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DE LA FACULTÉ DE CONNAITRE , OU DE LA RAISON. — CARACTÈRE PROPRE DE CETTE FACULTÉ.

Publié le 15/06/2011

Extrait du document

I. De la Raison.

1. La faculté de connaître, une et indécomposable en soi, se présente sous deux faces différentes, qui sont l'expérience et la raison. Mais il n'y a pas ,de véritable connaissance sans la réunion de ces deux points de vue, et ce n'est que d'une manière abstraite et scientifique qu'on peut envisager l'expérience sans la raison et la raison sans l'expérience. 2. L'expérience est la connaissance du particulier, du fini, du relatif; mais le particulier, le fini, le relatif, n'ont de sens que par l'universel, l'infini, l'absolu. Comment le: corps serait-il intelligible sans l'espace , la succession sans le temps, la pluralité sans l'unité, etc.? Et aussi réciproquement la raison est la conception de l'universel, de l'infini, de l'absolu; mais ces choses ne sont saisissables pour nous que par le particulier, le fini, le relatif. Comment l'espace serait—il intelligible sans la connaissance d'aucun corps, le temps sans la connaissance d'aucun acte, l'unité sans celle de phénomènes divers, etc.? 3. Ainsi l'expérience et la raison ne sont pas deux facultés à part, mais une seule faculté atteignant simultanément le fini et l'infini, le contingent et le nécessaire, etc. L'expérience, c'est la faculté de connaître appliquée aux faits isolés, localisée; et la raison, c'est la faculté de connaître s'élevant au-dessus des faits, atteignant l'absolu.

« d'opinions, d'affections, ne changent rien à ce fond commun des intelligences.

C'est ce qu'exprime le mot universel.2.

Le caractère d'impersonnel jette de merveilleuses lumières sur l'origine de la raison.

La raison est en nous et cen'est pas nous qui la constituons ; et non-seulement nous ne la constituons pas, mais nous ne saurions la modifier:elle est plus forte que nos efforts, elle est supérieure à nous.

Si elle est indépendante de nous, si elle ne vient pasde nous, d'où vient-elle donc? sans doute du monde dont elle porte l'empreinte.

Et quelle empreinte porte-t-elle?celle de l'absolu.

Elle exprime ce qui est de soi, ce qui ne peut pas ne pas être, ce qui est avant tout, ce quiresterait après tout, ce qui est éternellement.

Elle exprime enfin le monde incréé, la nature divine.3.

Il est donc vrai rigoureusement que la raison, est un rayon de l'intelligence divine, la pensée de Dieu illuminantnotre pensée.

Il n'y a pas autant de raisons qu'il y a d'êtres pensants; il n'y a qu'une seule raison, la raison de Dieu,brillant plus ou moins dans chacun , comme il n'y a qu'un soleil éclairant tous les regards.4.

Malheureusement, aux caractères qui précèdent, il faut en joindre deux nouveaux qui n'appartiennent pas à laraison même, mais aux circonstances qui entourent son apparition dans notre nature imparfaite.5.

En premier lieu, la raison est limitée.

Tout ce qu'elle dit est vrai, éminemment vrai ; mais elle ne dit pas tout levrai.

Elle nous fait concevoir plutôt que connaître.

Elle nous dit avec une autorité souveraine que tous leschangements viennent d'une cause; mais elle se tait sur la nature des causes.

Elle nous élève jusqu'à Dieu, mais ellenous le montre voilé, et nous concevons ses adorables attributs, nous ne pouvons les embrasser.

Sur toutes lesrévélations de la raison se trouvent des nuages, elle ne nous laisse point livrés au doute, mais elle ne nous découvrela vérité que de loin et d'un seul côté, etc.6.

En second lieu, la raison, tout en restant impersonnelle , se mêle en nous aux éléments personnels.

Infaillible ensoi, elle donne lieu à des applications faillibles.

Sous sa forme générale et axiomatique, elle est vraie de toute savérité.

Mais dès qu'il s'agit de redescendre de ces hauteurs, d'appliquer la raison à l'expérience et de rentrer dans ledomaine des vérités partielles, il nous faut user d'une infinité de précautions contre notre faiblesse, notreprécipitation, nos passions.

