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Etienne Bonnot de Condillac

Publié le 22/02/2012

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condillac
L'oeuvre de Condillac ne compte pas parmi les plus grandes. Mais, par la lucidité des analyses qu'elle présente, aussi bien que par l'influence qu'elle a longtemps exercée, elle occupe une place relativement importante dans l'histoire de la pensée française. Elle s'apparente au reste, par les thèmes qu'elle n'a cessé de reprendre, à quelques-unes des plus hautes philosophies.    De la vie même de Condillac (1714-1780), aucun événement notable n'est à retenir : cette vie fut toute simple et marquée seulement par la publication d'ouvrages de philosophie, d'histoire et d'économie politique. Issu d'une famille qui était originaire du Briançonnais, Condillac fit ses premières études à Lyon, mais vint de bonne heure à Paris, où il suivit sans enthousiasme des cours de théologie et s'initia plus volontiers aux sciences et à la philosophie. Dès 1740, après avoir reçu les ordres, il fréquenta les milieux littéraires, fit notamment la connaissance de Rousseau et de Diderot, et commença d'écrire. De 1758 à 1767, il exerça des fonctions de précepteur, à la cour de Parme, auprès de l'infant don Ferdinand. Puis, à son retour en France et jusqu'à sa mort, il vécut dans une sorte de demi-retraite près de Beaugency, ne faisant chaque année que quelques brefs séjours à Paris et consacrant tous ses loisirs à revoir et compléter ses oeuvres. C'est à celles-ci qu'il a travaillé, à peu près exclusivement, pendant toute sa vie. Avant son séjour à Parme, il avait publié, presque coup sur coup, l'Essai sur l'origine des connaissances humaines (1746), le Traité des systèmes (1749), le Traité des sensations (1754) et le Traité des animaux (1755). Des années de préceptorat il avait ensuite rapporté un vaste Cours d'études, comprenant une Grammaire, un Art d'écrire, un Art de raisonner, un Art de penser, sans compter, pour finir, une série de volumes historiques, Histoire ancienne et Histoire moderne (1775). Peu après, cédant à l'actualité, il avait entrepris d'écrire un essai sur le Commerce et le gouvernement considérés relativement l'un à l'autre (1776). L'année même de sa mort, il avait enfin donné, à la requête du gouvernement polonais, la Logique, ou les premiers développements de l'art de penser (1780), et il avait commencé une étude sur la Langue des calculs, qui parut, inachevée, dans l'édition posthume des OEuvres Complètes (1798). Chez lui, toute activité semble n'avoir répondu constamment qu'à un goût très vif de la réflexion et de l'analyse intellectuelle.   
condillac

« faut voir chaque partie l'une après l'autre.

" Toute saine méthode comporte ainsi une double opération : un travail de décomposition, par lequel ons'efforce de discerner dans un ensemble les éléments qui le constituent, puis un travail de recomposition, qui a pour objet de retrouver l'ordresuivant lequel s'enchaînent les éléments qui ont été distingués.

N'est-ce pas, au reste, ce dont spontanément chacun se rend compte ? " En effet,que je veuille connaître une machine, je la décomposerai, pour en étudier séparément chaque partie.

Quand j'aurai de chacune une idée exacte, etque je pourrai les remettre dans le même ordre où elles étaient, alors je concevrai parfaitement cette machine, parce que je l'aurai décomposée etrecomposée.

" Bref, " chacun peut se convaincre de cette vérité par sa propre expérience ; il n'y a pas même jusqu'aux plus petites couturières quin'en soient convaincues : car si, leur donnant pour modèle une robe d'une forme singulière, vous leur proposez d'en faire une semblable, ellesimagineront naturellement de défaire et de refaire ce modèle, pour apprendre à faire la robe que vous demandez.

" Mais l'analyse ainsi conçuesuppose, au dire de Condillac, certaines conditions, sans lesquelles, de toute évidence, elle ne pourrait être pratiquée.

Elle " ne se fait et ne peut sefaire qu'avec des signes " ; elle exige même, pour atteindre toute la précision désirable, que ces signes correspondent à une langue aussirigoureuse que possible.

" Créer une science n'est donc autre chose que faire une langue, et étudier une science n'est autre chose qu'apprendreune langue bien faite.

" En combinant des symboles choisis avec soin, la démonstration reconstitue bientôt l'enchaînement des idées ; elle réussitmême à dégager l'identité foncière qu'impliquent les jugements énoncés.

A la limite, par conséquent, " chaque science pourrait se réduire à unepremière vérité, qui, en se transformant de proposition identique en proposition identique, nous offrirait, dans une suite de transformations, toutesles découvertes qu'on a faites, et toutes celles qui restent à faire ".

La double orientation psychologique et logique de la pensée condillacienne donne finalement à la doctrine une originalité singulière.

L'intérêtqu'elle offre ne vient pas seulement de ce qu'elle développe deux séries de vues apparemment distinctes, mais plus encore de ce que lesconsidérations ainsi présentées se soutiennent et se renforcent mutuellement.

