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Alain, Propos sur le bonheur: l'art d'être heureux

Publié le 23/09/2010

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Art du bonheur On devrait bien enseigner aux enfants l'art d'être heureux. Non pas l'art d'être heureux quand le malheur vous tombe sur la tête ; je laisse cela aux stoïciens ; mais l'art d'être heureux quand les circonstances sont passables et que toute l'amertume de la vie se réduit à de petits ennuis et à de petits malaises. La première règle serait de ne jamais parler aux autres de ses propres malheurs, présents ou passés. On devrait tenir pour une impolitesse de décrire aux autres un mal de tête, une nausée, une aigreur, une colique, quand même ce serait en termes choisis. De même pour les injustices et pour les mécomptes. Il faudrait expliquer aux enfants et aux jeunes gens, aux hommes aussi, quelque chose qu'ils oublient trop, il me semble, c'est que les plaintes sur soi ne peuvent qu'attrister les autres, c'est-à-dire en fin de compte leur déplaire, même s'ils cherchent de telles confidences, même s'ils semblent se plaire à consoler. Car la tristesse est comme un poison ; on peut l'aimer, mais non s'en trouver bien ; et c'est toujours le plus profond sentiment qui a raison à la fin. Chacun cherche à vivre, et non à mourir ; et cherche ceux qui vivent, j'entends ceux qui se disent contents, qui se montrent contents. Quelle chose merveilleuse serait la société des hommes, si chacun mettait de son bois au feu, au lieu de pleurnicher sur des cendres ! Remarquez que ces règles furent celles de la société polie ; et il est vrai qu'on s'y ennuyait, faute de parler librement. Notre bourgeoisie a su rendre aux propos de société tout le franc-parler qu'il y faut ; et c'est très bien. Ce n'est pourtant pas une raison pour que chacun apporte ses misères au tas ; ce ne serait qu'un ennui plus noir. Et c'est une raison pour élargir la société au-delà de la famille ; car, dans le cercle de famille, souvent, par trop d'abandon, par trop de confiance, on vient à se plaindre de petites choses auxquelles on ne penserait même pas si l'on avait un peu le souci de plaire. Le plaisir d'intriguer autour des puissances vient sans doute de ce que l'on oublie alors, par nécessité, mille petits malheurs dont le récit serait ennuyeux. L'intrigant se donne, comme on dit, de la peine, et cette peine tourne à plaisir, comme celle du musicien, comme celle du peintre ; mais l'intrigant est premièrement délivré de toutes les petites peines qu'il n'a point l'occasion ni le temps de raconter. Le principe est celui-ci : si tu ne parles pas de tes peines, j'entends de tes petites peines, tu n'y penseras pas longtemps. Dans cet art d'être heureux, auquel je pense, je mettrais aussi d'utiles conseils sur le bon usage du mauvais temps. Au moment où j'écris, la pluie tombe ; les tuiles sonnent ; mille petites rigoles bavardent ; l'air est lavé et comme filtré ; les nuées ressemblent à des haillons magnifiques. Il faut apprendre à saisir ces beautés-là. Mais, dit l'un, la pluie gâte les moissons. Et l'autre : la boue salit tout. Et un troisième : il est si bon de s'asseoir dans l'herbe. C'est entendu ; on le sait ; vos plaintes n'y retranchent rien, et je reçois une pluie de plaintes qui me poursuit dans la maison. Eh bien, c'est surtout en temps de pluie, que l'on veut des visages gais. Donc, bonne figure à mauvais temps.

Ici, le philosophe Alain s'adresse à tous ses lecteurs: pour cet auditoire composé d'individus « moyens «, il vulgarise sa théorie sur le bonheur et donc il s'efforce de ne pas employer de termes spécialisés. La forme dialoguée permet d'inciter le lecteur à revenir à des évidences simples et à ne plus se laisser abuser par de mauvais prophètes.

