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DESCARTES: C'est proprement avoir les yeux fermes, sans tacher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher

Publié le 18/04/2005

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C'est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher; et le plaisir de voir toutes les choses que notre vue découvre n'est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu'on trouve par la philosophie; et enfin, cette étude est plus nécessaire pour régler nos moeurs et nous conduire en cette vie, que n'est l'usage de nos yeux pour guider nos pas. Les bêtes brutes, qui n'ont que leur corps à conserver, s'occupent continuellement à chercher de quoi le nourrir; mais les hommes, dont la principale partie est l'esprit, devraient employer leurs principaux soins à la recherche de la sagesse, qui en est la vraie nourriture; et je m'assure aussi qu'il y en a plusieurs qui n'y manqueraient pas, s'ils avaient espérance d'y réussir, et qu'ils sussent combien ils en sont capables. Il n'y a point d'âme tant soit peu noble qui demeure si fort attachée aux objets des sens qu'elle ne s'en détourne quelquefois pour souhaiter quelque autre plus grand bien, bien qu'elle ignore souvent en quoi il consiste... DESCARTES
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« ce dont l'émerveillement de l'enfant témoigne, quand un nouveau paysage s'ouvre devant ses yeux.

La vueest en effet le sens privilégié de la découverte du monde dans sa diversité; mais voir le monde, ce n'est pasencore le comprendre, ni savoir s'y diriger.

A cet égard, c'est la philosophie qui doit nous permettre decomprendre ce que nous voyons et de connaître la raison pour laquelle les choses se présentent ainsi et nonpas autrement à nos sens.Si donc la vue nous découvre ,.le visage du monde, la philosophie nous en offre au sens propre la «connaissance » : elle seule peut permettre d'en rendre raison, d'en découvrir les causes.En quoi est-ce alors incomparablement plus satisfaisant ? Prêtons attention aux termes employés parDescartes: au « plaisir » de la vue, 'il oppose la « satisfaction » de la connaissance philosophique.

Si laphilosophie n'est pas seulement, comme la vue, agréable, mais si véritablement elle nous satisfait, c'est qu'ellevient combler pleinement un désir que la vue ne faisait qu'éveiller.

Quel désir la philosophie satisfait-elle, sinonle désir de connaitre et de comprendre en vérité la raison de ce que la vue ne fait que nous montrer ? Si,comme l'indique la suite du texte, la philosophie, que Descartes définit comme une « recherche de la sagesse», de manière conforme à l'étymologie du mot, est « la vraie nourriture de l'esprit », alors en effet, seule ellepeut authentiquement le satisfaire.

Si donc voir est simplement agréable, savoir satisfait notre esprit, carc'est là ce à quoi par essence il aspire: il n'y a bien aucune commune mesure entre les deux.Si la philosophie satisfait les aspirations de l'esprit, elle est aussi, avons-nous dit, ce qui va lui permettre de nepas s'égarer: Descartes revient sur cette idée, qui était sous-entendue dans le début du texte, pour insistersur les bienfaits non pas seulement théoriques de la philosophie -elleprocure « la connaissance » mais aussi et surtout pratiques: elle guide l'action.

Si l'on peut concevoir demarcher sans voir, car après tout on peut faire appel à un moyen de substitution pour se guider, la philosophieest quant à elle indispensable « pour régler nos moeurs et nous conduire en cette vie » : rien rie peut venir s'ysubstituer.Faut-il comprendre par là qu'on ne peut vivre sans philosopher ? Les faits iraient alors contre Descartes: il y a peu d'hommes pour s'adonner vraiment à la philosophie.

Il faut donc bien plutôt comprendre que qui nephilosophe pas est dans l'impossibilité de se donner des règles de vie assurées et fondées à même de le guidersans hésitation dans ses délibérations et ses choix: « régler nos moeurs », c'est agir et vivre selon desprincipes dont on a pu reconnaître la vérité, et donc susceptibles de nous diriger droitement.

Or trouver cesprincipes, c'est précisément le but de la philosophie comme quête de la vérité et de fondements certains:c'est bien là le but du philosophe, que de « rejeter la terre mouvante et le sable pour trouver le roc ou l'argile», en d'autres termes de n'accepter « en sa créance » que des jugements indubitables.