Les longs tâtonnements, les preuves, les contre-épreuves, le contrôle mutuel del'expérience humaine, sont le cortège indispensable de toute vérité nouvelle, c'est-à-dire de toute applicationnouvelle de la raison; non qu'il ne soit possible enfin d'arriver au vrai, hors de la sphère des axiomes, cette assertionest démentie par nos convictions de tous les instants; mais nous n'y arrivons plus d'emblée et comme d'inspiration,et le caractère de certitude se fait souvent attendre fort longtemps.

Si l'on y veut réfléchir, on trouvera que lesvérités avec lesquelles nous sommes aujourd'hui le plus familiers , n'ont été dans le principe formées qu'à forced'hésitations, d'inquiétudes, de vérifications , etc.7.

Si donc la raison est absolue, et si elle nous ouvre des aperçus bien précieux sur l'infini, sur l'incréé, néanmoinselle est bornée, et ce n'est qu'en partie qu'elle dissipe l'obscurité de notre ignorance native; et si elle est de sanature infaillible, ce n'est qu'à des conditions lentes et pénibles, quoique sûres, que cette infaillibilité passe dans lesapplications. III.

De la Foi naturelle. I.

L'adhésion profonde, spontanée, que nous donnons aux vérités rationnelles, est ce que l'on appelle la foi naturelle.Nous avons foi en l'évidence, ou, ce qui est la même chose, nous y croyons.

Sans la foi, ainsi entendue, il n'y a nuldéveloppement humain.

Les mathématiques reposent sur la foi aux axiomes; la physique , les autres sciences, sur lafoi à l'immutabilité des lois qui régissent les êtres ; les arts, sur la foi au beau ; la vertu, sur la foi au bien, etc.2.

Ce fait de la foi, pris dans toute son étendue et dans toutes ses applications, est-il un fait purement intellectuel?et croire ne diffère-t-il en aucune façon de connaître certainement? Il est facile de s'apercevoir qu'il y a unedifférence entre ces deux choses et que la foi est un fait mixte qui tient de l'intelligence et qui tient du sentiment.La foi, c'est la confiance.

Croire, c'est se fier (confidere).

Et la confiance , ce n'est pas simplement la connaissancede l'être ou de la chose en qui nous nous fions , ce n'est pas même la connaissance dé ses titres à être cru , c'estau fond un sentiment.

En effet, la foi, la confiance, peuvent être mal placées, n'être pas motivées, être aveugles etdépourvues de certitude.3.

Nous avons foi, 1° en nos facultés, et premièrement en la raison; nous avons foi, 2° dans les autres hommes;nous avons foi, 3° en Dieu et en nos destinées spirituelles .4.

La foi que nous avons en notre raison est spontanée et n'a aucun besoin de preuves : et il le fallait, car si cespreuves étaient nécessaires, qui les donnerait?5.

La foi en nos facultés, en nos jugements ou applications que nous faisons des données de la raison, en nosaffections, en notre puissance, a besoin d'être motivée.

biais, ces motifs étant donnés, elle est aussi légitime que laprécédente.6.

La foi dans les autres hommes a besoin de même d'être motivée, attendu leur imperfection certaine et leurmauvaise volonté possible.

Dans cette sphère, la foi est souvent aveugle.

Un enfant croit aveuglément ses parents,un ami aveuglément son ami, etc.

Le secret du grand général est d'inspirer une foi aveugle à ses soldats; le géniesubjugue et impose aussi une foi souvent aveugle ; un chef de parti exerce la même puissance sur ses adeptes,etc.

Et il est inutile d'insister pour faire comprendre que cette foi aveugle est nécessaire , afin que l'humanité nesoit pas sans cesse à tâtonner au lieu de marcher, à hésiter quand il faut agir.7.

Enfin, la foi en Dieu, en sa providence, est fondée sur la foi même que nous avons en notre raison : etcependant, par une prérogative singulière, mais dangereuse , nous la donnons librement comme nous donnons notrefoi à nos amis.

Nous sommes libres de la refuser; elle ne nous est point arrachée, quoiqu'elle soit évidemment la plusraisonnable de toutes.

Dieu sans doute tenait à l'hommage de nos coeurs.8.

La foi en nos destinées morales, étroitement liée à la précédente, nous est aussi abandonnée en partie.

Nous nesommes pas toujours libres de retenir notre admiration pour la vertu, de ne pas confesser implicitement la spiritualitéet l'immortalité; mais nous sommes libres de faire ou de ne pas faire des actes de foi explicites à ces diverses. »

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