Devoir de Philosophie

Doit-on accepter une opinion ?

Publié le 25/08/2005

Extrait du document

« C'est mon opinion ! » entend t-on de toutes parts. Qu‘est-ce que cela signifie ? Une opinion désigne la pensée particulière d'un individu  par opposition à l‘universalité de la science ou de la philosophie. Or, par cette expression de la vie quotidienne, il s'agit pour celui qui prétend nous faire accepter son opinion d'insister sur son origine particulière comme si la particularité pouvait fournir un critère d'acceptabilité. « Puisque c'est moi qui te le dis», tu dois nécessairement adhérer à ma propre thèse. Pourtant la particularité d'une opinion signifie tout aussi bien qu'elle n'est pas fondée en raison comme le prouve l'utilisation polémique de cette même expression, comprise comme un argument non plus pour adhérer, mais plutôt pour mettre en doute sa vérité : « c'est ton opinion ». Ainsi, en  insistant sur l'origine particulière de l'opinion, on peut tout autant donner des raisons de l'accepter (usage légitimant ) que de la rejeter (usage polémique). Doit-on accepter une opinion du fait même qu'elle est une opinion particulière ou faut-il au contraire s'appuyer sur sa particularité pour la rejeter ?

« _ Si le dialogue nécessite l'admission réciproque des thèses, il faut donc que les opinions ne prétendent pas elles-mêmes constituer des vérités, empêchant par là même la continuation de l'échange.

Les opinions que lesinterlocuteurs auraient le devoir d'admettre seraient donc des opinions qui ne masquent pas leur statut d'opinionparticulière.

Ainsi les interlocuteurs auraient le devoir de reconnaître la possibilité de penser autrement qu'eux-mêmes, et cette reconnaissance se fonderait sur la connaissance de la particularité de leur opinion.

C'est seulementquand les opinions se dévoilent en tant que telles que le dialogue n'est plus entravé par elles.

Alors dire « c'est monopinion » ne signifie plus le rejet de la tienne, mais au contraire sa reconnaissance à travers leur identité de statutet la possibilité d'un respect de nos différences.

Il s'agirait donc non pas de prétendre avoir raison, mais seulementincarner sa perspective.

Une perspective est le point de vue singulier à travers lequel je suis seul à regarder lemonde et dont personne ne peut jouir à ma place.

Montaigne écrit dans ses Essais III, 8 « j'ose non seulement parler de moi, mais seulement parler de moi ».

Par conséquent, en tant que chaque opinion ne fait que parler de moisans prétendre à une vérité absolue qui conduirait à rejeter les autres, il existe un devoir d'accepter toutes lesopinions au sens d'admettre la possibilité de penser autrement que soi.Cependant si le devoir d'admettre toutes les opinions est la condition du dialogue, le dialogue prétend par l'échangedes raisons départager les opinions pour n'en accepter au sens fort qu'une seule.

Qu'est-ce qui fonderait un devoird'accepter au sens fort et non plus seulement d'admettre une opinion ? III Conditions d'acceptabilité de l'opinion _ La condition du dialogue est l'admission a priori de toutes les opinions dans leur égale validité, mais sondéroulement exige d'éprouver leur validité et de les départager.

Possédant une validité a priori du seul fait qu'ellesproviennent d'une raison, les opinions doivent être testées dans le but de valider une seule opinion .

Or cetteopinion déterminée par le dialogue prétend être acceptée au sens fort, c'est dire à l'adhésion, à l'exclusion de toutesles autres qui ont été précédemment présentées.

Se demander ce qui permettrait de fonder ce devoir d'accepterune opinion, c'est s'interroger sur le processus qui permet de valider une opinion plutôt qu'une autre.

Ce processuss'appelle le dialogue et il est structuré par les règles de l'entretien dialectique.

Parmi les plus fondamentales, il y aévidemment la reconnaissance de la possibilité de penser autrement que soi, mais aussi la nécessité de produire unaccord par l'ordre des raisons.

C'est par la raison et non par la force, comme le sophiste Thrasymaque du livre I dela République , que les opinions doivent être acceptées par les interlocuteurs.

Il s'agit non pas de forcer l'accord, mais de le produire en rendant raison de ce que l'on avance._ Convaincre quelqu'un de la validité de son opinion ne peut se faire en effet que par l'échange des raisons.

Pourqu'on me donne raison, il faut que je rende raison de ce que j'avance.

Ainsi pourvu des raisons de l'adversaire, celuiqui n'a pas mon opinion peut se l'approprier comme si c'était la sienne.

Dans le Gorgias , Socrate insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de cette entreprise de dé subjectivation des opinions.

Ainsi il dit à Polos de ne pas craindrede réfuter, mais surtout d'être réfuté car ce n'est pas son honneur qui est en jeu, mais la recherche en commun dela vérité.

Cette recherche en commun est une fête et non un combat où les interlocuteurs s'affronteraient les unscontre les autres.

Dans le Gorgias, ( 486 e-487c), Socrate loue Calliclès pour être « une bonne pierre de touche » , c'est-à-dire un instrument de contrôle destiné à tester la valeur de ce que l 'on dit.

Ses qualités sont la compétence, la franchise et la bienveillance._ Désubjectiver les opinions consiste à les arracher à leur particularité, et à les éprouver à l'aune universelle de laraison.

C'est par cette dé subjectivation que l'origine de l'opinion qui coïncide avec la vérité devient contingente etinessentielle.

Comme l'explique Socrate, au début du Protagoras , il ne doit pas y avoir d'arbitre qui détermine quelle opinion doit être acceptée, mais l'entretien est son propre arbitre.

C'est donc le respect des règles de l'entretiendialectique qui permet, par la désubjectivation des opinions, de passer de la situation des opinions toutes valides endroit à la détermination d'une seule qui fonde le devoir d‘accepter une opinion.

Et c'est parce que tous lesinterlocuteurs ont participé à égalité au dialogue qu'ils ont le devoir d'accepter l'opinion sur laquelle ils se sontaccordés à l'issue du dialogue.

De ce point de vue, toutes les opinions ne sont pas acceptables à l'issue dudialogue.

Ainsi, l'opinion de Thrasymaque selon laquelle la justice coïnciderait avec l'intérêt du plus fort n'est plusvalable après que Socrate ait produit sa réfutation par la raison.

Par conséquent, à l'issue du dialogue, il y a undevoir d'accepter au sens fort une opinion à condition qu'elle ait perdue son origine particulière en traversantl'épreuve de validité présidée par les règles de l'entretien dialectique.

Conclusion : Il n'y a pas de devoir qui nous obligerait à accepter une opinion du fait même qu'elle est une opinion particulière, l'acceptation au sens d'adhésion est laissée à la liberté de chacun fondée sur une égale capacité dejuger qui s'appelle la raison.

Ce n'est qu'à titre de fondement du dialogue que l'admission de toutes les opinions estrequise à condition que chaque opinion se connaisse comme opinion et ne prétende pas avoir raison contre toutesles autres.

Le devoir d'accepter au sens fort une opinion est quant à lui conditionnée par une épreuve de validitéorientée par la recherche de la vérité en commun appelée dialogue qui transforme l'opinion de l'intérieur en luifaisant perdre toute particularité et la hisser ainsi vers l'universalité.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles