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DESCARTES: la grandeur d'un bien

Publié le 16/04/2005

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Je remarque aussi que la grandeur d'un bien, à notre égard, ne doit pas seulement être mesurée par la valeur de la chose en quoi il consiste, mais principalement aussi par la façon dont il se rapporte nous ; et qu'outre que le libre arbitre est de soi la chose la plus noble qui puisse être en nous, d'autant qu'il nous rend en quelque façon pareils à Dieu, et semble nous exempter de lui être sujets et que par conséquent, son bon usage est le plus grand de tous nos biens, il est aussi celui qui est le plus proprement nôtre et qui nous importe le plus, d'où il suit que ce n'est que de lui que nos plus grands contentements peuvent procéder. Aussi voit-on par exemple que le repos d'esprit et la satisfaction intérieure que sentent en eux-mêmes ceux qui savent qu'ils ne manquent jamais à faire leur mieux, tant pour connaître le bien que pour l'acquérir, est un plaisir sans comparaison plus doux, plus durable et plus solide que tous ceux qui viennent d'ailleurs. DESCARTES

 Descartes, dans ce texte très dense et à la composition très serrée, envisage la question de la hiérarchie des biens en mettant au-dessus de tous le libre arbitre. S'il est un bien plus grand que tous les autres et propre à l'homme, c'est en effet celui-ci. En quoi consiste ce privilège du libre arbitre sur les autres biens, c'est ce à quoi Descartes s'applique à donner une réponse dans ce passage. Il s'agit ainsi pour Descartes, après avoir indiqué comment peuvent s'évaluer des biens, de montrer la primauté du libre arbitre parmi les biens humains, primauté qui se manifeste par le plaisir dont le libre arbitre est à l'origine.  

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« celle de Dieu.

Cette puissance illimitée mais faillible de notre libre arbitre peut néanmoins donner le sentimentde ne pas seulement être à l'image de Dieu, mais aussi de lui être égal.

Nous présumons alors trop de nous-mêmes et, grisés, oublions ou pensons pouvoir nous dispenser de «lui être sujets», c'est-à-dire de le serviren respectant sa volonté.

Nous oublions alors notre rang de créatures en prenant la place du Créateur, etl'usage de notre libre arbitre est alors dévoyé.

C'est en ce sens que, plus que le libre arbitre lui-même, c'estson usage qui est «le plus grand de tous nos biens». [3.

Le libre arbitre est le bien qui nous est le plus propre.] Le libre arbitre est aussi le bien qui est le plus enrapport avec notre nature, Descartes précisant : «celui qui est le plus proprement nôtre».

Il fautcomprendre par là que c'est notre propre, celui qui fait de nous, plus que l'entendement même, ce que noussommes.

S'il y a une chose que nous possédons en propre, c'est notre volonté.

Nous la possédons en effetplus que toute autre chose parce que nous pouvons en user librement, et ce par définition.

Alors même quenous pourrions être privés de n'importe quel autre bien sans en être changés, puisque nous sommes avanttout esprit, chose pensante, on ne saurait retirer à quiconque son libre arbitre sans qu'il cessât à l'instantmême d'exister.

L'usage de notre libre arbitre est donc pour cette raison la source et le fondement de tousnos biens et nos maux, et c'est à lui que sont liés «nos plus grands contentements», nos plus grandsplaisirs, puisque le plaisir naît du sentiment de la possession d'un bien. [III.

Le libre arbitre est la cause des plus grands plaisirs.] [1.

Repos d'esprit et satisfaction intérieure comme effets du libre arbitre.] Ce consentement, ce plaisir qui provient de la possession d'un bien dont je suis moi-même l'auteur ou lesujet et non d'un bien qui m'échoit sans que j'y sois pour quelque chose, se manifeste de deux façons, par le«repos d'esprit» et la «satisfaction intérieure».

Ces deux sentiments, proches l'un de l'autre, peuvent sedistinguer en ce que le repos d'esprit est une habitude de l'âme de celui qui agit vertueusement, ainsi qu'ilressort de l'article 190 des Passions de l'âme qui nomme cette habitude repos de conscience, alors que lasatisfaction intérieure ou satisfaction de soi-même est une passion (au sens classique du terme : unmouvement de l'âme) causé par un acte singulier.

Ces deux sentiments parents l'un de l'autre s'expliquentpar la conscience que j'ai d'avoir fait, généralement ou en une occasion particulière, bon usage de mon librearbitre.

Plus précisément, ce bon usage ne tient pas au résultat de mon acte, mais à ma résolution ou, pourainsi dire, en termes kantiens, à mon intention : le bon usage du libre arbitre consiste en effet, nous ditDescartes, à ne jamais manquer de faire notre mieux.

Il importe peu (du moins pour le sentiment de reposd'esprit ou de satisfaction intérieure) que l'action atteigne son but ou le manque, puisque ce qui suscite cesentiment est la conscience d'avoir bien agi. [2.

Comparaison des plaisirs issus du libre arbitre avec ceux qui ne le sont pas.] C'est pour cette raison que ce sentiment si particulier est supérieur à tous les autres : il s'agit en effet d'unsentiment d'un genre tout particulier, de l'âme faisant retour sur elle-même et qui, dès lors, n'a pour causeque l'âme, a son fondement en l'âme et en aucun autre bien extérieur.

Alors que tout plaisir ayant pourcause un objet des sens est toujours instable et mêlé de peine, la satisfaction de soi ou le repos d'espritpeuvent s'éprouver à l'occasion de n'importe quel acte, lors même que je pourrais ressentir de la tristesse(lorsque j'ai échoué dans mon effort de faire le bien), puisqu'il tient entièrement en ma volonté de «connaîtrele bien» ou de «l'acquérir».

Aussi ce plaisir de l'âme est-il «plus doux», parce que rien d'extérieur, rien decorporel ne vient se mêler à lui, «plus durable», parce qu'il ne dépend que de moi et de la résolution de mavolonté, et «plus solide», parce qu'il repose sur un bien réel. [Conclusion] La double hiérarchie des biens établie par Descartes dans ce texte est significative de la façon moderne deconcevoir le bien moral, le bien dans l'action.

Il s'agit en effet moins pour Descartes d'étudier pour eux-mêmes des biens transcendants, dans leur essence que de se demander comment ils se rapportent à nous.Plus précisément est un bien ce qui rend ma volonté conforme à sa destination; le bien, au plus haut sensdu terme, est ce par quoi ma volonté est magnifiée.

Le bien ne consiste plus dès lors en quelque chose qu'ilme faudrait atteindre ou posséder, mais dans la façon même dont je cherche à réaliser mes fins.

C'est ainsiseulement dans le bon usage de mon libre arbitre, en tant qu'il n'est plus soumis à une déterminationextérieure, que je puis me rendre pleinement heureux, c'est-à-dire m'approprier pleinement ce que je suis.. »

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