Devoir de Philosophie

« En toute société, l'artiste, l'écrivain demeure un étranger », affirme Simone de Beauvoir dans La Force de l'âge. Partagez-vous cette opinion sur la place et la fonction de l'artiste dans la société ?

Publié le 06/06/2009

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Plan adopté dans le devoir

I. Étrangeté de l'artiste a) La figure du paria b) La figure du révolté c) Une évolution sociologique II. L'art est dangereux a) Situation des intellectuels b) Art et révolution c) Art et pouvoir III. Mythe et réalité a) L'art est nécessairement démocratique b) Le mythe du révolté c) Une étrangeté qui n'est pas sociale

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« Tous les poètes sont des juifs «, affirmait la poétesse russe Marina Tsvétaéva, désignant par là l'irréductible étrangeté du poète face à la société. Or cette affirmation rejoint celle, plus tardive, de Simone de Beauvoir, dans La Force de l'âge, selon laquelle, « en toute société, l'artiste, l'écrivain demeure un étranger «. Après avoir analysé les différentes figures de l'étrangeté de l'artiste, il faudra donc s'interroger sur les raisons, de la part de l'artiste comme de la société, de cette exclusion, afin de déterminer dans quelle mesure elles recouvrent une réalité, ou si elles ne sont pas plutôt une figure littéraire.

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« s'engagent dans des carrières administratives, ou diplomatiques, comme plus tard Claudel et Saint-John Perse.

Quelécrivain vit aujourd'hui de ses oeuvres ? Sauf à être très connu, et très vendu – mais les plus vendus ne sont pasnécessairement les meilleurs...

–, l'écrivain doit avoir un métier : il sera souvent enseignant, comme l'était Mallarmé,ou journaliste, comme l'était Camus.Mais cette insertion de l'artiste dans le tissu social, par le métier, ne le rend pourtant pas moins étranger à lasociété, voire dangereux. *** Les artistes, et plus largement, les intellectuels, sont souvent ressentis par le pouvoir, surtout s'il s'agit d'une formeoppressive du pouvoir, comme des facteurs de troubles.

Dans des régimes où la pensée est considérée comme unedéviation de l'esprit, l'artiste est d'abord dangereux parce qu'il se sert de son intelligence comme d'une arme.

Cen'est pas un hasard si le dramaturge tchèque Vaclav Havel a été emprisonné, avant de devenir président de laRépublique de son pays.

Ce n'est pas un hasard non plus si le poète russe Ossip Mandelstam est mort endéportation.

Car la pensée donne du pouvoir.

Non seulement l'artiste, par le biais de ses créations, a une audience,et est donc davantage écouté qu'un autre, mais encore il s'en sert le plus souvent, comme par exemple lorsquePicasso demanda que son tableau, Guernica, du nom d'un village espagnol écrasé sous les bombes pendant la guerred'Espagne, ne retournât dans son pays qu'avec l'avènement de la démocratie.

Et nombreux sont les artistes quiconsidèrent de leur devoir d'associer création artistique et engagement politique : on connaît bien sûr l'engagementcommuniste d'Aragon ou d'Éluard, mais on peut rappeler aussi les gravures de Goya, dépeignant les massacres desannées napoléoniennes en Espagne, ou l'engagement du poète chilien Pablo Neruda, contre la dictature du généralPinochet.De là à dire que l'artiste est un dangereux révolutionnaire, il n'y a qu'un pas, trop vite franchi.

Car si l'activitéartistique suppose bien une révolution radicale, c'est moins dans un sens politique qu'esthétique.

Ainsi le renouveaumétrique opéré à la fin du XIXe siècle l'a-t-il été aussi bien par un révolté adolescent comme Rimbaud que par lemodeste professeur d'anglais Mallarmé.

Et bien que l'un comme l'autre aient définitivement mis à mal le vers françaistraditionnel, c'était sans aucune intention de nuire aux fondements de la société...

