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BERGSON ET L'INTELLIGENCE TECHNIQUE

Publié le 06/04/2013

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BERGSON ET L'INTELLIGENCE TECHNIQUE. __________________________________________ « - Peut-on critiquer l'intelligence technique ? ». Telle est la question sur laquelle je souhaiterais réfléchir avec vous aujourd'hui, en relisant quelques textes de Bergson, extraits en particulier de L'évolution créatrice (1907) et de La Pensée et le Mouvant (1938). Sur la question préalable : « - Faut-il le faire ? Faut-il critiquer l'intelligence technique ?», tout le monde ou presque semble s'accorder. Sans doute, voit-on dans l'activité technique un indice, ou mieux une preuve indéniable, de la présence de l'intelligence. L'intelligence est en effet, en un sens très général, la capacité de comprendre, et l'action technique en apportant une réponse adaptée à une situation particulière, donne une marque extérieure de cette capacité. A la différence de l'action instinctive, répétitive, commune à tous les individus d'une espèce, téléguidée par les dispositions du corps, l'action technique est intelligente parce qu'elle présuppose l'analyse de la situation et la réponse adaptée que seule une capacité individuelle de réflexion et d'invention est susceptible de produire. En outre, si l'expérience commune, voire aujourd'hui les résultats étonnants de l'éthologie, conduisent à reconnaître que certains animaux (par exemple les grands singes africains) ont développé des possibilités élaborées d'intelligence, l'activité technique reste perçue comme la manifestation propre du pouvoir humain de l'intelligence. Et de ce pouvoir, on constate évidemment plus que jamais - à travers « l'explosion contemporaine des techniques » - les performances éblouissantes et l'efficacité admirable. Pourtant, bien qu'elle soit un signe d'intelligence humaine, il semble non moins vrai qu'on puisse dénier à l'action technique, aussi réfléchie soit-elle par ailleurs, le droit d'apparaître comme la marque achevée et complète de l'intelligence. Dès l'origine, la technique est frappée par un mythe - celui de Prométhée - qui, dans sa version platonicienne, nous conte comment Prométhée donna aux hommes le feu, avec conjointement la ruse (la métis), volés respectivement à Héphaïstos et à Athéna ; mais le mythe ajoute aussitôt que Prométhée n'eût hélas pas le temps de ravir à Zeus la prudence politique et la sagesse, dont il eût été pourtant nécessaire de pourvoir les hommes. Si le mythe est tenace, c'est qu'il n'est peut-être pas sans raison. L'intelligence technique, pour intelligente qu'elle soit, n'en passe pas moins pour une intelligence incomplète - incomplète relativement à l'exercice plein et entier d'un jugement plus intelligent encore. C'est, dit-on par suite, une intelligence de 1 spécialiste. Cette spécialisation est certes utile, mais elle contient d'un autre point de vue une limitation. Toute technique met en oeuvre une intelligence appliquée, adaptée à des opérations pratiques ponctuelles. On lui oppose en conséquence le point de vue « ouvert », libre et général de celui qui échappe au particulier, le jugement de « l'honnête homme », de « l'homme de métier capable de voir au-delà de son métier » - le jugement plus général de celui qui, dit Pascal, sait « peu de tout » ; car il vaut mieux savoir « peu de tout » que « tout d'un peu » puisque dans un cas on connaîtra mieux ses limites que dans l'autre. Si donc on peut s'accorder - au moins à titre d'hypothèse - sur la nécessité de critiquer l'intelligence technique, la question reste posée de savoir comment le faire. Peut-on même critiquer l'intelligence technique ? Critiquer, c'est faire la part des choses - c'est-à-dire juger, séparer, délimiter. Cependant, à partir d'où s'opérera la critique ? A partir d'un point de vue extérieur ? D'un point de vue supérieur ? Cela impliquerait en quelque sorte une intelligence de surplomb, qui serait en droit de critiquer la première. Mais outre la menace d'une régression à l'infini - toute critique réclamant une critique de la critique, puis une critique de la critique de la critique par une série d'intelligences indéfiniment « élargies » - où est donc cette intelligence de surplomb ? Dans sa généralité humaine, l'intelligence est une, alors même qu'entre les performances des individus des inégalités relatives d'intelligence peuvent être constatées. Et c'est bien cette intelligence humaine en général que nous devrions critiquer, et non pas l'intelligence de tel ou tel. En sorte que pour critiquer l'intelligence technique, nous ne disposons pas d'une autre intelligence, extérieure à la première et susceptible d'en apercevoir la limitation. En réalité, pour passer de l'usage technique de l'intelligence à sa critique, nous n'avons pas deux intelligences mais deux usages distincts d'une même intelligence. Mais si la critique de l'intelligence ne peut s'effectuer que par ellemême, reste alors à nous demander ce qui nous garantira qu'en voulant critiquer l'intelligence technique, nous échapperons bien à l'usage technique de l'intelligence ; C'est, me semble-t-il, dans le mouvement de cette interrogation que se développe tout le questionnement de Bergson au sujet de l'intelligence. Car - remarque-t-il - voilà qu'à leur tour, ces deux usages distincts de l'intelligence, nous les qualifions en toute bonne foi de formes de l'intelligence. Or que recouvre ce vocabulaire des formes ? Cette métaphore imprécise de la forme d'intelligence ? Ne serions-nous pas conduits par le mot à l'idée qu'il reviendrait à une critique de l'intelligence de d...

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