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Bachelard: l'objectivité scientifique

Publié le 27/02/2008

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bachelard
« En fait, l'objectivité scientifique n'est possible que si l'on a d'abord rompu avec l'objet immédiat, si l'on a refusé la séduction du premier choix, si l'on a arrêté et contredit les pensées qui naissent de la première observation. Toute objectivité, dûment vérifiée, dément le premier contact avec l'objet. Elle doit d'abord tout critiquer : la sensation, le sens commun, la pratique même la plus constante, l'étymologie enfin, car le verbe, qui est fait pour chanter et séduire, rencontre rarement la pensée. Loin de s'émerveiller, la pensée objective doit ironiser. Sans cette vigilance malveillante, nous ne prendrons jamais une attitude vraiment objective. S'il s'agit d'examiner des hommes, des égaux, des frères, la sympathie est le fond de la méthode. Mais devant ce monde inerte qui ne vit pas de notre vie, qui ne souffre d'aucune de nos peines et que n'exalte aucune de nos joies, nous devons arrêter toutes les expansions, nous devons brimer notre personne. Les axes de la poésie et de la science sont d'abord inverses. Tout ce que peut espérer la philosophie, c'est de rendre la poésie et la science complémentaires, de les unir comme deux contraires bien faits. Il faut donc opposer à l'esprit poétique expansif, l'esprit scientifique taciturne pour lequel l'antipathie préalable est une saine précaution. » G. BACHELARD

QUESTIONNEMENT INDICATIF

• Qu'est-ce que « l'objet immédiat «? — Pourquoi « immédiat «? • Importance ici du terme « rompu « ? • Pourquoi doit-elle « d'abord tout critiquer «? Pourquoi « tout «? • Pouvez-vous donner des exemples illustrant ce que soutient Bachelard ? • Que signifie ici « ironiser «? (Cf. l'ironie socratique.) Pourquoi cette opposition : « s'émerveiller-ironiser «? Pourquoi cette opposition : « sympathie-antipathie «? • L'attitude critique et l'antipathie sont-elles conçues comme définitives ou provisoires (méthodologiquement). Cf. « d'abord «, « préalable «, « les axes de la poésie et de la science sont d'abord inverses «. • Qu'est-ce qui permet de justifier — selon Bachelard — la critique, la malveillance, l'antipathie préalable nécessaires à l'esprit scientifique ? Qu'en est-il alors des « sciences humaines « ? • Quel est l'enjeu de ce texte ? — Définir les déterminations nécessaires de l'esprit scientifique ou « autre chose «? — Comment penser « tout ce que peut espérer la philosophie, c'est de rendre la poésie et la science complémentaires, de les unir comme deux contraires bien faits «?  

 

bachelard

« entraves du rationalisme naïf.Précisons ce point avant de suivre le fil du texte que nous commentons.

Ce faisant, nous pourrons mieux percevoirson intérêt.

On s'imagine souvent que ce qui définit l'objectivité scientifique, c'est le recours au quantitatif paropposition au qualitatif qui relèverait de la subjectivité.

Une telle façon de voir est assurément naïve car elle selaisse fasciner par la mesure sans chercher à rendre raison de sa méthode de mesure.

Dans ces conditions, l'objetmesuré revêt l'aspect rassurant d'une réalité avec laquelle on coïnciderait grâce aux procédés de mesure.

Mais c'estlà une assurance trompeuse et l' « on se tromperait d'ailleurs, remarque Bachelard, si l'on pensait qu'uneconnaissance quantitative échappe en principe aux dangers de la connaissance qualitative.

La grandeur n'est pasautomatiquement objective...

» (id., F.E.S., p.

211).

Encore une fois, nous comprenons que le réel auquel estconfronté le savant n'est pas donné.

Il ne se trouve pas déjà là, attendant d'être mesuré exactement pour livrer sessecrets.

La mesure seule n'est nullement la clé de la pensée scientifique.

Il ne s'agit pas de mesurer un objet donton serait propriétaire, mais de s'approcher, grâce à une méthode de mesure, d'un objet que l'on construit.

«L'objectivité est alors affirmée en deçà de la mesure, en tant que méthode discursive, et non au-delà de la mesureen tant qu'intuition directe de l'objet.

Il faut réfléchir pour mesurer et non mesurer pour réfléchir ».

(id., F.E.S., p.213).Dans la première phrase du texte, Bachelard nous dit en quatre verbes et trois temps à quelles conditionsl'objectivité scientifique est possible.

Expliquons-nous, ou plutôt expliquons cette première phrase.

Pour Bachelard,l'objectivité scientifique ne consiste pas à s'attacher à un objet immédiat, c'est-à-dire à un objet qui n'aurait pasété construit.

Elle ne consiste pas davantage à se laisser séduire ou attirer par l'objet choisi.

Enfin, elle ne consistepas non plus dans les idées que peut faire naître d'emblée l'observation de cet objet.

Bref, ce n'est pas enobservant un objet et en s'en tenant aux premières observations que l'on parvient à une connaissance objective.

Ilest frappant de constater que Bachelard emploie quatre verbes marquant une opposition : rompre, refuser, arrêteret contredire.

Ces verbes viennent en quelque sorte s'opposer aux opérations en trois temps de la connaissancescientifique naïve.

