Autrui n'est il qu'une source d'alienation ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
«
feignant de voir ce qu'il voit par simple erreur ou coïncidence.
Mais si un autre arrive et le surprend, il luirenvoie aussitôt une image de lui-même sans équivoques : il n'est qu'un jaloux qui espionne devant uneporte.
Impossible alors de se trouver une excuse, le regard de l'autre est sans appel, mais il permet de selibérer de sa propre mauvaise foi, il est bien évidemment aliénant, dans la mesure où il résume mon être toutentier à ce que je fais à ce moment là, mais il est aussi libératoire, puisqu'il me permet de me libérer de mapropre aliénation à mon égard.
B.
Michel Tournier, dans ce grand roman sur la solitude qu'est Les limbes du Pacifique nous montre combien la présence d'autrui est essentielle à la constituions du sujet et à sa santé mentale.
Voici ce que dit lenarrateur de son séjour solitaire sur l'île : « Lorsqu'un peintre ou un graveur introduit des personnages dansun paysage ou à proximité d'un monument, ce n'est pas par goût de l'accessoire.
Les personnages donnentl'échelle et, ce qui importe davantage encore, ils constituent des points de vue possibles qui ajoutent aupoint de vue réel de l'observateur d'indispensables virtualités.
A Speranza, il n'y a qu'un point de vue, lemien, dépouillé de toute virtualité.
Et ce dépouillement ne s'est pas fait en un jour.
Au début, par unautomatisme inconscient, je projetais des observateurs possibles - des paramètres - au sommet des collines,derrière tel rocher ou dans les branches de tel arbre.
» Je ne peux donc exister sans autrui, car c'est lui seulqui donne à mon existence toutes les virtualités possibles, ne serait-ce que de point de vue, virtualité dontle moi se démarque et ainsi peut se construire.
Autrui est donc essentiel à ma santé mentale, or, l'aliéné, cen'est pas seulement le prisonnier, c'est aussi le fous, qui ne s'appartient plus, ne se maitrise plus.
Autruilibère donc le soi de soi-même et lui permet ainsi de se construire et d'être vraiment soi.
C.
Dans Le stade du miroir dans la formation du Je Lacan montre combien autrui joue un rôle important dans la constitution du sujet.
En effet, le petit enfant ne parvient à se reconnaitre dans un miroir et donc às'identifier comme étant une personne différente de son entourage qu'à partir de 6 mois, et cela uniquementparce qu'un de ses parents le porte devant le miroir et le désigne en lui disant « c'est toi ».
Sans le miroir, etsurtout sans ses parents, le petit enfant ne saurait donc se forger en tant que sujet indépendant : ce n'estque parce qu'il comprend que son image dans le miroir est sa propre image qu'il peut comprendre qu'il est unindividu à part entière.
L'enfant peut donc se constituer psychiquement, prendre son autonomie et se libérerdu lien fusionnel qui le lie à la mère grâce à la présence d'autrui, élément essentiel pour devenir un « je ».
III. L'amitié ou autrui comme un autre soi même.
A.
C'est pourquoi on ne peut pas dire que le sujet a toujours besoin des autres pour être soi, car certaines présences constituent un oubli de soi et une aliénation du sujet, tandis que d'autres sont indispensables à laliberté du moi.
On pourrait s'appuyer sur un texte de Hannah Arendt pour distinguer les différents rapportsque l'on peut avoir avec les autres.
Ce texte, extrait de Responsabilité et jugement distingue la solitude de l'esseulement et de l'isolement.
La solitude seule comporte un schisme essentiel : bien que seul, dans lasolitude, je suis seul avec moi-même, ce qui est la condition première de la pensée puisqu'il se produit alorsune sorte de dédoublement : je parle avec moi-même, je suis deux; et dans ce cas, si quelqu'un s'adresse àmoi, et que je dois lui répondre « quand je lui parle, je change.
Je deviens un : je suis bien sûr conscient demoi-même, mais je ne suis plus pleinement et explicitement en possession de moi-même ».
je me perds, jem'aliène, parce que la nécessaire d'être présent et disponible pour l'autre ne me permet plus d'être réflexif.
B.
Par contre, si la personne qui m'interrompt se préoccupe des mêmes choses que celles qui m'intéressaient,alors, cette personne devient un autre moi-même, car tout se passe comme si je continuais le dialogue demoi avec moi-même.
Cette interruption se révèle être finalement un prolongement.
Je peux donc être moiavec un autre, comme je peux me perdre moi-même en sa présence.
C'est pour cela que je peux aussi bienme sentir très seul parmi d'autres que ne pas me sentir seul quand je suis avec moi-même : si ces autres nesont pas d'autres moi mais me font devenir un, je suis seul parce que je ne suis même plus en compagnie demoi-même, tandis que si ces autres sont ce qu'elle appelle des amis, au sens fort d'autres moi, alors je suisen compagnie.
Autrement dit, la présence des autres peut aussi bien être un oubli de soi, un détachement desoi, qu'un enrichissement de soi.
Tout dépend de la nature de leur intervention.
L'esseulement, c'est donc ladeuxième situation, celle où le fait d'être seul est subi.
Cette souffrance montre bien que nous sommesdépendants d'autrui, puisque nous sommes alors aliénés par le fait d'être seuls, mais en aucun cas cela nesuppose que c'est la présence d'autrui elle-même qui m'aliène, puisqu'elle peut être aliénation comme ellepeut être révélation de soi à soi.
Conclusion « Ma liberté s'arrête où commence celle des autres », un tel précepte révèle à quel point autruiapparait comme une source d'aliénation : je ne peux faire ce que je veux, puisque je dois tenir compte des autres,je ne peux entièrement me déterminer, parce que les autres m'interprètent comme ils l'entendent.
Pourtant, voir enautrui une simple source d'aliénation serait très réducteur, car l'autre est aussi cet alter ego qui me permet d'être moi-même, de me construire par ressemblance et différence.
L'existence d'autrui aux côtés de la mienne est certesune limite, mais elle permet aussi de définir les contours de mon être propre..
»
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