Devoir de Philosophie

Doit-on se rendre maître et possesseur de la nature ?

Publié le 30/01/2005

Extrait du document

Analyse de l'expression « maître et possesseur de la nature » : sciences et techniques.]   Dans la sixième partie du « Discours de la méthode » (1637), Descartes met au jour un projet dont nous sommes les héritiers. Il s'agit de promouvoir une nouvelle conception de la science, de la technique et de leurs rapports, apte à nous rendre « comme maître et possesseurs de la nature ». Descartes n'inaugure pas seulement l'ère du mécanisme, mais aussi celle du machinisme, de la domination technicienne du monde. Si Descartes marque une étape essentielle dans l'histoire de la philosophie, c'est qu'il rompt de façon radicale et essentielle avec sa compréhension antérieure. Dans le « Discours de la méthode », Descartes polémique avec la philosophie de son temps et des siècles passés : la scolastique, que l'on peut définir comme une réappropriation chrétienne de la doctrine d'Aristote. Plus précisément, il s'agit dans notre passage de substituer « à la philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles » une « philosophie pratique ». La philosophie spéculative désigne la scolastique, qui fait prédominer la contemplation sur l'action, le voir sur l'agir. Aristote et la tradition grecque faisaient de la science une activité libre et désintéressée, n'ayant d'autre but que de comprendre le monde, d'en admirer la beauté. La vie active est conçue comme coupée de la vie spéculative, seule digne non seulement des hommes, mais des dieux.

« Ce projet d'une science intéressée, qui doive nous rendre apte à dominer et exploiter techniquement une nature désenchantée est encore le nôtre. Or la formule de Descartes est aussi précise que glacée ; il faut nous rendre « comme maître et possesseur de la nature ».

« Comme », car Dieu seul est véritablement maître & possesseur.

Cependant, l'homme est ici décrit comme un sujet qui a tous les droits sur une nature qui lui appartient (« possesseur »), et qui peut en faire ce que bon lui semble dans son propre intérêt (« maître »). Pour qu'un tel projet soit possible, il faut avoir vidé la nature de toute forme de vie qui pourrait limiter l'action de l'homme , et poser des bornes à ses désirs de domination & d'exploitation.

C'est ce qu'a fait la métaphysiquecartésienne, en établissant une différence radicale de nature entre corps & esprit.

Ce qui relève du corps n'estqu'une matière inerte, régie par les lois de la mécanique.

De même en assimilant les animaux à des machines,Descartes vide la notion de vie de tout contenu.

Précisons enfin que l'époque de Descartes est celle où Harvey découvre la circulation sanguine, où le corps commence à être désacralisé, et les tabous touchant la dissection, àtomber. Car ce qu'il y a de tout à fait remarquable dans le texte, c'est que le projet de domination technicienne de la nature ne concerne pas que la nature extérieure et l'exploitation des ressources naturelles.

La « philosophie pratique » est utile « principalement aussi pour la conservation de la santé ».

Le corps humain lui aussi, dans ce qu'il a de naturel, est objet de science, et même objet principal de la science.

« S'il est possible de trouver quelque moyen qui rende les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusqu'ici, je crois que c'est dans la médecinequ'on doit le chercher. » La véritable libération des hommes ne viendrait pas selon Descartes de la politique, mais de la technique et de la médecine.

Nous deviendrons « plus sages & plus habiles », nous vivrons mieux, en nous rendant « comme maîtres & possesseurs de la nature ».

La science n'a pas d'autre but. [2.

Pourquoi l'homme doit se rendre maître et possesseur de la nature.

]Si l'homme doit ainsi assujettir la nature, c'est qu'originellement, il est soumis à elle : leurs relations reposent sur unconflit.

Voir le thème du dénuement de l'homme face à la nature décrit dans le mythe de Protagoras (Platon,Protagoras) : c'est pour compenser la faiblesse de l'homme dans la nature — car il est le plus mal loti de tous lesanimaux — que Prométhée fait don aux hommes de la connaissance du feu (le feu est nécessaire pour forger) et destechniques après les avoir volés aux dieux.Donc, c'est grâce à la technique que la nature cesse d'être pour l'homme ennemie et étrangère.

Il peut alors serendre possesseur de la nature, c'est-à-dire l'habiter.

Habiter ne signifie pas seulement être dedans, mais faire sien,imprimer sa marque.

L'homme est ainsi chez lui dans un paysage où on ne peut plus démêler la part de la nature etla part du travail (voir la différence entre le paysage ou la campagne comme nature humanisée, et la forêt « vierge» comme nature brute).

Cela permet déjà de comprendre que tout prétendu « retour à la nature », n'est en faitqu'un retour à une nature façonnée par la technique humaine.

La critique de la technique ne peut donc être querelative.

[3.

Naissance d'une contestation de la technique.S'il est absurde de vouloir se passer de la technique, est-ce à dire que toute technique comme telle est justifiée? Ya-t-il des limites à la maîtrise et à la possession de la nature par l'homme? Au-delà des réactions affectives defascination devant les prodiges de la technique ou d'effroi devant sa démesure, il faut rechercher un critèrerationnel grâce auquel on pourrait fixer des limites à l'expansion de la technique.

C'est en particulier à ce prix qu'onpourra donner un fondement philosophique aux options politiques de type écologiste.Enfin, les menaces de la technique « moderne » nous poussent à nous demander si cette dernière se distingue de latechnique « d'autrefois » par une simple différence de degré ou par une différence essentielle. [II.

Une critique humaniste de la technique.] [1.

L'homme, critère des limites de la technique.

]Il y a lieu de critiquer la technique dès lors que, au lieu de servir l'homme, elle le met en danger en tant queproducteur de technique et en tant qu'utilisateur.C'est le thème de l'asservissement de l'homme à la machine (cf.

Hannah Arendt, La Condition de l'homme moderne).Pendant la durée de son travail, le corps de l'ouvrier doit épouser le rythme de la machine (en particulier dans les «chaînes de production ») alors que dans un travail manuel, c'est l'outil qui suit le corps (Manuel Hatier des classesde terminale, chap.

« Technique », texte 9).

Le travail de l'homme est conçu sur le modèle de la machine, ce quiconduit à une parcellisation à outrance du travail.

Le travailleur d'usine, à la différence de l'artisan, n'accomplit pasd'oeuvre achevée.

Le travail cesse alors d'avoir la fonction libératrice par laquelle l'homme se démarque de la natureen la façonnant.

On peut souligner la situation paradoxale de l'homme face à la technique : ce qu'il avait créé pourse libérer de sa position de faiblesse par apport à la nature et pour se sentir chez lui dans le monde, est devenufinalement l'instrument de son aliénation.On peut, d'autre part, mettre en évidence l'ensemble des menaces qui pèsent sur l'homme en tant qu'utilisateur dela technique (voir les récentes catastrophes nucléaires, les progrès des manipulations génétiques).

Là encore, latechnique se retourne contre sa propre vocation puisque, destinée à écarter de l'homme les menaces de la nature,elle ne fait que produire d'autres menaces (Tchernobyl à la place des volcans et des tremblements de terre).. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles