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Comment le désir naît-il ? Comment le désir meurt-il ?

Publié le 12/03/2004

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Nous pouvons donc définir le désir : la tendance vers un objet de la possession duquel l'expérience fait espérer joie ou plaisir.Le désir n'est qu'une tendance, et l'homme peut éprouver un désir très vif sans prendre effectivement aucun des moyens aptes à le satisfaire. Par là le désir se distingue de la volition, qui consiste dans la mise en jeu de ses forces pour atteindre le but visé : ils sont innombrables les rêveurs qui, aspirant à la fortune, à la gloire ou bien à la maîtrise de soi, attendent dans leur fauteuil que l'objet de leur désir leur tombe du ciel. Le désir se distingue encore de la volonté par son indépendance à l'égard de la réalité et à l'égard des autres désirs eux-mêmes : je puis désirer l'impossible - le vieillard peut désirer recommencer sa vie et redevenir enfant - ; je puis éprouver plusieurs désirs qui se contredisent l'un l'autre - le soldat peut rêver qu'il atteint aux sommets de l'héroïsme, sans avoir le sentiment d'un sacrifice douloureux. La volonté est plus logique : l'homme volontaire juge ses désirs et ne s'arrête qu'à ceux dont la réalisation est possible ; les diverses aspirations s'organisent dans son âme, les désirs dominants annihilant peu à peu les désirs plus faibles incompatibles avec eux.Mais si le désir n'est pas la volonté, il est le ressort indispensable de l'acte volontaire. Un homme sans désirs serait totalement aboulique, et la richesse des désirs donne de l'aisance et de la force dans l'action. Le désir, en effet, est une tendance, c'est-à-dire, avons-nous dit, puissance et besoin d'action, bien plus, ébauche de mouvement. En effet, lorsque la satisfaction du désir est facile et que rien ne s'y oppose, l'action se déclenche comme d'elle-même. Si la satisfaction du désir présente de trop grandes difficultés, en rester au stade du désir consiste à se représenter le désir satisfait, ce qui constitue déjà un certain mode d'activité et entraîne infailliblement quelques essais de réalisation effective : désirant dire des paroles blessantes à mon ennemi et retenu par crainte des représailles, je m'imagine le stigmatisant de quelques épithètes déshonorantes, et mes lèvres esquissent les mouvements par lesquels s'articulent ces mots vengeurs.

« II.

— SA NAISSANCE L'expérience, avons-nous dit, est à l'origine du désir : on ne peut désirer un objet inconnu.

Mais il ne faudrait pas croire que le désirsuppose, comme l'établissement d'une loi, une expérience méthodique et une connaissance précise.

Au contraire, c'est à des objetslointains et à demi-connus que, le plus souvent, s'attache le désir.

Cet attrait du mystère s'explique en partie par le besoin d'émotions.Mais il semble résulter principalement de l'importante marge que le lointain et le demi-connu laissent à l'imagination, nous permettantpar là de nous représenter mille bonheurs possibles et d'en jouir d'avance, au lieu du seul bonheur réel que pourrait nous procurer unobjet parfaitement connu.

Ainsi, pour un enfant habitué à passer ses vacances à la maison que sa famille possède à la campagne, lesrécits et les descriptions de ses camarades venant de la mer ou de la montagne feront naître de vifs désirs.

C'est que l'objet confus quiexcitera son désir aura à la fois les attraits de Biarritz et de la côte basque, ceux de Deauville et de Royan, sans exclure les joies plusaustères des courses en montagne et les émotions des ascensions périlleuses.

Au contraire, la perspective d'un nouveau séjour à lamaison de campagne familiale emprisonne mon imagination dans des cadres bien étroits.

Cette maison m'est connue dans tous ses coins; je pourrais tracer de mémoire les allées de son jardin ou de son parc ; les promenades que je puis projeter, je les ai faites bien des fois; les voisins et les amis que je retrouverai me sont familiers, et je ne puis espérer la rencontre d'un homme illustre que je serais fier deconnaître ou de l'âme soeur de mon âme solitaire.Cependant, il faut le reconnaître, ce sont, dans bien des cas, les objets familiers que, le plus constamment, sinon le plus vivement, nousdésirons retrouver.

Les imaginations craintives redoutant l'inconnu et le nouveau, s'arrêtent plutôt aux possibilités de malheur.

L'habituel,au contraire, les tranquillise.

Et puis, il y a aussi une habitude du désir qui le renforce et l'enracine.

Enfin, parmi les souvenirs serapportant à l'objet désiré, la mémoire fait un choix ; dans la synthèse de nos expériences, l'imagination intervient, donnant le coup depouce aux faits, forçant un ton ou une nuance, surtout nous faisant éprouver un plaisir rétrospectif qui nous paraît plus relevé parce queplus intellectuel.

Mais, dans ce cas encore, c'est l'imagination qui explique nos désirs, la crainte de l'inconnu et l'aversion pour le nouveau,sorte de désirs négatifs, résultent des représentations élaborées par une imagination peureuse ; le désir positif de retrouver les lieuxfamiliers et les personnes connues dépend dans une grande mesure des qualités que leur prête notre mémoire imaginative.A cette transformation du réel par la pensée, la société collabore activement et il est bien des objets de désir que nous impose notremilieu.

Un élève arrive-t-il au collège avec une moto munie d'un perfectionnement d'invention récente, ses camarades le regardent avecenvie et sentent en eux une sorte de vide douloureux tant qu'ils ne se sont pas procuré l'article nouveau.

