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DESCARTES et l'office de la raison

Publié le 16/04/2009

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descartes
Mais souvent la passion nous fait croire certaines choses beaucoup meilleures et plus désirables qu'elles ne sont; puis, quand nous avons pris bien de la peine à les acquérir, et perdu cependant l'occasion de posséder d'autres biens plus véritables, la jouissance nous en fait connaître les défauts, et de là viennent les dédains, les regrets et les repentirs. C'est pourquoi le vrai office de la raison est d'examiner la juste valeur de tous les biens dont l'acquisition semble dépendre en quelque façon de notre conduite, afin que nous ne manquions jamais d'employer tous nos soins à tâcher de nous procurer ceux qui sont, en effet les plus désirables; (...) Au reste, le vrai usage de notre raison pour la conduite de la vie ne consiste qu'à examiner et considérer sans passion la valeur de toutes les perfections, tant du corps que de l'esprit, qui peuvent être acquises par notre conduite, afin qu'étant ordinairement obligés de nous priver à quelques-unes, pour avoir les autres, nous choisissions toujours les meilleures. Et parce que celles du corps sont les moindres, on peut dire généralement que, sans elles, il y a moyen de se rendre heureux. Toutefois, je ne suis point d'opinion qu'on les doive entièrement mépriser, ni même qu'on doive s'exempter d'avoir des passions; il suffit qu'on les rende sujettes à la raison, et lorsqu'on les a ainsi apprivoisées, elles sont quelquefois d'autant plus utiles qu'elles penchent plus vers l'excès. DESCARTES
• Pourquoi, selon Descartes « Le vrai office de la raison est d'examiner la juste valeur de tous les biens dont l'acquisition semble dépendre en quelque façon de notre conduite «? — Pourrait-on imaginer que « la raison « ait d'autre(s) office(s) en cette matière ? — Si oui, lesquelles ? — Que peut signifier ici le terme « biens « ? • Peut-on parler, selon Descartes, de « perfections « (de biens) aussi bien à propos du « corps « que de « l'esprit « ? • Qu'est-ce qui peut justifier que « celles du corps sont les moindres «? — Importance du mot « généralement «? — « Les passions « sont-elles rapportées au corps par Descartes (implicitement ou explicitement)? • Descartes valorise-t-il ou dévalorise-t-il les passions selon qu'elles penchent plus ou moins vers « l'excès « ? Est-ce cette distinction qui est fondamentale pour lui ? • Que signifie « il suffit qu'on les rendent sujettes à la raison « ? • Que pensez-vous de la façon dont Descartes pense les passions? • Que pensez-vous de sa position en ce qui concerne les passions? • En quoi ce texte a-t-il un intérêt philosophique ?

descartes

« passions.

Pour lui, « il n'y a point de meilleur chemin pour venir à la connaissance de nos passions que d'examiner ladifférence qui est entre l'âme et le corps » (Traité des Passions, article.

Nous utiliserons désormais les abréviationssuivantes.

T.P.

et a.

pour article.) Mais si l'âme et le corps sont différents, ils n'en sont pas moins unis de telle sortequ'il n'y a rien « qui agisse plus immédiatement contre notre âme que le corps auquel elle est jointe » (ibid.) (1).

Lapassion vient de ce que le corps fait en quelque sorte mouvement vers l'âme.

Les passions sont ainsi la traductiondans l'âme de mouvements corporels.Étudions maintenant la seconde partie de la première moitié du texte.

Afin d'éviter autant que possible de fairefausse route en cherchant à acquérir des biens qui n'en valent pas la peine, l'homme doit se servir de sa raison.C'est ainsi qu'il peut évaluer à leur « juste valeur » les biens qu'il désire acquérir.

La raison doit donc faire officed'examinateur pour repérer et dénoncer les erreurs d'évaluation dues aux effets des passions.

Elle a une fonction dediscrimination.

Ce que dit Descartes dans cette seconde partie de la première moitié du texte se retrouve dans lapremière partie de la seconde moitié.

Dans les deux cas il s'agit de la conduite de la vie, c'est-à-dire de la viepratique, de l'action morale.

Ce passage est à mettre en parallèle avec l'article 138 du Traité des Passions qui nousapprend que «nous devons nous servir de l'expérience et de la raison pour distinguer le bien d'avec le mal etconnaître leur juste valeur, afin de ne prendre pas l'un pour l'autre, et de ne nous porter à rien avec excès ».

Ainsidans la vie pratique, ou si l'on préfère dans la vie morale (notre « conduite »), Descartes accorde une certaineimportance à l'expérience (1).

Si l'homme ne peut ni ne doit supprimer les passions — ce qui reviendrait à faireabstraction du corps —, il faut qu'il apprenne à en faire bon usage sous le contrôle de la raison et avec l'aide del'expérience.

Remarquons encore que dans l'extrait de l'article 138 que nous venons de citer, Descartes condamnetout excès alors qu'à la fin du texte que nous commentons il déclare que les passions « sont quelquefois d'autantplus utiles qu'elles penchent plus vers l'excès ».

Il y a là semble-t-il une difficulté sur laquelle nous devrons revenirlorsque nous étudierons cette dernière phrase.Quand Descartes parle des biens « dont l'acquisition semble dépendre en quelque façon de notre conduite », il sesitue dans une perspective comparable à celle des Stoïciens.

