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Est-il possible d'expliquer une oeuvre d'art?

Publié le 17/03/2005

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            Il suit de là que le symbole est de sa nature essentiellement équivoque. D'abord, à l'aspect d'un symbole, on peut se demander si c'est réellement un symbole ou non ; ensuite, en supposant qu'il en soit ainsi, qu'elle est entre toutes les significations qu'un symbole peut renfermer, celle qui est véritablement la sienne. Or, souvent, le rapport entre le signe et la chose signifiée peut être fort éloigné.             Ensuite, nous avons sous les yeux un objet, une image ; mais cet objet, si c'est un lion, un aigle, une couleur, peut bien ne représenter que lui-même ; c'est peut-être simplement l'image d'un lion, etc. Désigne-t-il autre chose ? Une idée abstraite comme la force, ou même une idée plus concrète, un héros, une époque de l'année ? Le taureau est-il le symbole de l'agriculture ? » Hegel ne parle pas d' « interprétation », toutefois c'est bien de cela qu'il s'agit à propos du symbole. Il est décisif de distinguer l'explication de l'interprétation. L'explication, on l'a vu en introduction, c'est le fait de rendre intelligible les raisons et les causes de quelques choses.

On accuse quelquefois les musées, notamment les musées d'art contemporain, de présenter seulement les oeuvres, et non pas de les « expliquer «. On peut par exemple ressentir le besoin d'explication lorsque l'incompréhension domine. Pourquoi telle oeuvre est-elle une oeuvre d'art ? Quelles étaient les intentions de l'auteur ? En même temps, la question de l'explication d'une oeuvre d'art ne concerne pas seulement celui qui ne comprend pas le statut artistique d'une oeuvre. Quelqu'un qui apprécie telle musique pourrait, à la question « pourquoi ? «, répondre que « cela ne s'explique pas «. La question concerne la possibilité même de l'explication à propos de l'oeuvre d'art. Car cela ne va pas du tout de soi.

 La définition de l'oeuvre d'art est particulièrement problématique. L'art contemporain notamment a rendu quasiment impossible la tentative de donner des critères de ce qu'est une oeuvre d'art. En même temps, certaines oeuvres sont considérées comme artistiques et pas d'autres. On peut raisonnablement supposer qu'il y a des raisons pour donner ce statut à une oeuvre.

Expliquer, c'est justement rendre raison de quelque chose, c'est rendre intelligible une chose, un phénomène, en dévoilant ses causes. L'explication apporte donc une forme de connaissance. Toutefois de quoi s'agirait-il à propos d'une oeuvre d'art ? Expliquer une oeuvre d'art, serait-ce donner les causes à l'origine de son statut artistique ? Quelles pourraient être ces « causes « ? Est-ce exposer les intentions qui ont précédés la réalisation de l'oeuvre ? Mais même en saisissant ce qu'a voulu réaliser l'auteur, cela expliquerait-il ce qui rend l'oeuvre artistique ?

En d'autres termes, et d'une manière générale, peut-on répondre par une « explication « à la question « pourquoi telle oeuvre est-elle une oeuvre d'art « ? Ne peut-on pas supposer que ce qui rend artistique une oeuvre est plutôt de l'ordre du sentiment que de l'ordre de la raison ? Si tel est le cas, cela ne rend-il pas vaine toute tentative d'explication, dans le sens où il serait impossible d' « expliquer «, au sens propre, ce qui produit un sentiment ?

On a parler de rendre compte de l'intention de l'auteur pour expliquer une oeuvre. Mais cela concerne-t-il l'oeuvre d'art ? On pourrait très bien estimer que la création de l'oeuvre d'art échappe à l'artiste lui-même. L'inspiration, par exemple, s'explique-t-elle ?

Toutes ces questions montrent un certains scepticisme à propos des explications pour l'oeuvre d'art. En même temps, peut-être ne faut-il pas renoncer à chercher en quoi une oeuvre d'art peut être expliquée, car il doit bien y avoir des raisons pour que certaines oeuvres soient considérées comme artistiques, et d'autres pas. A moins que l'impossibilité d'expliquer l'oeuvre d'art fasse partie de sa définition.

 

En même temps, à quoi s'efforcent toutes les disciplines qui ont l'art pour objet ? L'histoire de l'art, la philosophie de l'art, la sociologie de l'art, etc., ne persévèrent-elles pas à vouloir expliquer l'oeuvre d'art ? Si ce n'est cela, à quoi d'autre s'efforcent-elles ?

Pour répondre à la question posée, il faut donc mener en parallèle deux analyses : celle qui concerne l'oeuvre d'art, et celle qui interroge le statut de l'explication.

 

« a) L'artiste est incapable d'expliquer son oeuvre. Le fait de s'intéresser à l'intention de l'artiste est peut-être un moyen d'expliquer l'oeuvre d'art.

Le fait de sedemander, face à une oeuvre, quelle était l'intention de l'auteur peut parfois permettre de la comprendre.

