sa conception de la comédie et à sa position privilégiée d'ordonnateur des fêtes royales. Le Misanthrope en 1666, L'Avare en 1668, Le Tartuffe en 1669 ont jalonné les diverses étapes d'une carrière marquée par les succès, mais aussi par les luttes pour imposer, face à des groupes de pression multiples, la « grande comédie », capable de toucher à tous les sujets, y compris — la querelle du Tartuffe l'a montré — aux plus sérieux et aux plus délicats. Dans les mêmes années, depuis la fête des Plaisirs de Vile enchantée en 1664, où il a donné à Versailles La Princesse d'Élide, Molière est devenu le fournisseur attitré des divertissements de cour, comédies-ballets, pastorales, fantaisies à machines. Le couronnement de ce théâtre à grand spectacle a été constitué, en janvier 1671, par la création de Psyché, donnée aux Tuileries, dans la grande salle des machines. La collaboration Molière-Lully y a atteint son apogée, et l'ampleur de l'entreprise, son budget impressionnant, ont marqué le point d'aboutissement d'un théâtre conçu comme une véritable fusion des arts : poésie, musique, danse.

« Arnolphe, qui veut se réserver la jeune fille pour son propre compte, avec Harpagon, qui a lui-même des visées demariage, ou avec Tartuffe, qui vise à la fois la fille, la mère et les biens de la maison) donne ici à l'obstacle paternelvaleur pleine et entière.

Le schéma dramatique des Fourberies paraît comme une épure de la comédie d'intriguefamiliale : c'est la volonté des pères contre l'amour des enfants avec, au milieu, les menées d'un valet rusé qui tiententre ses mains le sort des protagonistes.

L'interprétation que l'on donne de la pièce repose donc tout entière surl'interprétation que l'on donne du personnage central, axe et moteur de la comédie.

On peut suggérer, sur ce point,plusieurs directions possibles 1.

Lecture dramatiqueEn Scapin convergent deux rôles à forte coloration comique : le valet et le fourbe.

A cet égard, le personnagetraduit une évolution en profondeur des formes comiques au cours du siècle : entre 1635 et 1651, seuls dixserviteurs apparaissent comme des personnages de premier plan sur cinquante-quatre comédies connues.; de 1652à 1673, cinquante serviteurs tiennent le premier rôle sur cent soixante et onze comédies répertoriées.

Or cette partcroissante prise par le serviteur s'accompagne d'un changement de nature du personnage : du valet balourd etgrotesque à l'espagnole, on passe au serviteur actif et rusé à l'italienne.

Cette évolution du rôle et du caractère duvalet de comédie place Scapin dans un mouvement général et en fait l'aboutissement d'une tendance qui fait duvalet la cheville ouvrière de l'intrigue comique.

Scapin est ainsi à situer dans un courant qu'avant lui ont illustré desdevanciers célèbres, comme Turlupin ou Philippin, et qui après lui va se radicaliser encore, avec le triomphe du valetintrigant à l'allure inquiétante qu'est le Frontin du théâtre de Dancourt et, surtout, de Lesage. 2.

Lecture sociologiqueOutre le fait que cette primauté prise par le valet serait à mettre en relation avec certains mouvements quiaffectent la société d'Ancien Régime dans son ensemble, et notamment dans sa composante bourgeoise, lesquelsentraînent des modifications dans le statut social des serviteurs, une approche plus globale du rôle de Scapin peutdégager dans le personnage certaines valeurs fondamentales.

On peut considérer que le rôle de Scapin estd'affirmer, face à la tyrannie des pères, la liberté contre la contrainte, l'amour contre la loi sociale, la nature (liée auplaisir) contre la société bourgeoise et ses valeurs (liées à la possession).

Ramenée à la seule perspective sociale,cette revanche du faible sur le fort, du dominé sur le dominant permet de voir déjà en Scapin la figure emblématiquedu valet subversif, dont Figaro, un siècle plus tard, fera exploser toute la force révolutionnaire.

Envisagé dans uneautre optique, plus philosophique, on peut voir aussi en Scapin le triomphe du naturalisme de Molière, défini non pascomme un juste milieu, un bon sens à tonalité bourgeoise, mais au contraire comme une confiance accordée à la loinaturelle du plaisir.

Sur ce plan, Scapin, en tant que valet, homme du peuple, hérite bien du sens de la railleriepopulaire ; mais, en tant que génie de la ruse, roi des fourbes, constamment au-dessus des contingences, ilparticipe aussi de cet esprit noble et fortement teinté de libertinage qui animait déjà Don Juan.

3.

Lecture psycho-critiqueScapin, ce peut être aussi « la fantaisie de triomphe », en ce sens qu'il prend la place de Léandre et d'Octave, qu'ilse substitue aux fils pour assurer leur victoire sur l'autorité des pères et tout ce qu'elle représente (argent, loi, ordresocial), sans que la dignité, sociale et morale, des enfants souffre de ce renversement.

Il est, en ce sens-là, unhéritier du rôle du « fou », lié au carnaval et qui, le temps de la fête, consacre le triomphe de l'inversion du monde,permettant aux faibles de l'emporter sur les puissants.

On notera, à ce propos, que la bouffonnerie domestique cèdele pas à la bouffonnerie des tréteaux précisément au xviie siècle : les fous de cour font place aux farceurs du Pont-Neuf, et Scapin, héritier de Turlupin, peut être considéré comme l'avatar moderne de la figure du bouffon.

Figure àtravers laquelle il exprime, de façon plus générale, une autre forme emblématique : celle du « Sauveur », héros quasidivin, qui tient d'ailleurs du Ciel ses talents.

Il incarne le rêve de puissance qui est au coeur de l'humanité.

Sorted'archétype, il traduit la nostalgie du surhomme, qui triomphe de tout, y compris de la défaite : si le dénouementraccommode fils et pères en dehors de lui, il n'en reste pas moins que c'est lui qui a le dernier mot — ce dernier motqui, par une ultime pirouette, au moment même où il affirme sa mort (« en attendant que je meurs »), consacre sonéternité, puisqu'il se relève comme un beau diable et triomphe de cette mort à laquelle il semblait promis.

4.

Lecture psychanalytiqueScapin est lié à la jeunesse, à l'amour, au désir, au risque, à l'aventure, au courage.

Contre lui, et toutes cestendances, s'élève la figure du Père et de l'Interdit.

Si l'on applique à cette situation les schémas freudiens de lapremière topique, l'image du conflit oedipien peut faire voir en Scapin la projection de l'inconscient filial, les diversesfourberies — et notamment la scène du sac, qui voit Géronte roué de coups se plaindre d'être « assassiné » —représentant à leur façon le meurtre du père.

Mais c'est plutôt le schéma de la seconde topique freudienne qui serévèle riche d'applications au personnage de Scapin, dans l'opposition qu'elle établit entre le principe de plaisir (le «ça ») et le principe de réalité (le « surmoi »).

Avec Scapin, le ça expulse le surmoi, renoue avec l'enfance originellenon marquée par l'influence parentale.

Les rires enfantins qui ponctuent les coups donnés sur le dos de Gérontetraduisent le triomphe du principe de plaisir, marqué par la nostalgie de cet âge d'or qu'est l'enfance, le théâtreétant lui-même le lieu du plaisir, de la fête, face au monde de la réalité.

La stylisation de Scapin comme héros dethéâtre par excellence lui donne une profondeur de sens qui est celle du théâtre lui-même.(Voir, sur les principes de plaisir et de réalité, Freud, Essais de psychanalyse, Payot, 1970.). »

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