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Est-il vrai qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées ?

Publié le 07/09/2005

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B. Le domaine de la pensée, au contraire, est entièrement en notre pouvoir.

Je puis penser à ce que je veux : au passé, au présent ou à l'avenir. A la réalité qui occupe normalement mon esprit, je puis substituer l'imaginaire ou même l'impossible, recommencer ma vie, par exemple, ou la revivre à l'âge de la pierre taillée... Je puis penser ce que je veux, c'est-à-dire rejeter des opinions que je tenais jusqu'ici pour certaines et me faire d'autres convictions. Pourquoi même ne pas mettre en doute les principes qui passent pour les normes nécessaires de la pensée ? Rien ne résiste, semble-t-il, à mon pouvoir d'affirmer et de nier. On voit, à prendre l'assertion de Descartes à la lettre, à quelles invraisemblances on aboutit.

Nous en avons bien souvent pris conscience au cours de notre vie scolaire : qu'il s'agisse d'un cours magistral à suivre, d'un problème à résoudre, d'un texte à analyser ou à résumer, il n'est pas toujours facile de fixer l'esprit. Aussi, trouvons-nous surprenant que Descartes ait pu écrire : « il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées «.  Sans doute que, dans le vocabulaire cartésien, « pensée « n'avait pas le sens que nous lui donnons aujourd'hui. Mais nous avons à discuter une proposition émise par Descartes et non le cartésianisme. C'est pourquoi nous nous contenterons de voir si, prise en elle-même, cette proposition peut être acceptée par un esprit contemporain.

« introduction a) L'opinion commune ne met guère en question notre liberté intérieure : s'il y a bien un domaine dont nous sommesmaîtres, c'est celui de notre réflexion, de nos pensées, de nos « idées de derrière la tête ».b) Toutefois, on peut observer que nous ne choisissons pas toujours les idées qui nous viennent à l'esprit.

« Hasarddonne les pensées, hasard les ôte », remarque Pascal (éd.

Brunschvicg, n° 370).c) Le problème, de façon générale, se pose alors de savoir si nos pensées sont vraiment en notre pouvoir. 1) de l'opinion à la pensée philosophique Banales ou profondes, nos pensées sont d'abord nos idées, les conceptions que nous avons : représentations,opinions, croyances, théories...

Ces idées sont-elles en notre pouvoir ?a) Des idées toutes faites• Descartes souligne que « nous avons tous été enfants avant que d'être hommes » ; nos jugements ne peuventdonc être ni « si purs ni si solides qu'ils auraient été si nous avions eu l'usage entier de notre raison dès le point denotre naissance, et que nous n'eussions jamais été conduits que par elle » (Discours de la Méthode, II).

Nospremières idées sont des opinions reçues.

Nos premiers jugements sont des préjugés.• Nous ne sommes donc pas maîtres de nos premières pensées.

Nous les découvrons en nous, c'est en nous qu'ellesse forment, mais ce n'est pas nous qui les formons.

Elles ne sont pas en notre pouvoir, mais en quelque sorte aupouvoir des « nôtres », de nos semblables, ceux de notre famille, de notre culture, de notre classe sociale, de notremilieu professionnel.• Non seulement ces pensées ne sont pas en notre pouvoir, mais c'est au contraire notre pensée qui est en leurpouvoir.

Plusieurs analyses, dont il ne faudrait pas minimiser par ailleurs les différences, insistent sur ce point.

Ellesnomment et définissent ces pensées qui nous aliènent sans que nous le sachions.

Ainsi :— la doxa, ou opinion, chez Platon : l'ensemble des croyances qu'une société tient pour vraies sans examencritique, la pensée commune qui enchaîne d'autant mieux les prisonniers de la Caverne qu'elle leur paraît d'une totaleet indiscutable évidence ; (cf.

La République, livre VII, l'allégorie de la Caverne) ;— les prénotions, dont le sociologue Durkheim nous dit qu'elle sont « ces fausses évidences qui dominent l'esprit duvulgaire » : elles ont, « avant tout, pour objet de mettre nos actions en harmonie avec le monde qui nous entoure», et nous en masquent la réalité (cf.

Les Règles de la méthode sociologique, 1895, chap.

II) ;— l'idéologie, au sens marxiste, « pensée théorique qui croit se développer abstraitement sur ses propres données,mais qui est en réalité l'expression de faits sociaux, particulièrement de faits économiques, dont celui qui la construitn'a pas conscience, ou du moins dont il ne se rend pas compte qu'ils déterminent sa pensée » (Lalande) ;— les catégories de notre langue : les linguistes contemporains, rappelant que nous apprenons en même temps laparole et la pensée, suggèrent que « les "catégories mentales" et les "lois de la pensée" ne font dans une largemesure que refléter l'organisation et la distribution des catégories linguistiques.

Nous pensons un univers que notrelangue a d'abord modelé.

Les variétés de l'expérience philosophique ou spirituelle sont sous la dépendanceinconsciente d'une classification que la langue opère du seul fait qu'elle est langue et qu'elle symbolise » (É.Benveniste, Problèmes de linguistique générale, I, p.

6). • Transition.

On voit que le « hasard », s'il nous donne nos pensées, n'est peut-être pas entièrement indéterminé. Mais prendre conscience que les pensées qui nous viennent d'abord ne viennent pas de nous, ne serait-ce pas fairela preuve que nous pouvons acquérir un certain pouvoir sur nos pensées ? b) Construire et conduire sa pensée• En un sens, toute philosophie nous invite à surmonter ces pensées qui aliènent notre pensée, pour accéder à unepensée qui serait enfin en notre pouvoir, mieux : qui serait l'exercice de ce pouvoir de penser dont chaque hommeest capable.• Ainsi peut-on comprendre par exemple :— l'ironie de Socrate, cette pensée qui met en lumière les contradictions des « pensées » de la doxa ;— la méthode de Descartes : sa première règle est « d'éviter soigneusement (...) la prévention », de ne pas tenirpour vrais des jugements dont notre pensée n'a pas examiné librement la valeur de vérité (Discours de la méthode,II) ;— l'esprit scientifique en général, qui construit toujours ses concepts en refusant les pièges des catégories del'opinion, en se méfiant des « idées » que véhiculent les mots familiers.

« Quand il se présente à la culturescientifique, l'esprit n'est jamais jeune.

Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés (...).

L'opinion pensemal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissance (...).

L'esprit scientifique nous interdit d'avoir uneopinion sur des questions que nous ne comprenons pas.

» (G.

Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, Vrin,1965, p.

14.). »

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