De même, le groupe poétique dela Pléiade a complètement renouvelé la poésie française, alors même que ses membres étaient au service du roi.

Enrevanche, il est certain que ces révolutions littéraires ont profondément marqué leur époque, et changé l'esthétique.Le renouveau ainsi opéré tient d'ailleurs autant aux formes qu'aux contenus : lorsque Apollinaire écrit « Bergère ôtour Eiffel », ou encore « la fée Électricité », il permet à des mots nouveaux d'entrer en poésie, et c'est avec euxtout le monde moderne qui devient sujet poétique.

La révolution artistique modifie donc aussi bien l'esthétique quela morale, comme par exemple avec Sade, le vocabulaire, ou la mode.

En ce sens, elle change bien la société, maisne la déstabilise pas.Ce sont pourtant ces changements, aussi modestes soient-ils, que craignent les instances de pouvoir.

Le principemême d'un pouvoir totalitaire est de ne rien tolérer qui ne vienne de lui : la mode, l'art, les façons de parler, seraientde son ressort.

Dès lors, il lui paraît légitime d'interdire toute forme d'expression qu'il n'aurait ni provoquée, niautorisée.

Telle est la censure, aussi bien lorsqu'elle condamne Baudelaire pour immoralité, que lorsqu'elle enferme oudéporte les artistes qui lui paraissent dangereux.

Même sans en venir à ces extrémités, il est courant que les Étatstentent de se servir de l'art, à des fins de propagande, ou du moins tentent de le contrôler.

Lorsque Richelieu créel'Académie française, c'est moins pour pensionner des écrivains talentueux, moins pour qu'ils établissent undictionnaire, c'est-à-dire une norme de la langue, que pour les contrôler davantage.

De même, les princes quis'entouraient d'artistes et d'écrivains, comme Frédéric II de Prusse, ne toléraient guère la critique, aussi éclairésfussent-ils.

Il ne protégera Voltaire qu'un temps, jusqu'à ce que ce dernier s'en émancipe, pour retrouver une libertéd'expression qu'il considérait sacrée.L'art ne représente donc pas un danger réel pour la société, mais plutôt un danger symbolique : parce qu'il est de sanature même de remettre en cause, et d'opérer des révolutions esthétiques ou intellectuelles, il apparaît à certainsintolérable, voir dangereux.

Mais étranger, l'artiste ne l'est alors que dans une moindre mesure, tempérée par toutrégime démocratique. *** Que demande l'artiste ? A la fois les moyens et la liberté de s'exprimer.

Depuis plus d'un siècle, c'est à lui de sefournir les moyens.

Reste donc la question de la liberté, qui fait de l'artiste, en quelque sorte par essence, undémocrate.

L'emprisonnement du pianiste Miguel Angel Estrella dans les geôles argentines, durant la dictature,condamnait moins ses prises de position politique, quoique celles-ci fussent on ne peut plus claires, que sa naturemême d'artiste.

Aucun pouvoir n'oublie l'impact qu'ont eu les écrivains et les philosophes du XVIIIe siècle français :même s'ils n'étaient pas lus de tous, leurs idées ont été suffisamment diffusées pour préparer idéologiquement laRévolution.

En ce sens, il est certain que la notion même de liberté, et a fortiori de liberté d'expression, est unenotion dangereuse, et que ceux qui la véhiculent sont des activistes forcenés.

Cette tendance naturelle de l'art à ladémocratie se retrouve d'ailleurs dans tous les peuples opprimés.

Nous avons déjà cité le cas de Vaclav Havel, maison pourrait ajouter la romancière sud-africaine Nadine Gordimer, les poètes espagnols Machado et Garcia Lorca, oupour remonter encore dans le temps, les écrivains français du XVIIe siècle, Théophile de Viau et Cyrano deBergerac...Pour autant, l'artiste demeure-t-il vraiment un étranger, selon le mot de Simone de Beauvoir, quand la société ne lui. »

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