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Bergson et le dualisme

Publié le 17/01/2020

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Car dans un mouvement on trouvera la raison d'un autre mouvement, mais non pas celle d'un état de conscience. » Il restait cependant à le démontrer entièrement, c'est-à-dire à montrer pourquoi la conscience, présupposée dans le premier livre comme un donné, ne peut être produite par le corps, être un effet par exemple, comme le soutiennent les matérialistes contemporains de Bergson, des mouvements du cerveau. C'est cette démonstration, toujours d'actualité47, que veut fournir Matière et Mémoire. Son principal apport est de chercher à prouver V indépendance de la conscience vis-à-vis du cerveau, mais aussi d'en comprendre les relations ; c'est ainsi qu'il est conduit à « un problème métaphysique » : « Rien moins que celui de l'union de l'âme et du corps.48 ». L'objet général de ce livre est bien décrit dans son avant-propos originel : il s'agit pour Bergson d'exposer sa « conception du rôle du corps dans la vie de l'esprit».

Ce rôle du corps est déterminé, de façon paradoxale, dès le début du livre, par deux faits apparemment contradictoires, que l'on retrouvera dans L'Âme et le Corps. D'un côté en effet, le corps commence par apparaître à Bergson, en toutes ses parties, cerveau compris, comme un simple « centre d'action » : il ne fait que recevoir et transmettre des mouvements et, même s'il reçoit les mouvements des objets environnants, et les leur retourne, d'une manière singulière, son action se limite à cela : jamais « H ne saurait faire naître une représentation50 », si l'on entend par là une copie immatérielle de l'univers matériel. Bergson fait alors à nouveau une distinction radicale. Il distingue en effet deux parties dans ce que nous appelons d'ordinaire notre représentation, c'est-à-dire ce dont nous avons conscience. D'un côté, il y aurait ce qui dépend entièrement de mon corps : c'est ce que Bergson appelle ma perception. Cette « perception » n'est pas quelque

singulière39. Ainsi, nous sommes des êtres doubles, menant constamment une sorte de « double vie », extérieurs et intérieurs à nous-mêmes. Il serait alors facile de déduire de ce premier résultat une distinction radicale entre « l'âme et le corps ». Pourtant, non seulement cette distinction n'est pas aussi radicale qu'elle le paraît, mais elle débouche, avec la liberté, sur une unité plus profonde, laissant précisément ouverte la question des rapports entre « l'âme et le corps », que reprendra Matière et Mémoire.

Le dualisme de V Essai sur les données immédiates de ia conscience, tout d'abord, consiste moins en un résultat définitivement acquis, qu'en une méthode de travail à remettre sans cesse à l'épreuve. Ainsi, Bergson répond-il au « reproche [...] de dédoubler la personne [..]. C'est le même moi qui aperçoit des états distincts, et qui fixant davantage son attention, verra ces états se fondre entre eux comme des aiguilles de neige au contact prolongé de la main ». Autrement dit, ce qu'il s'agit d'opposer, ce sont moins des réalités en nous, que des points de vue sur nous. Ce n'est pas tant la conscience qui est double, que la psychologie, qui peut l'envisager de deux façons, « superficielle41 » et extérieure, ou plus profonde. Le but de la distinction bergsonienne est d'abord de méthode : il s'agit avant tout de dissiper des confusions. Tout « le bergsonisme » peut être compris, comme s'y est essayé Gilles Deleuze, comme un effort pour défaire les « pseudo- » et les « faux problèmes ». La distinction des points de vue permet de dissocier les aspects incompatibles d'une notion qui paraît d'abord unique : ainsi le « temps » ou le « moi ».

39. Cette critique du langage ouvre et ferme le premier livre de Bergson, dont voici les premières phrases : « Nous nous exprimons nécessairement par des mots, et nous pensons le plus souvent dans l'espace. En d'autres termes, le langage exige que nous établissions entre nos idées les mêmes distinctions nettes et précises, la même discontinuité, qu'entre les objets matériels » [Œuvres, p. 3). Il faut garder ce point en mémoire, pour mesurer, en lisant L'Âme et le Corps, le chemin qu'a dû accomplir Bergson pour parvenir à la philosophie si différente du langage qui s'y exprime. Cf. sur ce point le livre de M. Pariente : Le Langage et l'individuel, chap. 1 (« Hésitations bergsoniennes »), Éd. A. Colin.

