ARISTOTE: La liberté ; la conscience

Pour les actes accomplis par crainte de plus grands maux ou pour quelque noble motif (par exemple, si un tyran nous ordonne d'accomplir une action honteuse, alors qu'il tient en son pouvoir nos parents et nos enfants, et qu'en accomplissant cette action nous assurerions leur salut, et en refusant de le faire leur mort), pour de telles actions la question est débattue de savoir si elles sont volontaires ou involontaires. C'est là encore ce qui se produit dans le cas d'une cargaison que l'on jette par-dessus bord au cours d'une tempête : dans l'absolu, personne ne se débarrasse ainsi de son bien volontairement ; mais quand il s'agit de son propre salut et de celui de ses compagnons, un homme sensé agit toujours ainsi. De telles actions sont donc mixtes, tout en ressemblant plutôt à des actions volontaires, car elles sont librement choisies au moment où on les accomplit, et la fins de l'action varie avec les circonstances de temps. On doit donc, pour qualifier une action de volontaire ou d'involontaire, se référer au moment où elle s'accomplit.

ARISTOTE

1.   Aristote, dans ce texte, s'interroge pour savoir si les actions entreprises sous la contrainte peuvent être considé­rées comme volontaires.

Pour examiner cette question, il se sert de deux exemples: celui d'un homme contraint sous la menace par un tyran de commettre quelque mauvaise action et celui d'un marin contraint par la tempête d'abandonner en mer sa cargaison. Aristote conclut de cet examen que de semblables actions doivent être appréciées en fonction des circonstances dans lesquelles elles sont accomplies.

2.   Le premier exemple s'apparente à un chantage odieux. Un tyran contraint une personne à commettre une mau­vaise action sous la menace de faire périr l'un de ses proches. En plaçant un individu devant un choix insuppor­table (la mauvaise action ou la mort d'un parent), il s'agit de peser si fortement sur sa volonté au point qu'il ne lui reste pratiquement d'autre possibilité que de se soumettre. On appellerait cela aujourd'hui « une prise d'otages «. Il s'agit d'un procédé terroriste que de tout temps les tyrans ont mis en oeuvre : l'exemple cité par Aristote pourrait être rappro­ché des méthodes employées par les nazis durant l'Occupation allemande.

Le second exemple paraît moins douloureux. Il s'agit d'un marin qui au cours d'une tempête décide de jeter à la mer sa cargaison espérant que cette perte, en allégeant son embarcation, lui sauvera la vie.

Comme dans le précédent exemple, on voit bien que le choix est tronqué : il ne s'agit pas de deux possibilités équi­valentes mais d'un choix du moindre mal (la mauvaise action plutôt que la mort des otages, ou la perte de la car­gaison plutôt que la mort). Dans l'absolu, on pourrait consi­dérer que l'individu contraint est libre parce qu'il avait la possibilité de prendre une autre décision (conserver quoi qu'il arrive sa cargaison ou refuser de céder au chantage); mais dans les faits, la volonté est si fortement contrainte qu'il devient difficile de parler encore de liberté.