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Expliquer cette pensée de La Bruyère (Caractères, chap. v) : « Il me semble que l'esprit de politesse est une certaine attention à faire que, par nos paroles et par nos manières, les autres soient contents de nous et d'eux-mêmes. » ?

Publié le 15/06/2009

Extrait du document

esprit
Notre siècle affairé et besogneux tend à laisser tomber en désuétude les usages établis par des générations moins pressées et à ne conserver que les pratiques utiles et productives. A quoi bon cette étiquette plus gênante encore pour celui qu'elle prétend honorer que pour ceux à qui elle s'impose ? Pourquoi ces artifices de langage qui trompent les naïfs et installent le mensonge dans les relations humaines ? Bref, pourquoi tant de manières ? Ceux qui parlent ainsi ne voient des marnières polies que l'extérieur et comme la matière. Les lois de la politesse se réduisent pour eux à un pur formalisme, à un culte superstitieux de traditions que leur généralité seule justifie. Or, si la politesse consiste essentiellement dans les manières et dans les paroles, elle est informée, si elle est vraie, par un esprit. Cet esprit a été heureusement analysé par LA BRUYÈRE dans une pensée de son chapitre De la Société : « Il me semble que l'esprit de politesse est une certaine attention à faire, par nos paroles et par nos manières, que les autres soient contents de nous et d'eux-mêmes. » L'auteur des Caractères marque déjà nettement la complexité de cet « esprit » : l'amour-propre et l'amour des autres y fusionnent au point de ne pouvoir être séparés. En effet, celui qui a le goût de la politesse tient vivement à donner une idée avantageuse de lui-même; il rêverait presque d'exercer sur tous une séduction irrésistible. Il y a donc de l'ambition au fond de la politesse, mais une ambition qu'imprègne la charité : qui a l'esprit de politesse veut plaire en faisant plaisir; s'il désire que les autres soient contents de lui, il cherche avant tout à les rendre contents d'eux-mêmes. Examinons comment la vraie politesse aboutit à ce double résultat : le contentement de soi et le contentement des autres.
esprit

« conteur spirituel : les visages épanouis et souriants attestent combien on est content de l'entendre.

Et cependantn'arrive-t-il pas que plus d'un de ces auditeurs satisfaits de cette rencontre sent lever en lui une vague tristesse.Repassant dans son esprit cette soirée durant laquelle il a éprouvé tant de plaisir, il remarque qu'il n'y a joué lui-même aucun rôle : ses réflexions sont tombées dans le vide et n'ont réveillé chez les autres aucun écho; peut-êtrene l'a-t-on même pas remarqué et aucun signe ne lui a révélé que sa présence et son admiration avaient étéagréables.

Il compte bien peu.

Or ce que l'homme désire avant tout, c'est de compter pour quelque chose dansl'esprit et clans le coeur des autres.

Aussi est-il au fond mécontent de lui-même. ***L'esprit de politesse exige que nous parvenions, dans nos relations avec les autres, à les rendre contents d'eux-mêmes : ce sera d'ailleurs le meilleur moyen de les rendre encore plus contents de nous. Les manières polies doivent être commandées uniquement non pas par le souci de notre parfaite correction et par lesentiment d'une dignité de laquelle nous ne voulons pas déchoir, mais encore et surtout par le sentiment de ladignité de ceux avec qui nous traitons : quand la politesse est vraie, les manières polies ne sont que l'expression durespect intérieur éprouvé pour la personne humaine.

Quand nous nous effaçons devant un supérieur, il faudrait qu'ildevine dans notre geste que nous avons le sentiment des responsabilités qui pèsent sur ses épaules; quand nouscédons, dans un tramway, notre place à une mère qui porte son enfant, nous devrions lui faire sentir que nouspartageons son désir de donner à ce petit le plus de bonheur possible : un regard suffit à donner ce sens à desprévenances qui risqueraient de devenir conventionnelles.

Par là, l'obligé est rappelé au sentiment de sa dignité : ilest content de nous qui sommes si obligeants, mais encore plus de lui, puisque c'est ce qu'il est qui nous fait undevoir d'être obligeant à son égard.

Même lorsque nous croyons devoir refuser une faveur qui nous est demandée,nous pouvons obtenir que le solliciteur se retire content et de nous et de lui-même; s'il a l'impression qu'on l'aécouté avec bienveillance, qu'on l'a compris, qu'on a senti avec lui la nécessité d'une aide, qu'on a cherchéconsciencieusement à le tirer d'embarras, il partira les mains vides, mais avec quelque chose dans le coeur; lesentiment d'être digne d'intérêt; il sera content de lui.De même, dans les conversations, nous cherchons à provoquer l'intérêt bien plus qu'à l'éprouver nous-même enécoutant les autres.

C'est pourquoi, s'il est poli de faire en sorte que ceux qui nous écoutent soient intéressés,l'esprit de politesse consiste à faire son possible pour qu'ils soient intéressants.

Comment ? En amenant laconversation sur un sujet de leur compétence; en les soutenant par des questions, par des approbations discrètes;en marquant l'intérêt qu'on prend à leurs réflexions ou à leurs récits.

Après un entretien au cours duquel, sans avoirrien dit d'intéressant, nous aurons su donner à notre interlocuteur l'impression qu'il nous intéressait, nous aurons faitun heureux, nous aurons mis dans une âme un doux contentement de soi : mais il est bien à présumer que, plus oumoins consciemment, on sera aussi content de nous. *** En définitive, on a tout à gagner à être poli, mais il faut commencer par renoncer au gain et se résigner à perdre :être poli, c'est se gêner, s'oublier pour ne songer qu'aux autres.« La politesse coûte peu, a-t-on dit, et rend beaucoup.

» Qu'elle rende beaucoup, on ne saurait trop l'affirmer :c'est elle, plus que la science, la richesse, l'intelligence qui fait accepter un homme dans tous les milieux, le rendsympathique à ses chefs, à ses égaux, à ses subordonnés.

Mais qu'elle coûte peu, on ne peut l'admettre sansrestriction.

Sans doute, elle n'exige pas des sacrifices héroïques : la politesse n'est pas le dévouement; elle n'estque dans les manières.

Mais elle exige une constante attention aux autres et un constant oubli de soi qui n'estpossible que si une réelle charité l'inspire.

Comme le dit le poète : La vie humble aux travaux ennuyeux et facilesEst une oeuvre de choix et veut beaucoup d'amour.. »

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