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DESCARTES: l'exemple du morceau de cire

Publié le 17/04/2005

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Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'être tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il été recueilli ; sa figure, sa couleur, sa grandeur sont apparentes ; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son. Enfin toutes les choses qui peuvent faire distinctement connaître un corps se rencontrent en celui-ci. Mais voici que, pendant que je parle, on l'approche du feu : ce qui y restait de saveur s'exhale, l'odeur s'évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-on toucher, et quoiqu'on le frappe, il ne rendra plus aucun son. La même cire demeure-t-elle après ce changement? Il faut avouer qu'elle demeure et personne ne le peut nier. Qu'est-ce donc que l'on connaissait en ce morceau de cire avec tant de distinction? Certes ce ne peut être rien de ce que j'ai remarqué par l'entremise des sens, puisque toutes les choses qui tombaient sous le goût, ou l'odorat, ou la vue, ou l'attouchement ou l'ouïe, se trouvent changées, et cependant la même cire demeure. Peut-être était-ce ce que je pense maintenant, à savoir que la cire n'était pas ni cette douceur du miel, ni cette agréable odeur des fleurs, ni cette blancheur, ni cette figure, ni ce son, mais seulement un corps qui un peu auparavant me paraissait sous ces formes et qui maintenant se fait remarquer sous d'autres. Mais qu'est-ce précisément parlant que j'imagine lorsque je la conçois en cette sorte? Considérons-le attentivement et éloignant toutes les choses qui n'appartiennent point à la cire, voyons ce qui reste. Certes il ne demeure rien que quelque chose d'étendu, de flexible et de muable. Or qu'est-ce que cela, flexible et muable? N'est-ce pas que j'imagine que cette cire étant ronde est capable de devenir carrée, et de passer du carré en une figure triangulaire ? Non certes, ce n'est pas cela, puisque je la conçois capable de recevoir une infinité de semblables changements, et je ne saurais néanmoins parcourir cette infinité par mon imagination, et par conséquent cette conception que j'ai de la cire ne s'accomplit pas par la faculté d'imaginer. Qu'est-ce maintenant que cette extension ? N'est-elle pas aussi inconnue? Puisque dans la cire qui se fond elle augmente, et se trouve encore plus grande quand elle est entièrement fondue, et beaucoup plus grande encore quand la chaleur augmente davantage ; et je ne concevrais pas clairement et selon la vérité ce que c'est que la cire, si je ne pensais qu'elle est capable de recevoir plus de variété selon l'extension, que je n'en n'ai jamais imaginé. Il faut donc que je tombe d'accord, que je ne saurais pas même concevoir par l'imagination ce que c'est que cette cire et qu'il n'y a que mon entendement seul qui le conçoive. (...) Je suis presque trompé par les termes du langage ordinaire ; car nous disons que nous voyons la même cire, si on nous la présente, et non pas que nous jugeons que c'est la même, de ce qu'elle a même couleur et même figure : d'où je voudrais presque conclure, que l'on connaît la cire par la vision des yeux, et non par la seule inspection de l'esprit, si par hasard je ne regardais d'une fenêtre des hommes qui passent dans la rue, à la vue desquels je ne manque pas de dire que je vois des hommes, tout de même que je dis que je vois de la cire; et cependant que vois-je de cette fenêtre sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres et des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts? Mais je juge que ce sont de vrais hommes, et ainsi je comprends, par la seule puissance de juger qui réside en mon esprit, ce que je croyais voir de mes yeux. DESCARTES

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« Ainsi, lorsque nous disons que nous voyons, il serait plus juste de dire que nous jugeons : notre vision esttoujours déjà construite par l'esprit. Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'être tiré de la ruche : [...]sa couleur, sa figure, sa grandeur sont apparentes ; il est dur, il est froid [...].Mais voici que, cependant que je parle, on l'approche du feu ; ce qui y restait desaveur s'exhale, l'odeur s'évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd, sagrandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe [...].

La même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il faut avouer qu'elle demeure, et personne ne lepeut nier.

Qu'est-ce donc que l'on connaissait en ce morceau de cire avec tantde distinction ? Certes ce ne peut être rien de tout ce que j'y ai remarqué parl'entremise des sens, puisque toutes les choses qui tombaient sous le goût, oul'odorat, ou la vue, ou l'attouchement, ou l'ouïe, se trouvent changées, etcependant la même cire demeure.

Dans ses Méditations métaphysiques, Descartes expose son cheminement, partant de la nécessité du doute à la première certitude du Cogito, suivie par la garantie d'un savoir enfinpossible grâce à la certitude de l'existence de Dieu.

Dans ce passage, extrait de la Méditation seconde, iln'est pas encore parvenu à cette certitude.

Ainsi, comment un morceau de cire peut-il être encore de lacire, alors que sous l'action de la chaleur, il change du tout au tout ? Problématique Sous leur apparente stabilité, les choses sont changeantes, au point qu'il est difficile d'en dégager descaractéristiques solides.

Et pourtant, les images diverses par lesquelles je me représente la cire ne sont pasle fait de l'imagination.

Dès lors, qu'est-ce, finalement, que ce morceau de cire ? Un objet doit toujours êtreidentique à lui-même pour être dénommé et connu en tant que tel. Enjeux Comment pouvons-nous penser les objets en eux-mêmes ? Les données que nous fournissent les sens etl'imagination reproductrice ne sont-elles par erronées ? Pour être objective, la connaissance doit dépasser lamultiplicité des représentations sensibles. Nos sensations à elles seules, même aidées de l'imagination, sont incapables de nous faire connaître un objet.

C'estce que démontre une célèbre analyse de Descartes, dans la deuxième de ses Méditations métaphysiques (1641), àpropos d'un morceau de cire. Nous croyons spontanément que nous connaissons d'abord les objets à travers nos sensations.

Prenons l'exempled'un morceau de cire, propose Descartes.

Il « vient d'être tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur dumiel qu'il contenait, il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli; sa couleur, sa figure,sa grandeur, sont apparentes; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son ».

Onle voit, nos sensations nous donnent de multiples informations sur le morceaude cire.

Elles nous font connaître toutes ses qualités, gustatives, odorantes, visuelles, tangibles, sonores, et nouscroyons communément que la collection de ces qualités nous fait accéder à la connaissance distincte d'un tel objet.Approchons néanmoins le morceau de cire du feu : «ce qui y restait de saveur s'exhale, l'odeur s'évanouit, sacouleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il s'échauffe, à peine le peut-ontoucher, et quoiqu'on le frappe, il ne rendra plus aucun son ».

Toutes les qualités sensibles ont disparu, et pourtantnous savons que le morceau de cire est toujours là, toujours le même. Pour expliquer ce savoir, il faut faire appel à une autre source de connaissance que nos sensations.

Nous possédonsen particulier L'imagination, grâce à Laquelle nous sommes capables justement de nous représenter un objet sous denombreuses formes différentes.

Nous pouvons, par exemple, imaginer ce morceau de cire sous des formes ronde,carrée, triangulaire, ou lui prêter, s'il fondait, une très grande étendue.

Mais, par l'imagination, nous ne pouvonsnous représenter qu'un très grand nombre de formes possibles ; nous ne pouvons ni en appréhender l'infinité, carl'imagination est une faculté finie, ni saisir à travers elles l'unité de ces variations.

«Je ne saurais, écrit Descartes,parcourir cette infinité par mon imagination, et par conséquent cette conception que j'ai de la cire ne s'accomplit. »

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