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Commentez ce jugement de Pascal : « Ce n'est pas dans Montaigne, mais dans moi, que je trouve tout ce que j'y vois. »

Publié le 30/03/2009

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pascal

Introduction. — Le livre est un maître incomparable : auprès d'une bibliothèque bien fournie, on dispose de toutes les connaissances désirables; ces nombreux volumes restent constamment à notre portée, sans toutefois s'imposer à nous d'une manière fâcheuse : ils nous permettent de marcher à notre allure personnelle et de faire d'eux l'usage que nous estimons opportun; sans crainte de le blesser, nous pouvons, après en avoir lu quelques pages, les remettre en rayon et chercher ailleurs notre plaisir ou notre nourriture... Aussi le livre est-il devenu le maître principal de l'adulte cultivé.  Mais la lecture suffit-elle à nous instruire, et est-ce dans les livres eux-mêmes que nous trouvons tout ce qu'ils nous apprennent ? Une réponse à cette question nous est fournie par la célèbre remarque de Pascal : « Ce n'est pas dans Montaigne, mais dans moi, que je trouve tout ce que j'y vois. « (Edit. Brunschvicg)    I. Ce qu'il y a dans Montaigne. — Cette observation ne signifie nullement une moindre estime de l'auteur des Essais. Pascal, sans doute, bien que porté lui-même à un certain scepticisme, ne se repose pas dans le « que sais-je ? « satisfait et quelque peu libertin de ce Montaigne qu'il sent par trop étranger au sentiment du tragique de la destinée humaine et dont la religion semble ignorer le crucifié. Il n'approuve pas « le sot projet qu'il a eu de se peindre «. Il prononce même contre lui des jugements sévères : « Les défauts de Montaigne sont grands «, et il lui reproche de « dire des sottises« et « d'en dire par dessein., ce qui n'est pas supportable « (p. 343). Mais ce réquisitoire est bien atténué par la réflexion suivante : « Ge que Montaigne a de bon ne peut être acquis que difficilement. Ce qu'il a de mauvais, j'entends hors les moeurs, pût être corrigé en un moment si on l'eût averti qu'il faisait trop d'histoires, et qu'il parlait trop de soi. « (p. 345.) Qu'y a-t-il donc dans les Essais pour que Pascal en fasse sa nourriture ?

pascal

« apparaît le personnage de Montaigne dans sa vie de tous les jours, avec son caractère, ses idées, ses goûts.Du contenu des Essais, Pascal ne trouvait en lui-même que ce qu'il y « voyait »; comprenons : ce qu'une curiositéélective y cherchait et en rapportait, des idées générales sur toutes choses et sur l'homme, en d'autres termes unephilosophie et une psychologie.

En effet, c'est en eux-mêmes, beaucoup plus que dans les livres, que regardent lesvrais philosophes et les vrais psychologues.Si la vérité des faits historiques ne peut être connue qu'au moyen de documents et pratiquement dans des ouvragesd'histoire, il n'en est pas de même de la vérité de jugements portés sur la morale ou sur une conception générale dela vie.

Comme le dit Montaigne : « La vérité et la raison sont communes à un chacun, et ne sont plus à moi qui les adites premièrement, qu'à qui les dit après : ce n'est non plus selon Platon que selon moi, puisque lui et moil'entendons et voyons de même.

» (Essais, L.

I, chap.

xxv, édit.

Garnier, t.

I, p.

118.) Ainsi, c'est en lui, et non enMontaigne, que Pascal voit ce qui est pour lui la vérité du Pyrrhonisme.

Sur ce point, la lecture des Essais ne luiapprend rien de nouveau; elle l'amène seulement à des constatations ou à des réflexions qu'il n'aurait pas faitessans cela.A Plus forte raison ne parvient-on pas à la connaissance profonde de l'homme et de soi-même en lisant des étudesde psychologie : dans ce domaine, ce que nous trouvons dans les livres ne prend de sens, que grâce à notreexpérience, ne devient éclairant qu'une fois réalisé mentalement en nous.

Aussi comprend-on que, psychologue detempérament, Pascal trouve en lui-même tout ce qu'il voit dans Montaigne concernant la psychologie humaine et sapropre psychologie. B.

Mais si nous faisons attention au texte que nous avons à commenter, nous découvrirons qu'il suggère davantage: Pascal voit dans Montaigne plus qu'il n'y a.

Il ne dit pas, en effet : «Ce n'est pas dans Montaigne, mais dans moi,que je trouve ce que j'y vois »; il écrit : « ...tout ce que j'y vois.

» Ce tout manifeste l'étonnement éprouvé enconstatant la richesse des pensées qui l'assaillent au cours de la lecture de quelques pages des Essais.

Le contenude son esprit déborde singulièrement celui des phrases qu'il vient de lire.

Ce n'est donc pas dans le livre qu'il trouvece qu'il voit; c'est en lui-même.

Comment cela ?Il s'en faut de beaucoup que nous parvenions à coucher sur le papier tout ce que nous pensons avec la nuancepropre que ces pensées prennent chez nous.Nous sommes obligés de nous limiter, ne disant rien de raisons lointaines, qui sont peut-être les raisonsdéterminantes, de retentissements indirects qui, parfois, nous émeuvent plus que les conséquences immédiates.

Ilreste beaucoup d'implicite dans la pensée, et en l'explicitant il nous arrive, comme à Pascal, d'avoir l'impression detrouver dans ce que nous lisons plus que l'auteur n'y a mis.Parfois, d'ailleurs, cette impression ne nous trompe pas, car, de fait, la réflexion d'un autre nous amène souvent àdes considérations qui lui sont étrangères.

En effet, nous ne pensons pas avec la raison pure dont les logiciensdéterminent les lois.

Nous pensons avec tout ce que nous sommes, avec notre éducation et notre savoir, avec nossentiments et nos intérêts.

Par suite, la lecture de la pensée d'un Montaigne ou d'un Pascal nous amène à élaborernotre propre pensée, une pensée personnelle, sensiblement différente de celle qu'ont exprimée les auteurs que nouslisons et autrement vivante pour nous.Il y a donc une importante marge entre ce que dit un écrivain et ce que le lecteur y trouve : la masse y trouvebeaucoup moins; un Pascal y trouve beaucoup plus. Conclusion. — Il ne faut donc pas considérer les livres comme un instrument de culture de valeur absolue.

Dans la mesure où ils dispenseraient de penser personnellement, ils exerceraient sur nous une action néfaste.

Le livreformateur n'est pas celui dans lequel nous apprenons beaucoup de choses, mais celui qui, excitant notre cogitative,ne constitue qu'un point de départ ou une amorce pour notre propre réflexion.

Il faut donc, comme Pascal, préférerles livres qui nous donnent l'impression de trouver en nous plus qu'en eux ce que nous y lisons.. »

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