L'autre point remarquable de cette phrase vient de l'insistance avec laquelle l'auteur s'en prend àce qui est immédiat ou premier.

Ces adjectifs apparaissent à trois reprises et leur utilisation correspond à l'utilisationdes verbes d'opposition.

Bachelard condamne ici une connaissance scientifique qui prétendrait partir de l'objetimmédiat, en d'autres termes de l'objet tel qu'il apparaît dans le sensible.

On ne peut pas partir de ce qui est donnéd'une façon statique au niveau de la perception.

Il faut combattre et éliminer la tendance à s'en tenir à la réalitéimmédiatement donnée.

L'objet immédiat auquel on s'attache entrave la pensée, bloque le raisonnement etemprisonne en quelque sorte l'esprit scientifique.

Ainsi, rompre avec cet objet immédiat, c'est véritablement larguerles amarres, se mettre en route, voguer librement.

Par la rupture avec le caractère d'immédiateté de l'objet, l'espritscientifique se libère et donne au dynamisme qui le définit la possibilité de s'exprimer : « l'objet ne saurait êtredésigné comme un « objectif » immédiat ; autrement dit, une marche vers l'objet n'est pas initialement objective.

Ilfaut donc accepter une véritable rupture entre la connaissance sensible et la connaissance scientifique » (id.,F.E.S., p.

239).

Bachelard insiste sur la nécessité absolue de purifier la source de la connaissance scientifique.

Onne doit à aucun prix se laisser prendre aux apparences.

Refuser de se laisser séduire, c'est déjà dire oui àl'objectivité.

« L'évidence première n'est pas une vérité fondamentale » (id., P.F., p.

9).

Le nouvel esprit scientifiqueque décrit Bachelard est en ce sens une « philosophie du non » (c'est là le titre d'un de ses ouvrages).

Cet esprit secaractérise non seulement par ses aspects dynamiques et discursifs, mais aussi par ses aspects volontaires etpolémiques.Ne nous méprenons pas sur le sens du mot polémique dans l'oeuvre de Bachelard.

Le mot ne désigne pas ici une deces vaines querelles dont sont friands certains intellectuels qui, n'ayant rien à dire, cherchent à faire parler d'eux.C'est un combat contre les préjugés et un débat avec la vérité.

Par exemple, dit Bachelard, « pour qu'on puissevraiment parler de rationalisation de l'expérience, il ne suffit pas qu'on trouve une raison pour un fait...

Uneexpérience, pour être vraiment rationalisée, doit donc être insérée dans un jeu de raisons multiples ».

Et il ajoute :cc Une telle théorie de la rationalisation discursive et complexe a, contre elle, les convictions premières, le besoind'immédiate certitude, le besoin de partir du certain et la douce croyance en la réciproque que la connaissance d'oùl'on est parti était certaine.

Aussi, quelle n'est pas notre mauvaise humeur quand on vient contredire nosconnaissances élémentaires, quand on vient toucher ce trésor puéril gagné par nos efforts scolaires ! Et quelleprompte accusation d'irrespect et de fatuité atteint celui qui porte le doute sur le don d'observation des anciens ! »(id., F.E.S., p.

41).

Contredire devient un impératif scientifique qui garantit une objectivité véritable.

Une expériencescientifique est une expérience qui vient s'inscrire en faux contre des opinions préalables.

« Une expérience qui nerectifie aucune erreur, qui est platement vraie, sans débat, à quoi sert-elle ? ».

« Une expérience scientifique estalors une expérience qui contredit l'expérience commune » (id., F.E.S., p.

10).

Bachelard n'est pas un de cesraisonneurs toujours prompts à contredire les gens uniquement par plaisir.

Le besoin de contredire est ici le proprede la rationalisation.

C'est la raison qui est critique et polémique.

« Arrêter et contredire les pensées qui naissent dela première observation », c'est s'interdire de partir sur de mauvaises bases, mais c'est aussi se permettre derechercher des bases solides.La seconde phrase du texte (« toute objectivité dûment vérifiée dément le premier contact avec l'objet ») résumece qui a été dit dans la première et apporte une précision supplémentaire.

Outre le rapprochement entre les mots «dûment » et « dément » qui avait sans doute amusé Bachelard, cette phrase énonce sous une forme condensée unecaractéristique essentielle du nouvel esprit scientifique.

Il n'y a d'objectivité que vérifiée, et vérifiée selon lesformes.

La vérification permet de dénoncer le mensonge de l'immédiateté.

On pourrait ici nous faire remarquer quel'exigence de la vérification n'est pas une nouveauté dans le domaine scientifique.

Mais la vérification dont parleBachelard est beaucoup plus riche, et aussi plus probante, que la vérification dont il est question dans les théoriesclassiques de la connaissance.

Elle répond à l'appel même du nouvel esprit scientifique.

Elle correspond à saprédication.

« Devant le réel le plus complexe, P1 nous étions livrés à nous-mêmes, c'est du côté du pittoresque, dupouvoir évocateur que nous chercherions la connaissance : le monde serait notre représentation.

Par contre, sinous étions livrés tout entiers à la société, c'est du côté du général, de l'utile, du convenu, que nous chercherions. »

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