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explication du cours sur le dialogue de thrasymacque et socrate

Publié le 13/11/2021

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socrate
République, 336b-344d – commentaire : C’est donc à une conception éminemment non politique de la justice que nous a conduit l’entretien en forme de prologue que conduit Socrate avec Céphale, puis Polémarque. La conception vulgaire et ordinaire de la justice, celle de « l’honnête homme » – faire du bien aux bons et du mal aux méchants, soit : récompenser la vertu et sanctionner le vice – a été réfutée par Socrate en vertu du principe suivant : l’homme bon ne saurait faire autre chose que du bien ; il ne saurait donc faire aucun mal, même au méchant, même lorsque le châtiment paraît fondé et juste. C’est que Socrate cherche à définir l’essence de la justice comme vertu, et même vertu individuelle, et non à décrire une institution collective – cette institution précisément chargée de punir les crimes et de réformer les conduites que nous appelons encore aujourd’hui « la justice », comme on dit « traîner en justice » ou « passer en justice ». Très bien ; mais il faut bien, le propos même de la République nous y invite, construire une Cité, et même une Cité juste, où règne l’ordre. Comment construire un régime politique stable et durable sans institutions judiciaires, sans « justice » pénale, sans un pouvoir chargé de sanctionner les manquements à la loi ? La considération de la justice comme vertu personnelle de « l’homme juste » s’avère ici insuffisante, puisque cet « homme juste » est entièrement désarmé devant l’injustice ; et c’est par cette brèche que pénètre avec fracas la conception sophistique de la justice, qui la décrit, au contraire, comme tout entièrement politique. C’est là qu’intervient, lassé des « naïvetés » socratiques, le penseur pleinement déniaisé, et guéri des illusions du langage et de l’ordre social, Thrasymaque1. « Politique », la justice l’est, pour Thrasymaque, tellement, qu’elle n’est même que cela. Comme l’explique abondamment (338d-344d) le sophiste, notamment dans un assez long monologue faisant l’éloge de l’injustice (343b-344d), la justice est une émanation du pouvoir, et rien d’autre ; et celui qui pense le contraire est un sot et un « simple d’esprit » (343c), victime, précisément, de cette ruse, de cette duperie à grande échelle qu’est la notion de « justice »2. Tâchons de préciser tout cela. La justice, commence par dire Thrasymaque, est ce qui va dans l’intérêt du plus fort (338c339a), c’est-à-dire du pouvoir politique. Chaque Cité, chaque État, chaque groupement politique, chaque régime, définit ce qui est juste et ce qui ne l’est pas : dans toute société – et remarquons que la démocratie ne fait pas exception – il y a des « forts » et des « faibles », des « dominants » et des « dominés », des dirigeants et des sujets. Ce que l’on nomme à chaque fois « justice » n’est rien d’autre que ce qui profite aux dominants, ce qui renforce et perpétue leur pouvoir, ce qui maintient un rapport de force établi. Tout État est un système d’exploitation, une instance d’oppression divisant des gouvernants (qui en profitent) et des gouvernés (qui la subissent), et que Thrasymaque va jusqu’à comparer à du bétail (343b-c) ; et la justice n’est rien d’autre que l’organisation de cette oppression. THRASYMAQUE de Chalcédoine (459 – 399 av.JC) est un personnage historique, auteur notamment d’un traité perdu sur la pitié. Son génie rhétorique aurait, paraît-il, influencé l’orateur DÉMOSTHÈNE ; il ne nous reste malheureusement rien de ses écrits, et le peu que nous en connaissons vient d’auteurs nés plusieurs siècles après sa mort. Aussi le témoignage de PLATON, qui fut son contemporain et peut-être même son disciple, est-il ici extrêmement précieux, part faite à l’exagération et à la caricature. 1 2 Sur tout ceci, voir l’Introduction à la lecture de Platon, pp. 97-104. 1 Remarquons alors immédiatement que la justice est éminemment variable : les régimes changeant d’une société à une autre, ce qui les renforce changera aussi. « Juste » paraîtra ainsi en démocratie le principe de l’élection ou de la souveraineté populaire – mais injuste ailleurs ; « juste » le pouvoir exclusif des riches (« suffrage censitaire » ou autre) dans une oligarchie, mais injuste dans une démocratie ; « justes » le pouvoir d’un seul dans une tyrannie ou d’une élite dans une aristocratie, mais injustes dans une oligarchie et une démocratie ; etc3. Aussi n’y a-t-il pas de notion unitaire de la justice, de « modèle » unique à quoi tous les actes justes renverraient : « la justice », cela ne veut rien dire ; encore faut-il se demander où, quand et de quoi on parle. La justice n’existe pas à l’état absolu, isolé, mais seulement relativement à tel régime, à telle société où existe tel pouvoir ou tel ordre établi qui considère telle chose comme « juste » ou « injuste » ; et ce relativisme rappelle bien entendu le sociologisme d’un autre sophiste, PROTAGORAS, pour qui « la vertu » ne signifie rien d’autre que la maîtrise des codes d’une certaine Cité, d’une certaine société, nous dirions aujourd’hui, d’une certaine « culture »4. Il n’y a pas, pour le relativisme protagorien, de « science intuitive du bien et des valeurs », puisqu’il n’y a pas de « bien » et de « valeurs » au sens absolu du terme, mais seulement l’apprentissage de ce qui vaut à tel endroit et à tel moment, pour s’insérer dans tel système social. De même, il n’y a pas pour le Thrasymaque de la République de « science », au sens socratique, de la justice (c’est-à-dire de connaissance intuitive, innée de ce qui est absolument juste), mais seulement la compréhension du fonctionnement de tel régime politique, et de ce qu’il accepte et refuse. Il ne faut pas juger, mais comprendre : Thrasymaque, et les sophistes en général, ne font pas, comme PLATON, de la philosophie politique, mais de la science politique ; ils en sont même les inventeurs ou, du moins, les précurseurs, comme ils sont les précurseurs de la sociologie et de l’anthropologie modernes. La « justice », ainsi affligée d’une irréductible pluralité et d’une nécessaire relativité, ne renvoie donc pas à une essence, à une réalité « intelligible », comme une figure géométrique « vraie » envelopperait en elle toutes les figures « réelles » (et fausses) que trace la main humaine ou le hasard de la nature. Elle n’est pas une réalité : elle n’est qu’un mot, et même un grand mot, qui ne renvoie à rien d’absolument « vrai » ou « réel », un mot qu’utilisent les dirigeants pour continuer à diriger. Eux-mêmes ne sont nullement contraints de s’y soumettre : la justice étant un instrument de domination, elle ne concerne que les dominés, non les dominants. Elle est le déguisement de rapports de force, car dans le monde de Thrasymaque et de la sophistique, il n’existe que cela : des rapports de force, dont les prétendues « valeurs » ne sont que les expressions. Nous savons déjà comment MARX nommera, dans les Manuscrits de 1844, de tels déguisements, de telles expressions : des idéologies. La justice ...
socrate

« 2 Remarquons alors immédiatement que la justice est éminemment variable : les régimes changeant d’une société à une autre, ce qui les renforce changera aussi.

« Juste » paraîtra ainsi en d émocratie le principe de l’élection ou de la souveraineté populaire – mais injuste ailleurs ; « juste » le pouvoir exclusif des riches (« suffrage censitaire » ou autre) dans une oligarchie, mais injuste dans une démocratie ; « justes » le pouvoir d’un seu l dans une tyrannie ou d’une élite dans une aristocratie, mais injustes dans une oligarchie et une démocratie ; etc 3.

Aussi n’y a -t-il pas de notion unitaire de la justice, de « modèle » unique à quoi tous les actes justes renverraient : « la justice », cela ne veut rien dire ; encore faut -il se demander où, quand et de quoi on parle.

La justice n’existe pas à l’état absolu, isolé, mais seulement relativement à tel régime, à telle société où existe tel pouvoir ou tel ordre établi qui considère telle chose comme « juste » ou « injuste » ; et ce relativisme rappelle bien entendu le sociologisme d’un autre sophiste, PROTAGORAS, pour qui « la vertu » ne signifie rien d’autre que la maîtrise des codes d’une certaine Cité, d’une certaine société, nous dirions aujourd’hui, d’une certaine « culture »4.

Il n’y a p as, pour le relativisme protagorien, de « science intuitive du bien et des valeurs », puisqu’il n’y a pas de « bien » et de « valeurs » au sens absolu du terme, mais seulement l’apprentissage de ce qui vaut à tel endroit et à tel moment, pour s’insérer dan s tel système social.

De même, il n’y a pas pour le Thrasymaque de la République de « science », au sens socratique, de la justice (c’est -à-dire de connaissance intuitive, innée de ce qui est absolument juste), mais seulement la compréhension du fonctionne ment de tel régime politique, et de ce qu’il accepte et refuse.

Il ne faut pas juger, mais comprendre : Thrasymaque, et les sophistes en général, ne font pas, comme PLATON, de la philosophie politique, mais de la science politique ; ils en sont même les in venteurs ou, du moins, les précurseurs, comme ils sont les précurseurs de la sociologie et de l’anthropologie modernes. La « justice », ainsi affligée d’une irréductible pluralité et d’une nécessaire relativité, ne renvoie donc pas à une essence , à une réa lité « intelligible », comme une figure géométrique « vraie » envelopperait en elle toutes les figures « réelles » (et fausses) que trace la main humaine ou le hasard de la nature.

Elle n’est pas une réalité : elle n’est qu’un mot , et même un grand mot, qu i ne renvoie à rien d’absolument « vrai » ou « réel », un mot qu’utilisent les dirigeants pour continuer à diriger.

Eux -mêmes ne sont nullement contraints de s’y soumettre : la justice étant un instrument de domination, elle ne concerne que les dominés, no n les dominants.

Elle est le déguisement de rapports de force, car dans le monde de Thrasymaque et de la sophistique, il n’existe que cela : des rapports de force, dont les prétendues « valeurs » ne sont que les expressions.

Nous savons déjà comment MARX n ommera, dans les Manuscrits de 1844, de tels déguisements, de telles expressions : des idéologies .

La justice thrasymachéenne n’est qu’une idéologie , c’est -à-dire une fiction mise au service du pouvoir, et des rapports que les hommes entretiennent entre eu x.

D’où vient alors que les dominants, les « forts », s’ils sont au pouvoir, aient besoin de la justice ? N’ont -ils pas déjà , justement, la force et le pouvoir ? La justice, ici, paraît inutile, et même redondante.

Mais c’est là négliger tout le potentiel du discours , capable de légitimer et 3 Il va sans dire que la plupart des principes juridiques de l’Ancien Régime nous paraissent, depuis la critique qu’en ont fait les Lumières et la Révolution, profondément injustes et « arbitraires » ; de même que nos conceptions paraîtraient injustes et même absurdes à des hommes de l’Ancien Régime. 4 Sur le sociologisme de PROTAGORAS tel qu’il est du moins décrit dans le dialogue du même nom, cf l’Introduction à la lecture de Platon , pp.

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