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(Electre de Giraudoux) ACTE II, SCÈNE 4 ET 5

Publié le 08/11/2010

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giraudoux

1 « Qui est-ce, mère ? Avoue !

2 — Tu te débats beaucoup, mère.

3 — Je n'ose.

4 — Mère, est-ce vrai que tu as...

5 — Mère, est-ce vrai que tu as un amant ?

6 — Ecoute-la, du moins, Électre !

7 — Ô mère, tu es reine !

8 — Mère, je t'en supplie. Combats ainsi, combats encore ! Convaincs-nous. Si cette lutte nous rend une reine, bénie soit-elle, tout nous est rendu!

9 — Le faut-il, soeur ? «

giraudoux

« La stratégie d'Électre n'a pas changé.

Elle exige la vérité et devient un inquisiteur obstiné revenant sans cesse aux mêmes questions dans une scène comme dans l'autre : « Qui est-ce ? », « Quel est ton amant ? »(scène 4) ; et « Tu as un amant, n'est-ce pas ? Qui est-il? », « Qui est-ce ? », « Dis-moi le nom de tonamant, mère », « Qui aimes-tu ? Qui est-ce ? » (scène 5).

Elle joue ainsi pleinement son rôle d'Érinye,poussant sa mère dans ses derniers retranchements.

Mais cette stratégie du harcèle- ment obstiné reste limitée, parce que réduite à une abondance de questions.

La scène 5 présente vingt-sixinterrogations directes qui n'aboutissent pas à une véritable révélation car Clytemnestre résiste. La stratégie de Clytemnestre est beaucoup plus souple, car fondée sur la mobilité, les faux-fuyants, la variété des registres.

Électre en est consciente.

Elle évoque le jeu de Clytemnestre (« ce jeu dont le sensm'échappe encore »), sa ruse (« N'essaie pas de cette ruse »), le piège (« Quel piège me tends-tu ? »).

Dansla dernière réplique, elle jauge très lucidement sa mère : « Tu es réfléchie, tu calcules.

» Clytemnestre ne manque pas de courage, ni de ressources.

Ayant demandé elle-même à la fin de la scèneprécédente à affronter seule sa fille, elle use de divers moyens.

D'abord, elle surprend en réclamant aide etprotection (« Aide-moi, Électre ! », « Protège-moi »).

Essaie-t-elle d'apitoyer sa fille ou de la déstabiliser ? Ellelui demande de réagir en femme et non en fille (« Sois seulement ce que je cherche en toi, une femme »).

Surce terrain, Clytemnestre est redoutable parce qu'elle a l'avantage de l'expérience.

Elle peut alors jouer dans unregistre plus confidentiel et fort subtil (« Ecoute-moi ! Je n'ai pas d'amant.

J'aime.

»).

C'est là, pour elle,l'occasion d'un système de défense qui repose sur la revendication du droit d'aimer.

Elle s'essaie au pathétiquediscret, mais vraisemblable, qui mêle condition féminine et condition royale en une formule saisissante (« Pasde repos, même pour mon corps.

Il était couvert toute la journée par des robes d'or, et la nuit par un roi »).Dernier temps de cette plaidoirie mobile, l'aveu de celle qui a refusé l'attente, définie comme « un bonheur pourvierge » : « Moi, je n'attends plus, j'aime », proclame alors Clytemnestre devenue une « mère indigne ».

Maiselle est aussi une reine indigne (« j'aime au-dessous de mon rang ! »).

Après avoir vainement espéré gagner dutemps, ayant échoué dans toutes ses tentatives, Clytemnestre ne s'avoue pas pour autant vaincue. L'échec de la stratégie a pour garde-fou le silence, traduit par la métaphore du meuble qui garde son secret etreste fermé à clef (c'est par définition le rôle du secrétaire).

Femme, d'une royale ironie, elle se referme surune énigme qui ne manque pas de panache : « Un meuble qui est à moi, mon amour ». Clytemnestre : une reine et une femme On se tromperait en n'accordant à Clytemnestre qu'un faible crédit, en lui concédant un rôle mineur.

Ce n'estpas tant parce qu'elle est la reine qu'elle est royale, que parce qu'elle revendique — comme Agathe — uneindépendance, des droits à la liberté et au bonheur, fussent-ils immoraux.

Les deux scènes renouvellent ainsi leportrait trompeur du personnage qui avait été brossé jusqu'alors.

Tout comme Agathe, qui apparaîtra dans lascène suivante, Clytemnestre s'éveille à une autre vérité, même si elle est un être de duplicité.

Celacorrespond d'ailleurs à la vision de la femme chez Giraudoux pour qui celle-ci est un être supérieur. Que revendique Clytemnestre, sinon le droit d'être une femme, d'être autre chose qu'un corps, « couvert toutela journée par des robes d'or et la nuit par un roi » ? La femme n'estelle qu'un objet de luxe ? En outre, cettefemme souffre puisqu'elle dénonce « l'absence du mari, la méfiance des fils, la haine des filles ».

Elle qui n'amême pas eu droit à la solitude parce que tel est « le lot des reines » refuse l'attente stérile, celle des viergesfarouches, implacables comme sa fille. Certes, la reine a peur ; certes, elle est un être de mensonge et de faux-fuyants ; mais, ainsi qu'elle lerappelle, elle a des circonstances atténuantes.

En outre, elle ne manque ni d'intelligence, ni de grandeur, nimême d'humanité.

Femme de stratégie, Clytemnestre obéit à une stratégie de femme.

Elle présente unpersonnage remarquable par son ambiguïté même : force et faiblesse tout à la fois, grandeur et misère, ironieet pathétique.

Comme Agathe, Clytemnestre la coupable est aussi une femme qui vit, sans se soucier d'unidéal trop exigeant et peut-être trop inhumain. Elle est d'abord un personnage tragiquement déshérité.

Vivant au présent, préférant l'amour, même indigne,même immoral, même coupable, elle a une horreur métaphysique, existentielle, pour ne pas dire sartrienne, del'attente.

Or, l'attente est le lot de toute la dramaturgie et de toute la littérature modernes.

Comme lespersonnages de Beckett, de Gracq ou de Sartre, Clytemnestre sait-elle même ce qu'elle attend? Être complexe,elle a rêvé d'une solitude, d'une intimité qui n'est pas permise à une reine.

Cependant, elle parle égalementd'une « confrérie des femmes »...

S'il y a une vérité d'Électre, il y a sans doute aussi une vérité deClytemnestre. Deux visages de la féminité La scène 5, par sa nature de duel ou de combat singulier, pourrait faire oublier qu'elle est d'abord un duel de femmes, c'est-à-dire un affrontement de conceptions profondément divergentes.

Cela est d'autant plus net que le seul homme présent, le Mendiant, reste quasiment muet.

En fait, il y a une opposition fondamentaleentre la mère et la fille, ou plutôt entre la femme et la jeune fille.

Ainsi ce que Giraudoux propose, c'est une. »

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