Toutefois,l'auteur lui-même est-il capable d'expliquer son oeuvre ? KANT, Critique de la faculté de juger , §47. « Newton pouvait non seulement pour lui, mais pour tout autre, décrire clairement, et déterminer pour ses successeurs, les démarches qu'il eut àfaire depuis les premiers éléments de la géométrie jusqu'à ses grandes etprofondes découvertes ; mais aucun Homère, aucun Wieland ne pourraitmontrer comment ses idées riches en poésie et pourtant lourdes de penséessurgissent et s'assemblent dans son cerveau, car lui-même ne le sait pas et ilne peut donc l'enseigner à un autre.

En matière de science par conséquent iln'y a entre le plus grand inventeur et l'imitateur, l'apprenti le plus laborieux,qu'une différence de degrés, mais il y a une différence spécifique entre lui etcelui que la nature a doué pour les beaux-arts ; on ne veut pas pourtantdiminuer ces grands hommes auxquels l'humanité doit tout, par rapport à ceuxqui par leur talent pour les beaux-arts sont des favoris de la nature.

Le talentdes premiers consiste à faire progresser toujours davantage lesconnaissances, et les avantages pratiques qui en dépendent, comme àinstruire les autres dans ces mêmes connaissances et c'est là une grandesupériorité sur ceux qui méritent l'honneur d'être appelés des génies ; pourceux-ci l'art s'arrête quelque part ; il a ses limites qu'il ne peut dépasser, qu'ila sans doute atteintes depuis longtemps et qui ne peuvent plus être reculées; de plus une telle maîtrise ne peut se communiquer, elle est dispenséedirectement à chacun par la main de la nature ; elle disparaît donc avec l'un jusqu'à ce que la nature confère à un autre les mêmes dons ; et il ne reste plus à celui-ci que d'avoir un modèlepour laisser se manifester de semblable manière le talent dont il a conscience.

» Le génie est un don ; il ne s'explique pas, selon Kant.

Un artiste ne saurait rendre raison des mécanismes de la création. « Les beaux-arts sont les arts du génie...

» KANT. Le terme « art » a pendant toute l'Antiquité et le Moyen Age, simplement désigné la forme de la productionartisanale.Ainsi, Platon oppose la « theôria », connaissance purement contemplative, au savoir-faire lié à la productionmatérielle (« technè »).

Cette dernière concerne la production et se définit comme création:« Ce qui, pour quoi que ce soit, est cause de son passage de la non-existence à l'existence, est, dans tous les cas,une création; en sorte que toutes les opérations qui sont du domaine des arts sont des créations, et que sontcréateurs tous les ouvriers de ces opérations.» (« LE Banquet »).C'est pourquoi, pour Platon, les artisans sont tous poètes.

En effet, «poésie» signifie étymologiquement «faire», cequi consiste essentiellement à faire être ce qui n'était pas, c'est-à-dire à créer.Si la technique (ou l'art) est création, elle porte sur le contingent, c'est-à-dire sur ce qui peut aussi bien être quen'être pas.

C'est en cela que la technique (ou l'art) s'oppose à la science.

Cette dernière porte, en effet, sur desessences idéales, c'est-à-dire éternelles et immuables.

On comprend, dès lors, que Platon, reconnaissant la fonctionsociale de la technique, ne lui accorde aucune valeur humaine.

Insensible à la beauté de l'Acropole, il ne semble voirde la beauté que dans la nature (les beaux corps des jeunes garçons), dans la morale (les belles actions), dans lessciences (mathématiques et philosophie).C'est à partir du XVIIIE siècle que l'art se distingue aussi bien de l'artisanat que de la technique et acquiert ainsi unstatut spécifique.

D'où l'apparition de l'esthétique comme théorie des beaux-arts.

Et, dans la Critique de la facultéde juger (1791), Kant, même s'il ne prétend pas faire une théorie des objets beaux (car, selon lui, le beau n'est pasune qualité des objets : il n'y a pas de règle du beau ni donc de science du beau), affirme qu'il n'existe pas de bellessciences, mais seulement des beaux-arts.

Il accorde même, d'une ..

certaine manière, une supériorité à l'art sur lessciences et la technique, puisqu'il considère qu'il n'y a de génie que dans les Beaux-Arts : «Les Beaux-Arts sont lesarts du génie.

»Dans la civilisation artisanale, l'artiste, qu'il bâtisse et orne les lieux du culte ou qu'il décore les palais, était auservice de la religion ou des princes.

Le développement de l'industrie permet à l'art de s'émanciper.

Désormaisindépendant, l'artiste découvre qu'il ne tient pas son pouvoir de créer de Dieu, mais que celui-ci lui appartient enpropre.

C'est ce pouvoir de créer qui, d'une certaine manière, rend l'artiste égal à Dieu, qu'on appelle le génie.Application de la science, la technique repose sur une méthode scientifique précise dont toutes les démarches sonttransmissibles, renouvelables.

Même les techniques les plus complexes peuvent être décomposées, analysées dansleurs moindres détails, et réduites à des gestes simples.

Il suffit généralement de savoir ce qu'il faut faire pourréussir.

Quant à l'artisanat, il ne requiert aucune faculté d'invention ou génie particulier.

Seul l'art, qui repose sur lafantaisie créatrice de l'artiste, demande autre chose que « l'aptitude à savoir faire ce qui peut être appris d'aprèsune règle quelconque ».

Les Beaux-Arts doivent donc nécessairement « être considérés comme des arts du génie ».Que faut-il entendre par génie sinon « un talent qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle. »

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