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A. Gide voit dans toute la littérature française un dialogue entre deux formes de pensée dont tout jeune esprit serait faussé s'il n'écoutait ou si on ne lui laissait entendre que l'une des deux voix. Il écrit notamment : « Le dialogue reprend avec Pascal contre Montaigne. Il n'y a pas d'échange de propos entre eux, puisque Montaigne est mort lorsque Pascal commence à parler; mais c'est pourtant à lui qu'il s'adresse — et pas seulement dans l'illustre Entretien avec M. de Sacy. C'est a

Publié le 18/02/2011

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gide

A. Gide, consacrant une étude à Montaigne dont il se sent très proche, voit la pensée française partagée en deux tendances opposées, mais complémentaires, dont les représentants se répondent à travers notre littérature. C'est ainsi qu'il voit dans l'oeuvre de Pascal une réponse aux Essais, en remarquant que les Pensées s'appuient en même temps qu'elles s'opposent au livre de Montaigne. S'il est peu contestable que Pascal ait souvent présente à l'esprit la pensée de Montaigne, et si un critique a pu dire : « Ces pensées sont des soeurs ennemies; mais elles sont des soeurs « (P. Moreau, Montaigne), il sera plus délicat de préciser dans quelle mesure Pascal s'appuie sur les Essais, dans quelle mesure il s'y oppose.

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« condition : passages empruntés pour la plupart à l'Apologie de Raymond Sebond et qui tendent à nous faire sentirnotre misère.Il faudrait rapprocher ici les textes pour mesurer exactement ce que Pascal doit à Montaigne, comment il modifie laforme et parfois la pensée.

Faute de pouvoir citer nous donnerons les références essentielles.Évoquant l'homme perdu au sein de l'univers (II, 72.

Hat.

9), Pascal se souvient.

d'un passage de I, 25; mais si l'idéedes deux infinis ne s'y trouve pas, dans l'Apologie Montaigne montre que « toute humaine nature est toujours aumilieu ».

L'idée que « l'homme n'est ni ange, ni bête » (VI, 358 et 418, Hat.

13 et 5o) provient de III, 13, sans queMontaigne cherche à en rendre compte par le dogme.

Sous le nom de puissances trompeuses, Pascal réunit denombreux passages de II, 12 et aussi III, 8, soit qu'il peigne les effets de l'imagination (II, 82, 83, 88, Hat.

16, 17,2o) bien que le mot ne soit pas chez Montaigne; de la coutume (II, 93, Hat.

23) Essais, I, 22 ; Montaigne avaitdépeint la vaine agitation de l'homme (I, 19; I, 42; III, 4; III, 10), Pascal reprend ses observations psychologiques,tout en établissant un rapport plus étroit entre le divertissement et la misère de l'homme.

Montrant l'hommeincapable de vérité, Pascal (VI, 386, Hat.

31) reprend à l'Apologie la comparaison de la vie à un songe, comme il ytrouve (ainsi que dans I, 54) les pensées V, 294., 315, 325, 327, Hat.

2, 16) sur son impossibilité d'atteindre laJustice, mais s'en sépare lorsqu'il explique la « raison des effets », qu'il lui reproche de ne pas avoir vue (III, 234).Dans son entretien, après avoir résumé la pensée de Montaigne dans l'Apologie, il précise comment il entend s'enservir (Br., 162, Hat.

220) : « Montaigne est incomparable pour confondre l'orgueil de ceux qui, hors la foi, sepiquent d'une véritable justice; pour désabuser ceux qui s'attachent à leurs opinions, et qui croient trouver dans lessciences des vérités inébranlables; et pour convaincre si bien la raison de son peu de lumière et de ses égarements,qu'il est difficile, quand on fait un bon usage de ses principes, d'être tenté de trouver des répugnances dans lesmystères.

»Montaigne dit de même (II, 12.

Pléiade, p.

563) du pyrrhonisme qu'il « présente l'homme...

reconnaissant safaiblesse naturelle, propre à recevoir d'en haut quelque force étrangère, dégarni d'humaine science, et d'autant plusapte à loger en soi la divine, anéantissant son jugement pour faire plus de place à la foi ». III.

- PASCAL S'OPPOSE A MONTAIGNE A.

La dialectique pascalienne (cf.

L.