Sur le plan des recherches psychologiques, Condillac se contented'esquisser rapidement l'étude du langage et celle du toucher qui mériteraient à certains égards d'être menées pour elles-mêmes et il souligne plusvolontiers la marche régulière par laquelle l'esprit s'élève de l'impression intérieure qu'éprouve la conscience jusqu'aux formes les plus hautes de lavie mentale : il ne cherche dans la psychologie qu'une justification de sa philosophie générale.

Dans le domaine des recherches logiques, il seborne à des indications sommaires que lui suggère un examen rapide de la pensée mathématique sur la valeur de l'analyse et le rôle des symboles,et il se tourne aussitôt, dans le seul souci d'offrir une illustration des principes posés, vers une application de la méthode à la vie de l'esprit : il nedemande à la logique que le fondement de sa philosophie générale.

Ainsi la philosophie générale, dont le thème directeur est emprunté à lalogique de l'analyse, et qui commande à son tour une psychologie de la sensation transformée, constitue le centre invisible auquel tout doit êtrerapporté.

Elle correspond moins au goût naturel de l'observation naïve qu'au désir impérieux de tout comprendre.

Plus profondément, elle supposeque la pleine intelligence du réel ne peut être obtenue que par l'élaboration d'un système de vérités analytiques.

Sous les apparences d'unempirisme, qui se donne pour l'image du véritable esprit scientifique, elle est donc, à la lettre, un panlogisme.

Rien n'exprime davantage unintellectualisme foncier.

C'est pourquoi Condillac, mieux étudié et mieux connu, fait vraiment figure de métaphysicien.

Son oeuvre tout entièrel'apparente à cette lignée qui, depuis Leibniz H028 , croient pouvoir obtenir en toutes choses une intelligibilité absolue.

On comprend après cela l'étrange destinée de l'oeuvre, tour à tour prise pour modèle ou sévèrement critiquée.

Dès la fin du XVIIIe siècle etpendant les premières années du XIXe, Condillac connut en effet une grande vogue.

En dehors de toute école philosophique, des hommes telsque Lavoisier E1232 ou Stendhal L209 lui vouèrent une profonde admiration et se réclamèrent de ses idées.

Ce furent cependant les Idéologues, groupés à l'Institut dans la Classe des Sciences morales et politiques ou réunis à Auteuil dans le salon de Mme Helvétius, qui poursuivirentdirectement son effort.

Ils s'inspirèrent surtout d'une méthode : manifestant une égale hostilité à l'égard de la métaphysique et rappelant, eux aussi,la nécessité de faire constamment appel aux données de l'observation, ils se proposèrent délibérément de ne s'appuyer toujours que sur lesdonnées de l'expérience et de ne procéder que par de patientes analyses.

Leur doctrine s'avéra toutefois assez indépendante : sans douteacceptèrent-ils aisément le principe selon lequel toutes les connaissances humaines viennent des sens ; mais, plutôt que de tenter une analyseréductrice qui permît de décrire ensuite une genèse idéale des facultés de l'âme, ils s'appliquèrent avant tout à ressaisir le réel en sa diversitéfoncière.

Aussi préparèrent-ils, plus sûrement que leur maître, l'avènement d'une psychologie positive.

Mais bientôt parut Maine de Biran H031 , dont la critique fut inlassable.

De fait, il prétendit dénoncer une double erreur, dont, à ses yeux, aucun artifice de méthode ne pouvait atténuer lepoids.

Il fit voir que l'expérience, dûment consultée, ne révèle pas seulement en l'homme la passivité des pures affections sensibles, mais encore, etplus profondément, l'activité volontaire d'un être capable d'initiative.

Mieux encore, il fit comprendre qu'au sein même de toute donnée qui faitimpression, s'observe, toujours présent, un acte de conscience, c'est-à-dire un pouvoir de réflexion hors duquel rien ne peut être connu.

Bref, aunom de l'expérience intérieure, il rejeta comme artificiel et verbal ce que ses devanciers avaient cru solide.

Il fallut le mouvement del'associationnisme pour susciter, à la fin du XIXe siècle, un renouveau de la pensée condillacienne.

John-Stuart Mill H1176 en Angleterre et Taine L216 en France développèrent alors, non sans retouches d'ailleurs, quelques-unes des thèses de Condillac, montrant par là que l'idéal défini jadis gardait encore un puissant attrait.

C'est pour répondre à un besoin de rigueur logique et d'intelligibilité absolue, que l'oeuvre de Condillac a été maintes fois reprise.

Mais c'est pourtenir compte de l'expérience, d'une expérience à vrai dire intégrale et non abstraitement simplifiée, qu'elle a d'autre part été soumise à de très vivescritiques.

N'est-ce donc pas le signe qu'en dépit de prétentions à l'objectivité, et malgré le désir de poursuivre l'oeuvre de Locke H029 et celle de Newton E100 , Condillac a méconnu, par esprit de système, les exigences du réel ? N'est-ce pas la preuve que ce qui a le plus manqué à l'empiriste qu'il voulut être, c'est un certain sens de l'expérience ?. »

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