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VAINCRE LA PEUR DE TOMBER

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

1. Lecture - Quand même.

(Après un accident, Pierre, guide montagnard, a le vertige. Mais il veut vaincre sa peur.)

... Il lui faut maintenant traverser la paroi dans toute sa largeur... Redoublant de précautions, Pierre s'efforce de ne plus penser au vide qui se creuse déjà très profondément sous lui... Une pierre qu'on lâcherait d'ici ferait cinq cents mètres sans toucher le sol.

Pierre regarde machinalement et sans le voir le magnifique panorama de cimes et de glaciers dont il n'est séparé que par ce gouffre bleuté où gronde le torrent ; son esprit est ifiquiet, son âme oppressée.

Il faut, pour atteindre la fissure, franchir un pas très long, juste au-dessus de l'à-pic vertigineux. Combien de débutants ont hésité à ce passage ! Pierre le sait, et voici qu'il avance en tremblant; son destin va se jouer. Il essaie de se pencher pour atteindre l'autre bord de ce puits sans fond ; mais il se sent peu à peu attiré violemment par tous ces abîmes... Il lui semble que s'il venait à tomber, son corps roulerait sans s'arrêter de mille cinq cents mètres de hauteur jusqu'aux premières prairies, là-bas, sous la forêt...

Il est là, hésitant, prêt à fuir. Il se raisonne tout haut : « Qu'est-ce que tu attends ? Tu l'as fait vingt fois, ce passage ! Une simple enjambée, tu te penches en avant, tu t'accroches, et ça y est ! Allons ! Vas-y. «

Il se penche, fléchit les genoux, va prendre son élan, mais au dernier moment, tout son être hésite ; c'est comme si une force occulte le retenait sur cette terrasse. Il tend les bras, impuissant à se décider à basculer en avant : au contraire ! Le coeur lui monte aux lèvres, il se rejette en arrière. Couché à plat ventre sur les pierres chaudes, il sanglote maintenant comme un gosse.

« Accroche-toi ! Accroche-toi ! murmure une voix intérieure. Il faut combattre, Pierre ; il faut lutter ; allons ! saute !... «

Ceux qui le verraient ainsi le prendraient pour un fou. Il l'est peut-être d'ailleurs! Ne ,parle-t-il pas tout haut comme s'il s'adressait à un voyageur ?

« Restez là, monsieur, dit-il ; ce n'est rien, un tout petit passage... une seule enjambée d'un mètre ; vous faites bien une enjambée d'un mètre en temps normal, alors il n'y a qu'à vous imaginer que vous êtes sur un trottoir, c'est exactement pareil. D'ailleurs, vous allez voir, j'y vais !... «

Fermant les yeux, il s'est au hasard basculé dans le vide ; ses mains heurtent la paroi d'en face et le voici suspendu, les reins arc-boutés, au-dessus du néant. Il n'ose plus ouvrir les yeux... Ses ongles grattent la roche ; sous l'effort, ses pieds dérapent. Quel soulagement lorsque sa main gauche rencontre une faible prise !... Il est maintenant suspendu d'une seule main sur l'abîme... Il sait que s'il tourne par malheur son regard vers le bas, il lâchera. Alors, rassemblant ses forces, il colle son corps à la roche comme le ferait un débutant ; la fatigue l'envahit, son bras gauche se distend, ses phalanges cèdent et le voici qui crie de peur, sentant qu'il va lâcher.

Non ! La main droite a palpé une prise... Dans un dernier réflexe, il se détend, se rétablit... Il est sauvé !

D'après R. FRISON-ROCHE - Premier de cordée. Arthaud

 

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