Nous disons bien comparable, mais non identique.

LeManuel d'Épictète débute ainsi : « Parmi les choses qui existent, les unes dépendent de nous, les autres n'endépendent pas ».

Dépend de nous tout ce qui est «notre oeuvre », comme le désir ou l'aversion, n'en dépend pastout ce qui n'est pas « notre oeuvre » comme le corps, les dignités, etc.

Nous aurons l'occasion de voir brièvementplus loin combien, en ce qui concerne la passion, les conclusions de Descartes diffèrent de celles des Stoïciens.Poursuivons pour l'instant notre comparaison.

Dans une précédente lettre à Elisabeth (4 août 1645), Descartes ditque si la vertu par exemple dépend de nous, la santé en revanche n'en dépend pas.

A ce propos, il y a lieu dedistinguer avec lui et à la suite de Sénèque la bonne fortune (ou « l'heur ») et la béatitude.

Il faut savoir en effetque « l'heur ne dépend que des choses qui sont hors de nous...

au lieu que la béatitude consiste, ce me semble, enun parfait contentement d'esprit et une satisfaction intérieure ».

Ce qui, au premier chef, dépend de nous, c'estpour Descartes notre libre arbitre ou volonté ou encore, en reprenant une expression des Méditations, notrepuissance d'élire [le choisir].

Dès lors le souverain bien «consiste en l'exercice de la vertu, ou, ce qui est le même,en la possession de tous les biens dont l'acquisition dépend de notre libre arbitre » (lettre à Élisabeth du 6 octobre1645).Il convient d'étudier ici le concept de valeur qui apparaît à deux reprises dans notre texte et qui se trouve au centrede la phrase que nous analysons présentement.

Il est bien certain qu'afin d'éviter toute digression nousn'entamerons pas ici une étude, même brève, du concept de valeur en général (1).

Mais nous devons nousinterroger sur la situation qu'occupe ce concept non seulement dans ce texte-ci mais encore dans la pensée deDescartes.

Avec Descartes, on assiste à l'avènement ou philosophie du concept de valeur, avènement rendupossible par certaines analyses de Platon, d'Aristote et des Stoïciens.

Ce concept va peu à peu acquérir del'importance au fil du développement, ou mieux du déploiement de la philosophie moderne.

Il en deviendra, au XIXesiècle, un des concepts-clés.

Pour que les hommes puissent apprécier à leur « juste valeur » les biens quidépendent d'eux, il est nécessaire qu'ils connaissent la vérité.

Autrement dit, même « la force de l'âme ne suffit passans la connaissance de la vérité » (T.P., a.

49).

La vérité est garante de la valeur.

La juste valeur, c'est la valeurexacte au sens de valeur vraie.

Mais la vérité elle-même revêt chez Descartes et à partir de lui le visage de lacertitude.

C'est dans l'acte de réflexion qui consiste pour l'homme conçu comme sujet à dire « cogito ergo sum » (jepense donc je suis) que réside la certitude.

« Par Descartes et depuis Descartes, l'homme, le « moi » humain,devient d'une manière prééminente le « sujet » dans la métaphysique...

L'homme devient le fondement et la mesureposés par lui-même pour fonder et mesurer toute certitude et [entendre ici : c'est-à-dire] toute vérité »(Heidegger, Nietzsche I, Gallimard, p.

115 et p.

109).

Toutefois, si l'homme en tant que sujet devient bien le centrede toute évaluation, la valeur ne devient pas encore, quant à elle, un concept de premier rang en philosophie.

Carc'est la vérité, nous l'avons vu, qui la détermine.

Avec Descartes la vérité conçue comme certitude n'est pas encoreinterprétée, comme ce sera le cas au xixe siècle, dans l'optique des valeurs (1).Passons à la première partie de la seconde moitié du texte.

Nous avons à vrai dire déjà abordé cette partie enétudiant la dernière partie de la première moitié.

Nous nous bornerons donc à préciser le rapport de la raison avec lapassion.

Dans la perspective de son dualisme, Descartes distingue les perfections du corps de celles de l'âme.Subordonnant le corps à l'âme, il instaure du même coup une hiérarchie ou une échelle des valeurs entre lesperfections corporelles et spirituelles.

Le propre de la raison, répétons-le, est, en s'appuyant au besoin pour ce quiest de la vie morale sur l'expérience, d'opérer un choix en fonction de cette hiérarchie.

Dans la deuxième phrase decette seconde moitié, Descartes tire alors la conclusion de la subordination des perfections du corps à celles del'esprit ou de l'âme en disant que dans la mesure où « celles du corps sont les moindres, on peut dire généralementque, sans elles, il y a moyen de se rendre heureux ».

Notons au passage que l'aspiration au bonheur fait partieintégrante de la morale cartésienne.

Mais c'est surtout l'adverbe « généralement » qui retient notre attention.

Ilconvient de l'entendre ici selon nous au sens de en principe.

Or les principes sont souvent sinon contredits du moinscontrariés par les faits.

Et c'est parce qu'en fait les passions appartiennent en propre à l'homme en tant qu'il estcomposé d'une âme jointe à un corps que Descartes commence sa dernière phrase para toutefois ».

Descartes sait. »

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