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Douter, est-ce nécessairement négatif ?

Publié le 17/01/2022

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• Le doute « moindre perfection « (moindre positivité ?) « C'est une plus grande perfection de connaître que de douter. « Descartes, Discours, 4e partie, 4e paragraphe. (Perfection traduit pour Descartes l'idée d'un achèvement, d'une réalisation. Le doute serait nécessairement négatif.  — Remarquer que pour Descartes, douter est une perfection (même si elle est moins grande que connaître).  — On comprendra cela en remarquant que douter a cette « perfection « en tant que passage à une connaissance vraie.    • Le doute comme négativité.  — Dans l'attitude critique, on révoque en doute le jugement, la croyance. On conçoit en somme la possibilité de la négative. Le pouvoir fie nier apparaît ainsi comme la condition du pouvoir d'affirmer de façon active (au lieu d'être pris dans la croyance).  — Remarquer à ce propos que l'esprit critique est tout autre chose que l'esprit de critique.  — Distinguer doute méthodique (et provisoire) et doute dit sceptique (purement négatif ?).    • Le doute comme « double croyance « indécidable. Le doute est-il la négation de la croyance ou un trop-plein de croyances ?  Le doute ne serait-il pas le fait de croire (en un certain sens) deux choses à la fois, de percevoir deux idées différentes et distantes voire contraires à la fois. (« Douter dit Ortega Y Gasset c'est être frappé de strabisme mental «.)    • De la Recherche de la vérité de Malebranche. Citation : « Qu'on ne s'imagine pas avoir peu avancé si on a seulement appris à douter. Savoir douter par esprit et par raison n'est pas si peu de chose qu'on le pense : car il faut le dire ici, il y a bien de la différence entre douter et douter. On doute par emportement et par brutalité, par aveuglement et par malice; et enfin par fantaisie, et par ce que l'on veut douter. Mais on doute aussi par prudence et par défiance, par sagesse et par pénétration d'esprit... Le premier doute est un doute de ténèbres, qui ne conduit point à la lumière, mais qui en éloigne toujours; le second naît de la lumière, et il aide en quelque façon à la produire à son tour. «

« chose de négatif.

Ils refuseraient de se prononcer.

Même si l'on admet qu'ils ne disent rien de crainte de dire ce quin'est pas ou ce qui est faux, il reste qu'une telle sagesse semble se nourrir de sa propre crainte.

Et pourtant, en unautre sens, n'y a-t-il pas un certain courage tout autant qu'un souci certain de la vérité à reconnaître sonimpuissance à l'atteindre ? Nous avons là, dans ce double mouvement, une structure proche de ce que l'on appellele scrupule.

Hegel disait à ce sujet que le scepticisme précédait immédiatement l'étape de la « conscience malheureuse » qui est, au plus profond de soi et du même coup, « d'une partconscience se libérant, immuable, égale à soi-même et, d'autre part,...conscience s'empêtrant dans sa confusion et se renversant absolument »(Hegel, Phénoménologie de l'esprit, Aubier-Montaigne, tome 1, p.

176).

Doutern'est peut-être pas uniquement négatif, ou plutôt le négatif inclus dans ledoute n'est peut-être pas simplement le contraire du positif.

Il y a dans ledoute, exprimé par la suspension du jugement ou époché, une présence de laliberté.

L'époché se révèle être le maître-mot des philosophes sceptiques, ou,selon l'expression de Montaigne, « leur mot sacramental » (Apologie deRaimond Sebond).

Dans le même textedes Essais, Montaigne, suivant en cela Rabelais (cf.

Tiers-Livre, XXXVI),nomme les sceptiques les « épéchistes » et dit fort bien que le propre deL'époché est d'aboutir à « une pure, entière et très-parfaite surceance[surséance] et suspension du jugement » (Essais, tome 1, p.

560.

Nousrespectons l'orthographe de l'époque).

Il s'agit pour le philosophe sceptiquede maintenir le jugement hors de toute prise de position pour ou contre.Parlant de cette attitude sceptique, Montaigne la décrit ainsi : « Vaut-il pasmieux demeurer en suspens que de s'infrasquer en tant d'erreurs quel'humaine fantaisie a produictes ? » (p.

559.)Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que si Montaigne, dans l'Apologie deRaimond Sebond, commente en les éclairant parfois les thèses sceptiques, savisée profonde est toutefois bien différente de celle de Pyrrhon et de sesdisciples.

Ce qu'a en vue Montaigne est nécessairement très différent, et ce pour une double raison qu'il nous faut àprésent brièvement exposer.