40. Œuvres, p. 92.

41. Ibid.

42. Voir : Gilles Deleuze : Le Bergsonisme, chap. 1, PUF.

et le Corps : il s'agit de la compréhension du langage et de la théorie de la signification. Le corps, à lui seul, ne fait que découper les éléments matériels, c'est-à-dire sonores, des phrases entendues, c'est l'intervention de nos souvenirs, notre connaissance de la langue, mais aussi, progressivement « rappelée », toute notre expérience passée, qui leur donnera tout leur sens, qui peut indéfiniment s'approfondir64. Ainsi : « En poussant [d'abord] le dualisme à l'extrême, nous paraissions creuser entre le corps et l'esprit un abîme infranchissable. En réalité, nous indiquions le seul moyen possible de les rapprocher et de les unir. »

LA SIGNIFICATION DU

DUALISME DE BERGSON

Le dualisme de Matière et Mémoire se présente donc comme un mouvement complexe de distinction puis d'union de l'âme et du corps. Bergson ne l'oppose pas seulement au matérialisme, mais aussi à ce qu'il appelle à plusieurs reprises « le dualisme vulgaire » :« Les difficultés du dualisme vulgaire ne viennent pas de ce que les deux termes se distinguent, mais de ce qu'on ne voit pas comment l'un des deux se greffe sur l'autre.56 » Par dualisme vulgaire, Bergson entend donc l'affirmation dogmatique de l'opposition de deux substances, matérielle et immatérielle, dans l'homme et dans la nature, affirmation arbitraire et définitive, qui ne laisse plus comprendre l'unité de l'homme, ni celle de la nature, êtres peut-être doubles, mais qui se présentent aussi comme des touts autonomes. Le propre du dualisme qu'il soumet ainsi à une continuelle refonte, c'est au contraire de tenir les deux bouts du problème.

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« Bergson, de gratuit 31, ou de simplement« théorique n, mais qu'elle touche toujours à notre pratique et à notre action.

Plus profondément, nous allons voir que le mouvement de cette première réflexion est exemplaire, en ce qu'il mène Bergson de l'affirmation d'un dualisme ou d'une dualité radi­ cale, à la saisie de l'unité de ces mêmes termes dans la pratique.

Autrement dit, Bergson ne sépare ou ne distingue peut-être les deux termes de son« dualisme "que pour mieux pouvoir les unir.

Le mouvement de la réflexion de Bergson sur le dualisme, c'est-à-dire le mouvement même d'intuition poursuivi d'œuvre en œuvre et que L 'Âme et le Corps aurait pour tâche de résumer, serait donc ce double mouvement, d'affirmation d'une dualité et de visée d'unité.

Il reste à le vérifier plus en détail.

La surprise qui ouvre l'œuvre de Bergson l'amène d'abord, dans son premier livre, à une distinction qui paraît radicale.

En s'apercevant que la science, avec ses instruments de calcul et de prévision, peut atteindre certains phénomènes et non pas d'autres, c'est-à-dire ceux de la conscience, Bergson trace délibérément une ligne de partage entre deux « régions nn, entre deux parties de la réalité.

Si la science peut légitimement s'occuper des objets extérieurs, mais déforme nécessairement les données intérieures, c'est parce qu'il y a entre eux une différence de nature, et non pas seulement de forme: Bergson refuse toute symétrie entre l'intérieur et l'extérieur, et entre le temps et l'espace.

Men­ tionnons seulement les trois principales différences qu'il est conduit à faire entre ces deux ordres de phénomènes, et qui vont permettre de définir la durée, c'est-à-dire la vie intérieure.

La première repose sur la notion de continuité : alors que les objets nous apparaissent dans l'espace de manière disconti­ nue, comme distincts les uns des autres, notre vie intérieure se présente, selon Bergson, comme un mouvement continu.

Mais dès lors, et c'est la seconde différence, la durée est par essence indivisible : contrairement aux parties d'espace, que l'on peut toujours diviser en parties plus petites, on ne peut décomposer la durée en éléments, en« états», sans la trahir.

Pour Bergson, isoler dans la vie consciente un état psycholo­ gique, un plaisir, une douleur, est une abstraction illégitime : 32.

Cf.

par exemple Œuvres, p.

5.

'19. »

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