Goldmann, Le dieu caché, N.R.F., 1955) repose sur cette idée que l'erreur estune vérité partielle et qu'il faut s'appuyer sur cette vérité partielle qui est dans l'esprit d'autrui pour l'amener àdécouvrir l'autre aspect de la vérité en dépassant les contradictions.

Ainsi Pascal peut-il écrire : « Le pyrrhonismeest le vrai » (432.

Hatier, VII, 7), mais ce n'était que parce que Pyrrhon ignorait la révélation.

La rencontre dePascal et de Montaigne n'est qu'une étape de sa dialectique : il en est ainsi à propos de notre organisation socialeet de notre incapacité d'atteindre la justice.

La pensée VI, 375 (Hatier, VI, 22) marque le principe de cerapprochement.

« J'ai passé longtemps de ma vie en croyant qu'il y avait une justice; et en cela je ne me trompaispas; car il y en a, selon que Dieu nous l'a voulu révéler.

Mais je ne le prenais pas ainsi; et c'est en quoi je metrompais.

Mais ce passage supprimé par Arnauld ne montre pas encore tout le mouvement de la pensée de Pascal etpourrait paraître pyrrhonien.Tout ce qui dans la coutume paraît dérisoire se trouve justifié lorsqu'il examine « la raison des effets ».

Sous ce titre(V, 315.

Hatier, V, 9) il écrit : « Cela est admirable : on ne veut pas que j'honore un homme vêtu de brocatelle etsuivi de sept ou huit laquais! Eh quoi! il me fera donner les étrivières si je ne le salue.

Cet habit, c'est une force...Montaigne est plaisant de ne pas voir quelle différence il y a, et d'en demander la raison ».Il s'en prend encore à Montaigne (V, 325, Hat.

r5) : « Montaigne a tort: la coutume ne doit être suivie que parcequ'elle est coutume, et non parce qu'elle soit raisonnable ou juste, etc.

».

Il faut lire la pensée 328 (Hat.

V, 17) : «Raison des effets.

Renversement continuel du pour au contre.

»Ce mouvement dialectique s'éclaire aussi par la pensée 385 (Hat.

VI, 3o) : « Chaque chose est ici vraie en partie,fausse en partie.

La vérité essentielle n'est pas ainsi : elle est toute pure et toute vraie.

Nous n'avons ni vrai ni bienqu'en partie, et mêlé de mal et de faux.Ainsi la faiblesse de l'homme exposée par Montaigne est vraie; mais elle n'est qu'une partie de la vérité.

Pascal nes'appuie pas sur Montaigne seulement, mais aussi sur Epictète, qu'il juge incomparable pour montrer la grandeur del'homme.

Chacun a vu un aspect de notre nature.

« Ces deux états qu'il fallait connaître ensemble pour voir toute lavérité, étant connus séparément, conduisent nécessairement à l'un de ces deux vices, l'orgueil et la paresse.

»Pascal se servira donc de l'un contre l'autre; si Epictète combat la paresse, il mène à l'orgueil; mais Montaigne estpernicieux pour ceux qui ont quelque pente à l'impiété et aux vices.

En les opposant l'un à l'autre Pascal espère fairedisparaître leurs défauts; mais seule la religion chrétienne résoudra leurs contradictions, parce qu'elle seule tientcompte à la fois de la grandeur passée de l'homme et de sa misère présente.

C'est donc à 'Mois en s'appuyant surMontaigne et en s'opposant à lui qu'il s'écriera, dans une pensée qu'il faudrait relire entièrement : « (VII, 434, Hat.9) « Qui démêlera cet embrouillement? La nature confond les pyrrhoniens, et la raison confond les dogmatiques.

Quedeviendrez-vous donc, ô hommes qui cherchez quelle est votre véritable condition par votre raison naturelle? Vousne pouvez fuir une de ces sectes, ni subsister dans aucune.

Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes àvous-même...

Écoutez Dieu.

» B.

Les « défauts » de Montaigne.

Ce que Pascal critique en Montaigne, ce n'est pas seulement « le sot projet qu'il ade se peindre », de trop parler de soi, de la confusion (cf.

Br.

62, 65, 63) ou des divergences sur la coutume, cesont les tendances morales de l'homme et c'est sa philosophie sceptique.a) Sur le plan moral ce qui devait opposer Pascal à Montaigne, ce sont les tendances profondes de leurs caractères.Pascal réprouve en Montaigne les tendances d'un homme qui serait surtout préoccupé de vivre heureux, cherchant. »

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