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Bergson: Qui ne voit que la cohesion sociale

Publié le 19/04/2005

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bergson
Qui ne voit que la cohésion sociale est due, en grande partie, à la nécessité pour une société de se défendre contre d'autres, et que c'est d'abord contre tous les autres hommes qu'on aime les hommes avec lesquels on vit ? Tel est l'instinct primitif. Il est encore là, heureusement dissimulé sous les apports de la civilisation; mais aujourd'hui encore nous aimons naturellement et directement nos parents et nos concitoyens, tandis que l'amour de l'humanité est indirect et acquis. A ceux-là nous allons tout droit, à celle-ci nous ne venons que par un détour; car c'est seulement à travers Dieu, en Dieu, que la religion convie à aimer le genre humain; comme aussi c'est seulement à travers la Raison, dans la Raison par où nous communions tous, que les philosophes nous font regarder l'humanité pour nous montrer 'éminente dignité de la personne humaine, le droit de tous au respect. Ni dans un cas ni dans l'autre nous n'arrivons à l'humanité par étapes, en traversant la famille et la nation. Il faut que, d'un bond, nous nous soyons transportés plus loin qu'elle et que nous l'ayons atteinte sans l'avoir prise pour fin, en la dépassant. Qu'on parle d'ailleurs le langage de la religion ou celui de la philosophie, qu'il s'agisse d'amour ou de respect, une autre morale, c'est un autre genre d'obligation. Bergson

1. Bergson définit tout d'abord le mécanisme de la cohésion sociale et en fait l'origine de la notion d'amour d' autrui.  2. A chaque type de société (société restreinte de la famille et des proches, ou bien société large de l'humanité tout entière) correspond un type d'amour.  3. Mais on passe de l'amour de la famille (ou de la nation) à l'amour de l'humanité non par étapes mais au contraire par  un bond. A chacun correspond d'ailleurs une morale différente.

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« entre l'homme et le genre humain.

Pour l'amour de l'homme avec ceux qui lui sont proches, il suffit de laisserparler l'instinct.

Mais pour l'amour de l'homme avec la notion abstraite de genre humain (« l'homme en tantqu'homme »), il faut un relais, celui de Dieu.

Et peut-être Bergson pense-t-il plus particulièrement au Dieuchrétien qui se proclame un Dieu d'amour.

En réalité, l'intermédiaire entre l'homme et le genre humain estdouble : à la fois une institution (la religion) qui, comme son nom le suggère, relie les hommes entre eux(religare : relier), comme tous identiques, des égaux, des frères, avec lesquels, par cette égalité et cettefraternité, on doit se sentir proche ; et aussi une notion (Dieu).En dehors de l'approche par la religion, il est également possible de concevoir l'intermédiaire du point de vue,non plus spiritualiste, mais rationaliste.

Un rationalisme prêt à personnaliser la Raison avec un « R »majuscule et, pourquoi pas, brandissant la torche des Lumières.

Car c'est bien au rationalisme un peudémodé du XVIIIe siècle que Bergson nous fait penser.

L'intermédiaire s'effectue non plus par une institutionmais par un corps (les philosophes), et par un concept (la Raison). Mais l'opposition entre les deux approches est loin d'être radicale.

Bergson même se plaît à employer unvocabulaire religieux (« par où nous communions tous ») pour parler du rationalisme des philosophes.

Onvient de voir que la structure de l'argumentation était parfaitement identique.

Cependant une différences'établit quant à la notion clé qui commande la démarche de l'institution et du corps, et par laquelle on visel'amour de l'humanité.

Pour la religion, la notion clé est justement celle d'amour ; pour les philosophes, lanotion clé est celle de respect. Sans que Bergson ne cherche à élucider ce point, n'est-ce pas la notion clé de la religion qui serait d'embléela plus conforme à la fin visée ? La démarche de l'Église n'est-elle d'ailleurs pas plus pressante (la religion «convie » l'homme), alors que les philosophes s'en tiennent à nous faire regarder l'humanité, pour nousmontrer ? Aimez votre prochain, dit impérativement la religion.

Sachez que tous les humains sont respectables.

Onpasse ainsi du fait au « droit ».

Ce qui est certain, c'est que les philosophes argumentent davantage : ilsavancent un argument moral, celui de « l'éminente dignité de la personne humaine », une notion, propre ausystème kantien, celle de respect ; et même, évoquant le droit, ils inscrivent socialement leurspréoccupations dans la sphère du politique. 3.

Bergson ne marque pas sa préférence.

Mais ce qu'il note, c'est qu'entre ces deux formes d'amour, l'amourdes proches, et l'amour de l'humanité, il n'y a pas continuité mais rupture.

Aussi rejette-t-il la notion d'«étapes » ou famille, nation, puis humanité seraient en droite ligne.

pour évoquer « le bond », le «dépassement ».Il y a comme un mystère dans la soudaineté et la totalité de cet amour de l'humanité sans commune mesureavec l'amour au quotidien qui nous lie à nos proches.

Les valeurs se renversent : ce qui était loin devantnous est comme derrière nous (nous sommes transportés « plus loin »), ce qui est atteint n'était pourtantpas visé (« sans l'avoir prise pour fin »), ce qui généralement implique l'effort continu d'un cheminement estobtenu par un « transport », en une fois.Tout se passe, mais Bergson ne le suggère pas directement, comme si nous étions dans une situation deconversion mystique.

Bergson se contente du mouvement impératif du maître : « il faut ».Il y a d'ailleurs comme une impuissance à tout dire.

Car, dans un cas comme dans l'autre, il y a recours aulangage, que ce soit celui de la religion ou de la philosophie.

Qu'importe le domaine (religion ou philosophie),qu'importe l'idée-force (amour-respect).

De toutes façons, nous sommes dans un autre monde fait d'unautre genre d'obligation, orienté par une autre morale.

Au clos se substitue (« se superpose ») l'ouvert. Intérêt du texte L'intérêt du texte réside dans cette approche contrastée de deux formes d'amour liées, en dernière analyse,à deux morales différentes.

Et de montrer qu'il y a en réalité deux formes de sociétés.

L'une qui domine etqui est faite de conservatisme.

L'autre, infiniment moins répandue, mais qui est faite d'ouverture, degénérosité et d'amour de l'humanité.Ceci rompt avec la conception habituelle de la morale, présentée comme une manière unique de réglementerl'action humaine par les prescriptions impératives du devoir.Ici, on retrouve l'impulsion bergsonienne en faveur de la poussée généreuse de l'élan vital qui, seul, autorisela formidable marche en avant de la société. Mise en question Aussi intéressante que soit cette distinction des deux formes de sociétés, elle semble malgré tout relever duprocédé rhétorique, qui conduit systématiquement Bergson à établir, dans toutes les occasions, unedichotomie entre l'intérieur et l'extérieur, le figé et le dynamique, le mécanique et le mystique.

Sorte deconstruction a priori, à laquelle, sans trop d'effort, il est possible de plier le réel.Une telle distinction rend peut-être compte de ce qu'on voit ; elle n'a pourtant guère de valeur explicative.Elle ne nous dit pas pourquoi les choses sont ainsi.

Elle nous donne la photographie d'un état, elle ne nousexplique pas ses raisons d'être. Conclusion. »

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