Dans d'autres cas, ce n'est passurtout parce que nouveau et original, mais parce que considéré par tous comme désirable, qu'un objet excite notre convoitise.

Ainsi, dansle monde moderne, il est admis qu'il faut prendre des vacances, qu'un mois à la mer ou à la campagne repose et détend le travailleursurmené.

Souvent ces longues journées péniblement remplies de « parties de plaisir », sont pesantes d'ennui pour cet homme actifhabitué à brasser des affaires et à s'attaquer à de vraies difficultés.

Cependant, faisant siens les sentiments manifestés par le milieudans lequel il vit, il aspirera lui aussi vers « l'heureux temps des vacances ».

Au retour, rendant compte à ses amis de l'emploi de sontemps, il laissera dans l'ombre et parviendra à oublier les journées vides et ennuyeuses, au contraire, il mettra en relief l'intérêt d'unefête ou d'une excursion à laquelle, littérateur désoeuvré, il se fût donné sans réserve et le récit qu'il en fera lui procurera peut-être lepremier plaisir totalement sincère.

En définitive, c'est une impression agréable que lui laissera le souvenir de ces semaines d'inaction quela société lui a imposées ; aussi, l'année suivante, il se surprendra, semblable à l'écolier ou au soldat comptant Jes jours qui les séparentdes vacances ou de la libération, à calculer dans combien de temps il laissera son travail, son seul vrai plaisir.La société exerce donc sur nos désirs une action uniformisante et régulatrice.

Laissé à lui-même, l'individu aurait des fantaisies bizarres :qu'on se rappelle les manies de vieilles filles ou de vieillards menant une vie solitaire.

Sans la contrainte du milieu, ses désirs sesuccéderaient sans arrêt, changeants et capricieux comme les démarches de l'imagination qui les provoque.

Les désirs qu'impose lasociété forment comme une trame stable et uniforme sur laquelle la fantaisie personnelle se contente de broder quelque motifornemental.

Sans doute, il est des cas dans lesquels le désir est plus fort que la volonté collective de l'emprise de laquelle il se libère :c'est que, alors, le désir est devenu passion. III.

— SA MORT Le désir devrait normalement, semble-t-il, comme la faim, mourir quand il est satisfait.Mais d'abord est-il jamais satisfait? Nous nous attendons toujours au mieux et, sans nous en rendre bien compte, nous ne désespéronspas, quand il s'agit de nous, de quelque merveilleuse aventure qui trouverait sa place dans les contes de fées.

Aussi, le plus souvent,comparée aux espoirs, la réalité est décevante.

Des plaisirs innombrables entrevus dans une confusion délicieuse et qui tous avaientcontribué à déclencher l'exquis frisson du désir, un seul ou un tout petit nombre nous est donné : il nous est donné dans un contexted'impressions vulgaires et de mesquins désagréments qui le découronnent.

Jamais le désir n'est totalement satisfait.Son intensité, du moins, tombe-t-elle, dans la mesure même où il obtient satisfaction ? L'observation des désirs provoqués par nosbesoins physiologiques pourrait nous le faire croire : un bon repas met fin au désir de manger, et une bonne nuit au désir de sommeil.Mais ne serait-il pas plus juste, dans ce cas, de parler d'appétits au lieu de désirs ? Le désir, avons-nous dit, est provoqué par lareprésentation d'un plaisir et intimement fondu avec elle.

Dans la faim et dans la soif, il y a, en plus et avant tout, une sensation : c'est àla sensation pénible que nous mettons fin en mangeant et en buvant, mais le désir d'éprouver de nouveau le plaisir de manger et deboire n'en est pas supprimé : c'est bien pour cela que les Romains avaient un « vomitorium ».Bien plus, c'est un renforcement et parfois une exaspération du désir qui résulte de sa satisfaction.

Ayant obtenu ce que nous convoitionsdepuis des jours ou des mois, c'est un degré de plus de bonheur que nous cherchons à atteindre : la spéculation la plus heureuse nesatisfait pas le financier, et il désire toujours ajouter quelques millions à ceux qu'il possède.

La femme vaniteuse qui a réussi à se faireaccepter dans un salon qui lui était fermé, songe aussitôt aux moyens de se faire admettre dans un milieu qui passe pour plus distinguéencore.

L'homme de désir est comme le tonneau des Danaïdes, un gouffre que les chances les plus extraordinaires ne peuvent combler. Conclusion. — La sagesse consisterait-elle donc, ainsi que l'ont enseigné nombre de philosophes, à restreindre ses désirs, et, si possible, à tuer en soi la racine même du désir ? Ce désir de tuer en soi tout désir est peut-être le plus chimérique de tous, car, nous l'avons dit, ledésir n'est que la tendance prenant conscience de soi, et, la tendance, c'est la vie même : vouloir vivre sans désirs, c'est vouloir ne pasvivre.Le sage ne doit donc pas chercher à étouffer le désir, ressort de toute activité ; mais il doit l'accrocher à ce qui est désirable pour l'hommeet digne de la raison qui l'ennoblit.

Sans doute l'idéal vers lequel nous tiendrons les yeux éperdument fixés s'éloignera à mesure que seréalisera notre désir de l'atteindre.

Le tout est que nous nous maintenions tendus vers lui, restant jusqu'à notre dernière heure deshommes de désir.Sommes-nous trop terre-à-terre pour porter notre regard jusqu'à cet idéal qui attire les saints et les héros ? Prenons du moins consciencedes tendances supérieures qui restent virtuelles en nous, et nourrissons l'humble mais vivifiant désir de grands désirs.. »

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