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NE PAS CALOMNIER

Publié le 11/10/2010

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Lecture - Le ruban volé.

Beaucoup d'autres meilleures choses étaient à ma portée ; ce ruban couleur de rose et argent seul me tenta ; je le volai ; et, comme je ne le cachais guère, on le trouva bientôt. On voulut savoir où je l'avais pris. Je me trouble et enfin je dis en balbutiant que c'est Marion qui me l'a donné. Marion était une jeune cuisinière, bonne fille et d'une fidélité à toute épreuve. C'est ce qui surprit quand je la nommai. L'on n'avait guère moins de confiance en elle qu'en moi, et l'on jugea qu'il importait de savoir lequel était le fripon des deux.

On la fit venir : l'assemblée était nombreuse. Elle arrive : on lui montre le ruban. Je la charge effrontément ; elle reste interdite, se tait, me jette un regard qui aurait désarmé les démons et auquel mon coeur résista. Elle nie enfin avec assurance, mais sans emportement, m'exhorte à ne pas déshonorer une fille innocente qui n'a jamais fait de mal ; et moi, avec une impudence infernale, je confirme ma déclaration et lui soutiens en face qu'elle m'a donné le ruban. La pauvre fille se mit à pleurer. Elle continua à se défendre avec autant de simplicité que de fermeté, mais sans se permettre contre moi la moindre invective. Cette modération, comparée à mon ton décidé, lui fit tort. Il ne semblait pas naturel de supposer d'un côté une audace aussi diabolique, et de l'autre une aussi angélique douceur... On nous renvoya tous deux en disant que la conscience du coupable vengerait assez l'innocent...

J'ignore ce que devint cette victime de ma calomnie, mais il n'y a pas d'apparence qu'elle ait après cela trouvé facilement à se bien placer. Ce souvenir cruel me trouble quelquefois et me bouleverse au point de voir, dans mes insomnies, cette pauvre fille venir me reprocher mon crime, comme s'il n'était commis que d'hier.

D'après J.-J. ROUSSEAU - Confessions, livre II.

 

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