I. Questions

1. Quelle est la thèse soutenue par l'auteur? Va-t-elle de soi ? Comment personnalise-t-il son discours ? 2. A quel auditoire s'adresse Alain ? Comment le met-il de son côté en vulgarisant son propos ? Relevez les marques de l'énonciation. 3. Quels types de règles Alain énonce-t-il pour développer son point de vue? Dans quel ordre ? Montrez que l'argumentation procède de précision en précision en maniant les articulateurs logiques. II. Travaux d'écriture

1. Au début du troisième paragraphe, Alain distingue deux sociétés ; « la société polie « et la société bourgeoise. Comment comprenez-vous ces propos sur la politesse? Qu'aimeriez-vous répondre à l'auteur à ce sujet? Produisez une réponse argumentée en une cinquantaine de lignes. 2. « On devrait bien enseigner aux enfants l'art d'être heureux. « Cette affirmation d'Alain vous semble-t-elle fondée? Pour en apprécier la pertinence, vous élaborerez un raisonnement cohérent, en une trentaine de lignes, sur les buts poursuivis, d'après vous, par l'éducation actuelle et vous vous référerez à votre expérience personnelle. 3. Pour l'auteur, chacun se plaindrait, en famille, de ses petites misères, et cette attitude lui paraît blâmable. Prenez la parole en votre nom pour confirmer ou infirmer cette opinion en au moins vingt lignes.

alain

« Question 3: Quels types de règles Alain énonce-t-il pour développer son point de vue? Dans quel ordre? Montrez quel'argumentation procède de précision en précision en maniant les articulateurs logiques. • Alain énonce d'abord sa thèse : elle constitue un paradoxe qui s'oppose aux opinions reçues et aux philosophiestraditionnelles (« Non pas»).

Puis, il définit le champ d'application de sa théorie et en précisant qu'elle concerne lesseules petites difficultés quotidiennes («mais l'art d'être heureux lorsque les circonstances sont passables», l.

4).Dès lors, pour l'auteur, la pratique du bonheur résulte d'un changement de point de vue et se définit par son aspectsocial.Il commence par énoncer une première règle : « ne jamais parler aux autres de ses propres malheurs, présents oupassés» (l.

7).

Il s'agit d'une affirmation catégorique qui prend valeur de vérité générale comme en témoignent lalocution négative « ne...

jamais » et l'effet d'insistance produit par la précision «présents ou passés ».

Ensuite, dece premier énoncé, dérivent deux règles de morale sociale : « On devrait tenir pour une impolitesse » ainsi quel'extension du propos du domaine physique au plan moral (« injustices » et « mécomptes »).

Le jeu des pronomscontribue à intégrer l'auteur dans son propos : « on » désigne n'importe qui agissant à l'exemple d'Alain.La deuxième règle énonce la cause dont la première constituait, en fait, la conséquence : il ne faut pas tomber dansle piège qui consiste à vouloir intéresser autrui à ses infortunes.

Alain commence donc par frapper le lecteur, puis illui explique ses motivations et remonte des effets aux causes.

«Il faudrait expliquer [...] consoler» (l.

12).

Être poli,au sens étymologique, c'est être digne de vivre dans la cité, donc être civilisé et respecter autrui.

Il faut apprendreà ne pas se plaindre aux « enfants», « aux jeunes gens», aux « hommes » — la progression est intéressante etconstitue une application pratique directe des propos de l'auteur.

Ensuite s'impose la formule gnomique (énoncé àvaleur générale) « la tristesse est comme un poison ».

Il ne faut donc pas confondre la complaisance avec lavolonté profonde des individus.

Et voici l'argument final, qui, par sa simplicité même, doit emporter l'adhésion : «Chacun cherche à vivre, et non à mourir» (l.

21).

En vous plaignant, vous faites le jeu de la mort et vous vousinterdisez de vivre.Dans le troisième paragraphe, Alain pratique le distinguo: il précise encore le champ d'application pratique de sathéorie.

D'une part, le bonheur suppose le respect d'autrui : cela ne signifie pas que l'on doive s'empêcher de dire ceque l'on pense, comme dans « la société polie», opposée, ici, à la bourgeoisie.

