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Descartes, Lettre à Elisabeth 18 mai 1645. Commentaire

Publié le 23/03/2015

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« Je sais bien que ce serait être imprudent que de vouloir persuader la joie à une personne(a), à qui la fortune(b) envoie tous les jours de nouveaux sujets de déplaisir, et je ne suis point de ces philosophes cruels(c), qui veulent que leur sage soit insensible. Mais il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu'elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions mêmes leur servent et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. Car d'une part, se considérant comme immortelles et capables de recevoir de très grands contentements, puis, d'autre part, considérant qu'elles sont jointes à des corps mortels et fragiles, qui sont sujets à beaucoup d'infirmités, et qui ne peuvent manquer de périr dans peu d'années, elle font bien tout ce qui est en leur pouvoir pour se rendre la fortune favorable en cette vie, mais néanmoins elles l'estiment si peu, au regard de l'éternité, qu'elles n'en considèrent quasi les événements que comme nous faisons de ceux des comédies(d). Et comme les histoires tristes et lamentables, que nous voyons représenter sur un théâtre, nous donnent souvent autant de récréation que les gaies, bien qu'elles tirent des larmes de nos yeux ; ainsi ces plus grandes âmes dont je parle, ont de la satisfaction, en elles-mêmes de toutes les choses qui leur arrivent, même les plus fâcheuses et insupportables. «

Descartes, Lettre à Elisabeth 18 mai 1645.

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« Textes commentés 43 [c0 La Princesse Elisabeth, fille du Roi de Bohème, qui avait perdu son i i trône en 1620, vivait depuis lors en exil.

Descartes devint au fil de leur j 1 correspondance tout à la fois son médecin et son directeur de conscience.

1 1 1 On considère le traité sur les passions (Les Passions de l'âme, 1649) comme une systématisation des propos tenus par Descartes dans cette l correspondance.

b) Au sens latin qui fait de la Fortune une puissance divine dans l'idée de laquelle se composent celle de chance et celle de destin.

c) Il s'agit des Stoïciens, qui professaient en effet que le sage est ' insensible.

A proprement parler l'apathèia, c'est le fait de ne pas éprouver de passions.

Cela ne veut pas dire que le sage est dépourvu de tout sentiment.

Les Stoïciens distinguent les bonnes dispositions (eupathèiai 1 - littéralement: les bonnes passions) des passions proprement dites.

A chacune des passions (forme aliénante de l'affectivité) correspond une bonne disposition (qui en est la forme excellente) - sauf en ce qui concerne la peine.

Le sage n'éprouve aucune peine, aucun chagrin, au­ cune tristesse.

C'est justement ce que Descartes juge «cruel » : c'est considérer le malheur qui frappe les hommes les plus vertueux comme 1 étant de leur faute.

Pourtant Descartes va tenter de convertir « les afflictions mêmes » en instrument de bonheur.

La méthode qu'il met en œuvre - cette distanciation qui réduit le monde à un spectacle -exploite le pouvoir qu'a l'imagination, reconnu par Aristote, de transformer en plaisir de la contemplation les peines et les tristesses, même les plus violentes.

Au lieu d'opérer par la médiation du spectacle, ce pouvoir opère ici directement pour transformer le drame vécu en spectacle contemplé.

Cette opération est d'ailleurs assez proche de certaines recommandations stoïciennes.

d) Le terme est pris ici en un sens générique : tout spectacle théâtral.

On ne peut ramener les événements de cette vie (sans pour autant se résigner à les subir passivement) à des êtres imaginaires que sous certaines conditions qui relèvent de la raison.

Il faut concevoir la disproportion qui existe entre l'éternité et cette vie, entre la béatitude qu'on peut connaître grâce à l'immortalité de l'âme et les minces joies qu'on peut attendre de l'existence.

Ainsi mesurés à l'infini, les événements de notre vie perdent de leur substance, ils se rangent à l'irréalité des images et peuvent alorJ être vécus sur un mode qu'on pourrait appeler esthétique.

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