« Plus nécessaire » àla conduite de la vie, que les yeux pour marcher, la philosophie l'est donc sans nul doute: qui ne philosophepas risque sans cesse de s'égarer, quand celui qui ne voit pas petit pallier sa déficience.Si la philosophie est à ce point nécessaire, puisque seule elle est à même d'offrir un principe directeursatisfaisant pour l' existence, tous les hommes « devraient » philosopher: c'est le constat logique auquelDescartes parvient.

L'homme, en effet, se distingue des animaux avant tout par la dimension spirituelle de sonêtre, que seul entre tous il possède.

Il est naturel que les animaux, « qui n' ont que leur corps à conserver »,autrement dit, dont tout l'être se ramène à une dimension corporelle, ne fassent point autre chose que dechercher « continuellement » à le nourrir : le principe qui règle leurs moeurs leur est donné par la nature, etc'est la nature encore qui spontanément et immédiatement le réalise en eux par le biais de l'instinct.

L'animal,quand il cherche à nourrir son corps pour se maintenir en vie, accomplit donc spontanément sa nature propre;nullement, conscient de lui-même, tout ce qui est de l' ordre de la pensée est destiné à lui demeurer inconnuet n' est pas de son ressort.

Ce qui est pour ainsi dire moins naturel, c'est que les hommes n'accordent pasdes soins analogues à ce qui constitue« la principale partie » de leur être, à savoir l'esprit ne devraient-ils pass'en préoccuper avant toute autre chose, avant même leur corps, en lui procurant la « nourriture » qui luiconvient ? La tournure de la phrase et l'emploi du conditionnel indiquent que les hommes ne le font pas: aulieu de se préoccuper de leur esprit en lui apportant la « nourriture » seule à même de le satisfaire, soit ilsaccordent tous leurs soins aux choses matérielles, en cherchant par exemple le pouvoir, ou la fortune, ou lesplaisirs du corps, soit ils se contentent pour leur esprit d'une « nourriture » pour ainsi dire de mauvaise qualité,à savoir d'opinions mal assurées, et de ce fait peut-être erronées, bref d'une nourriture qui est donc « fausse» à tous égards.Mais Descartes laisse entendre qu' aucune de ces préoccupations ne constitue « la vraie nourriture » del'esprit.

Si en effet l'esprit, c'est cette dimension de notre être par laquelle nous sommes ouverts à ce quioutrepasse les données des sens et les préoccupations matérielles, il faut nécessairement en sortir pour lesatisfaire: c'est précisément à 'quoi nous invite la philosophie, qui n'est autre que cette « recherche de lasagesse » dont parle Descartes.

Philosopher, c'est étymologiquement, désirer la sagesse, c'est-à-dire chercherà parvenir à une connaissance vraie, à un jugement droit et serein parce que fondé en vérité, quête qui neconcerne que la pensée, détachée des soucis liés au corps et au monde sensible en général.

Que laphilosophie soit la « vraie nourriture » de .1'esprit est donc à comprendre en un double sens:non seulement philosopher est conforme à l' essence de l'esprit, mais aussi seule la vérité est à même de nourrir en propre l' esprit.

Reste à expliquer pourquoi la plupart des hommes ne font pas ce qu'ils « devraient pourtant faire, s'ils se conduisaient conformément à ce que leur nature de sujets pensants leur prescrit-' ,\II semblerait que ce soit non pas une incapacité, mais un sentimentd'impuissance qui en empêche « plusieurs » de s'adonner à la philosophie, comme si la tâche était au-dessusde leurs forces, comme s'ils nesavaient pas « combien ils en sont capables ».

Comment expliquer cela ?Peut-être les hommes tiennent-ils en général la sagesse pour l'inaccessible privilège des dieux, peut-être etmême plus probablement, certains, considérant la difficulté de la tâche, y voient-ils un argument pour nejamais « tâcher » de s'y essayer.

Pour reprendre des expressions cartésiennes, il est sans doute en effet. »

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