NE PAS CALOMNIER
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
1. Lecture - La ficelle.
Maître Hauchecorne se dirigeait vers la place du Marché quand il aperçut par terre un petit bout de ficelle... Econome, il pensa que tout était bon à ramasser qui peut servir. Il prit par terre le morceau de corde mince, et il se disposait à le rouler avec soin quand il remarqua, sur le seuil de sa porte, maître Malandain, le bourrelier, qui le regardait. Ils étaient fâchés. Maître Hauchecome fut pris d'une sorte de honte d'être vu ainsi par son ennemi. Il cacha brusquement sa trouvaille sous sa blouse et s'en alla. Après le marché, le crieur public annonça : « Il a été perdu ce matin un portefeuille en cuir noir contenant cinq cents francs et des papiers. On est prié de le rapporter à la mairie ou chez maître Houlbrèque. « Peu après parut le brigadier de gendarmerie : « Maître Hauchecorne, dit-il, monsieur le maire voudrait vous parler... « Le maire l'attendait, assis dans un fauteuil... « Maître Hauchecorne, on vous a vu, ce matin, ramasser le portefeuille perdu par maître Houlbrèque. — Moi, moi, j'ai ramassé ce portefeuille ? — Oui, vous-même. On vous a vu. — On m'a vu, moi ? Qui m'a vu ? — M. Malandain. « Alors le vieux comprit et, rougissant de colère : « Ah! il m'a vu ! Tenez, monsieur le maire, il m'a vu ramasser cette ficelle-là. « Et, fouillant au fond de sa poche, il en retira le petit bout de ficelle. Mais le maire, incrédule, remuait la tête... Le lendemain, un valet de ferme rendait à maître Houlbrèque le portefeuille et son contenu. Il l'avait trouvé sur la route. Maître Hauchecorne triompha et conta son aventure à tout le monde. Mais on avait l'air de plaisanter en l'écoutant... Et un jour, au cours d'une conversation, on lui dit : « Il y en a un qui trouve et un autre qui reporte... « Le paysan resta suffoqué. On l'accusait d'avoir fait reporter le portefeuille par un complice. Il voulut protester. On lui rit au nez. Il s'en alla au milieu des moqueries, honteux et indigné, étranglé par la colère... Son innocence lui apparaissait comme impossible à prouver. Il se sentait frappé au coeur par l'injustice du soupçon... Vers la fin de décembre, il s'alita. Il mourut dans les premiers jours de janvier, et, dans le délire de l'agonie, il attestait son innocence, répétant : « Une petite ficelle.., une petite ficelle.., tenez, la voilà, m'sieur le maire. « Adapté de Guy DE MAUPASSANT - Miss Harriett. Albin Michel