Là encore, le discours en appelle àl'évidence et procède par touches successives pour mieux cerner le propos : « et il est vrai [...] Ce n'est pourtantpas une raison pour que [...] Et c'est une raison pour élargir [...] car...

» (l.

27 à 33).

En fait, pour Alain, il convientde maintenir l'équilibre idéal entre l'épanchement excessif, autorisé par une forme de laxisme familial, et la défiancegénéralisée.Enfin, la prise à partie directe de l'interlocuteur accentue encore la force de l'argument en maniant le parallèle,l'équivalence logique : ne pas parler de ses peines équivaut à les oublier. Travaux d'écriture 1.

Au début du troisième paragraphe, Alain distingue deux sociétés; « la société polie» et la société bourgeoise.Comment comprenez-vous ces propos sur la politesse? Qu'aimeriez-vous répondre à l'auteur à ce sujet ? Produisezune réponse argumentée en une cinquantaine de lignes.Quand il distingue la société «polie » de la société bourgeoise, Alain semble se référer à la société décrite parStendhal dans Le Rouge et le Noir.

Il s'agit de cercles d'aristocrates qui passent leur temps à s'observer les uns lesautres, à critiquer leur tenue et leurs propos pour nourrir leurs critiques tendancieuses, voire à espionner pour lecompte de certains politiques.

Lorsqu'il se trouve contraint de participer aux soirées de Mme la marquise de la Mole,Julien Sorel sent peser un ennui mortel parce que ce type de société exclut la passion — ce qui constitue unhandicap rédhibitoire pour Stendhal, de manière générale.

Être « poli », en ce sens, n'équivaut pas tant à observerles règles de la politesse qu'à se conformer à des règles engendrées par une certaine conception de la bienséance.Pour un roturier comme Julien, très sourcilleux sur les questions d'honneur personnel, cette conception de lapolitesse peut revêtir un aspect quelque peu offensant car elle repose sur l'exclusion, sur la hiérarchie qui met envaleur les personnalités reconnues par un certain milieu.

Dans A la recherche du temps perdu, Proust souligne aussil'idée que la politesse du grand seigneur donne une forme courtoise au réel mépris des aristocrates vis-à-vis de ceuxqu'ils considèrent comme de vulgaires parvenus bourgeois.Or, la société évolue.

De nos jours, nous tendons plutôt à considérer les bourgeois comme des incarnations d'unordre compassé et rigide, excluant l'expression personnelle et exigeant de chacun le sacrifice de ses sentiments à labienséance.

Il ne faut pas « déroger » à une certaine conception de la politesse qui consiste à dissimuler pour «paraître ».

Pour nous, l'expression «famille bourgeoise » évoque plutôt une famille guindée.

En ce sens, on peut direque le texte d'Alain a vieilli.Mais il convient de ne pas assimiler démocratisation et ouverture d'esprit avec vulgarité et absence de respectd'autrui.

Bien souvent, en effet, la courtoisie se perd sous prétexte d'égalisation des conditions.

Ainsi, dans lesautobus et le métro, les hommes se précipitent sur les places libres et n'hésitent pas à jouer de leurs épaules pourbousculer les femmes et s'installer, en plein milieu de la banquette, le nez derrière leur journal, ou pour étaler leurimportante documentation professionnelle.

La galanterie se perd sous prétexte que les femmes ont acquis les mêmesdroits que les hommes ! Est-ce que, pour autant, elles ne méritent pas la considération? Une telle attitudemasculine repose sur l'idée qu'on ne doit se montrer courtois qu'envers un inférieur.

Quant aux adolescents, ilsignorent, pour la plupart, avec une superbe indifférence les règles élémentaires de la bonne éducation.En fait, il ne faudrait pas sacrifier le respect d'autrui, qui est, d'ailleurs, aussi respect de soi, avec unereprésentation de la politesse taxée d'obsolescence.

C'est à cela que nous engage le texte d'Alain, à distinguer cequi relève du pur et simple conformisme de ce qui témoigne de la réelle considération que l'on peut éprouver pour les. »

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