D'abord le scepticisme grec demeure une manière particulière de se situer et de secomporter par rapport à ce que les Grecs appelaient alêthéia.

On traduit habituellement ce mot par « vérité ».

Maisprendre telle quelle cette traduction, c'est, pour employer l'expression de Leibniz, prendre « la paille des termes pourle grain des choses » (Essais de Théodicée, p.

320).

En nous servant de la traduction découverte par Jean Beaufretnous dirons que le sens profond du mot alêthéia est « ouvert sans retrait ».

Or ce sens a été pour ainsi dire oblitérépar le latin veritas, qui a donné en français « vérité ».

Il ne faut pas oublier en effet qu'en passant du grec au latin,nous passons d'un monde à un autre.

Mais à ce premier écran entre les paroles de Montaigne et celles de Pyrrhon etde ses disciples, s'en ajoute un second : le christianisme.

Montaigne n'est certes pas, comme le sera au contraireun siècle plus tard Pascal, un écrivain religieux.Mais c'est, si l'on veut, l'environnement qui est chrétien.

En d'autres termes, la vérité suprême est du domaine de lafoi.

« La participation que nous avons à la connaissance de la vérité, quelle qu'elle soit, ce n'est pas,dit-il, par nos propres forces que nous l'avons acquise...

nostre foy, ajoute-t-il, ce n'est pas nostre acquest...

» (p.554.) Ainsi la romanisation du grec et l'avènement de la foi tissent un double écran entre le scepticisme de Pyrrhonet celui de Montaigne.

Afin d'expliciter cela, demandons-nous pourquoi dans les Essais, et plus précisément dansl'Apologie de Raimond Sebond, Montaigne se réfère ainsi, en les saluant au passage, aux philosophes sceptiques.

Laraison profonde de cette référence à l'école sceptique doit être recherchée dans le désir qu'a Montaigne derabaisser la présomption et l'orgueil des hommes.

Ceux-ci font en effet, selon l'auteur des Essais, trop grand cas deleur raison et oublient aisément qu'ils ne sont que des créatures essentiellement faillibles.

Le dessein de Montaigneest ici bel et bien d'inspiration chrétienne, ou plutôt il ne se comprend que dans un horizon chrétien.

« Nostre coeuret nostre ame estant regie et commandée par la foy,...

la peste de l'homme c'est l'opinion de sçavoir.

» (p.

489 etp.

540.) Les thèses des philosophes sceptiques sont pour Montaigne, dans une perspective où le mot « vérité » a,rappelons-le, profondément changé de sens, autant d'armes qu'il va pouvoir utiliser contre la présomption humaine.Ainsi, lorsqu'il est question de ceux qui entendent, par leur seule raison, combattre la religion, le ton se fait dur ettranchant : « Le moyen que je prens pour rabattre cette frenaisie et qui me semble le plus propre, c'est de froisseret fouler aux pieds l'orgueil et l'humaine fierté ; leur faire sentir l'inanité, la vanité et deneantise [le néant] del'homme ; leur arracher des points les chetives armes de la raison ; leur faire baisser la teste et mordre la terresoubs l'authorité et reverance de la majesté divine.

C'est à elle seule qu'appartient la science et la sapience [lasagesse].

» (p.

491.) Dans ces paroles qui réjouiront Pascal] vibre l'écho des Épîtres aux Corinthiens de saint Paulauxquelles Montaigne se réfère d'ailleurs explicitement dans son Apologie de Raimond Sebond.

L'on peut même direque c'est vraisemblablement l'esprit des Épîtres aux Corinthiens qui constitue la toile de fond de ce texte des Essais.Quoi qu'il en soit, nous constatons que ni l'examen fort succinct que nous venons de faire du scepticisme grec, nil'analyse de l'Apologie de Raimond Sebond que nous venons d'esquisser, ne nous permettent de répondre de façonsatisfaisante à la question posée : « Douter, est-ce nécessairement négatif ? » Nous avons certes quelque peuprogressé, mais sans pénétrer peut-être au coeur du sujet.

Il y a bien, tant chez les philosophes de l'écolesceptique que chez Montaigne et compte tenu bien sûr des très importantes différences que nous avons signalées,des éléments positifs.

Par exemple on note un souci analogue — ne disons pas identique — de s'opposer à toutdogmatisme.

Mais nous n'avons peut-être pas encore saisi la nature profonde du doute, c'est-à-dire son ambiguïté.La distinction entre les deux aspects du doute que nous évoquions dans notre introduction devient nette lorsques'opère, en dehors du domaine de la foi, une mutation de la vérité en certitude.. »

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