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Expliquer et apprécier cette pensée de Pascal : « La mémoire est nécessaire dans toutes les opérations de la raison » (de la pensée).

Publié le 21/02/2011

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pascal

 

I. — S'il est une région où la nature ait réalisé la plus haute unité, c'est assurément celle de la conscience. Sans doute pour étudier fes diverses fonctions de la vie psychologique la nécessité s'impose de les distinguer et de les séparer les unes des autres. Il n'en reste pas moins vrai que toutes se pénètrent, s'enveloppent de sorte que les délimitations opérées entre elles restent artificielles. N'avons-nous pas un exemple frappant de cette vérité dans les rapports qui lient la mémoire et l'intelligence ? Certes l'on est assez disposé à les opposer l'une à l'autre ; l'expérience peut nous montrer qu'une mémoire d'une puissance remarquable peut coexister avec une faculté de compréhension extrêmement pauvre, parfois même douteuse. Mais après tout il n'y a là qu'un fait exceptionnel ; normalement la faculté de comprendre et la faculté de se souvenir sont intimement solidaires l'une de l'autre. C'est bien ce qu'avait vu Pascal quand il déclarait que « la mémoire est nécessaire à toutes les opérations de la raison «, c'est-à-dire de la pensée. Il est intéressant d'établir la vérité d'une telle affirmation. Toutefois ce n'est pas à dire qu'elle soit définitive ; suivant une expression empruntée au langage du mathématicien, la réciproque ne peut-elle pas aussi être considérée comme exacte ? En d'autres termes, si la mémoire conditionne les diverses opérations de la pensée, à son tour n'est-ce pas dans des opérations intellectuelles qu'il convient de placer les conditions les plus favorables de la mémoire ?

 

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« la vérité. IV.

— On le voit : la mémoire est réellement nécessaire à toutes les opérations de la pensée ; elle en représentebien la condition.

Toutefois n'oublions pas que pour Pascal lui-même elle n'en est que la condition ; elle n'en est pasla cause, l'énergie créatrice ; elle ne remplace pas et elle ne peut pas remplacer l'activité de l'esprit.

Déjà elle estimpuissante à expliquer la perception ; celle-ci est avant tout une synthèse, c'est-à-dire une construction de lapensée ; la plupart du temps elle est la « reconstruction » d'une synthèse antérieure, autrement dit la «reconstruction » d'une « construction ».

Que les éléments nécessaires pour cette construction ou cettereconstruction viennent de la mémoire, c'est entendu ; mais la construction et la reconstruction ne sont plus le faitde la pure mémoire ; les pierres d'une maison ne sont ni la maison, ni à plus forte raison les ouvriers qui l'édifient.

—Il serait de même facile de prouver que ce n'est pas la mémoire qui invente, qui crée du nouveau, que ce n'est paselle qui constitue le travail de l'attention, que ce n'est pas elle qui généralise, que ce n'est pas elle qui juge et quece n'est pas elle qui raisonne.

Toutes ces opérations, c'est la pensée qui les accomplit et c'est seulement la penséequi peut les accomplir.

Certes il est permis de l'affirmer : non seulement la mémoire est la condition des démarchesde l'intelligence, mais elle est encore celle de ses progrès.

N'est-ce pas elle qui assure toutes les conquêtes faitespar cette dernière, qui les fixe, les empêche de disparaître dès l'instant même où elles sont obtenues, permet ainsi àla pensée d'aller plus loin, d'acquérir des possessions nouvelles ? N'a-t-on pas dit avec raison que sans la mémoire letravail de l'esprit serait vraiment la toile de Pénélope condamnée à se défaire en même temps qu'elle se faisait ? Celaest vrai ; et pourtant il ne faut pas l'oublier : si elle maintient les connaissances acquises, ce n'est pas elle qui lesacquiert ; elle ne remplace pas l'activité industrieuse de la pensée ; bref, l'on ne saurait voir en elle une facultécréatrice. V.

— Et maintenant n'est-il pas permis d'aller plus loin ? S'il est vrai que l'intelligence demande la mémoire, n'est-ilpas vrai également que la mémoire demande l'intelligence, qu'elle a dans celle-ci ses conditions sinon les plusessentielles, en tout cas les plus efficaces ? On sait en quoi elle consiste : c'est elle qui « conserve » notre passé,qui le « reproduit », surtout qui le « reconnaît » et enfin le « localise ».

Or ces différents éléments sont-ilsindépendants de toute intervention venue de l'intelligence ? — S'agit-il de la « conservation » ? Sans doute elle ades conditions d'ordre plus spécialement affectif ; mais n'en a-t-elle pas aussi d'ordre nettement intellectuel ? C'estd'abord l'attention, surtout quand celle-ci provient de l'effort soutenu et tout intérieur de l'esprit.

C'est aussi lacompréhension : tout ce qui a été assimilé par la pensée, tout ce qui est pour elle parfaitement clair demeurelongtemps.

C'est enfin l'ordre que nous mettons entre les idées surtout grâce à des rapports naturels, logiques,c'est-à-dire leur organisation.

Peut-on méconnaître que c'est à ce travail que la mémoire doit de conserver toute sasouplesse et toute sa plasticité ? Alors en effet les idées sont comme centralisées, groupées autour de quelques-unes qui sont plus importantes, qu'il suffit aussi de retenir ; toutes les autres pourront être oubliées, car ellesréapparaîtront comme au commandement de leurs chefs de file dès que le besoin s'en fera sentir.

Sans ce choix,cette sélection, la mémoire aurait vite fait de sombrer sous le poids d'un fardeau trop lourd et d'ailleurs inutilisable.Aussi a-t-on pu dire qu'elle était la « faculté d'oublier »; ce qui est vrai, c'est qu'elle suppose l'oubli, surtout l'oubliintelligent, méthodique.

C'est là le principe d'une éducation rationnelle de cette fonction.

Pour qu'elle soit capabled'assimilations nouvelles, il importe d'opérer de perpétuelles désassimilations, bref de faire appel à l'intelligence :c'est pour elle une condition de santé, de fraîcheur et de vie.

— Que si maintenant l'on passe de la « conservation »au « rappel », l'on retrouve encore la même intervention de l'intelligence.

Sans doute le souvenir peut être «spontané » ou dû au pur mécanisme de l'association des idées ; mais parfois il exige l'action de la volonté.

Quecelle-ci ne soit pas directement efficace, cela est vrai ; il nous arrive en effet de constater que, malgré ses efforts,l'idée ne revient pas, qu'au contraire elle reparaît brusquement alors que l'on avait renoncé à la trouver.

Dans cecas, nous possédons toujours quelque élément du souvenir ; nous ayons comme l'impression de la direction danslaquelle il faut que nous dirigions notre pensée, que nous jetions le « coup de sonde » ; parfois même nouspossédons comme un schéma plus ou moins vague de l'idée que nous nous proposons de retrouver.

Alors le rappelest une véritable reconstruction : nous réfléchissons, provoquons le jeu de l'association des idées, contrôlons lerésultats qu'elle amène en nous, les repoussons sels ne conviennent pas, ne retenons que ceux qui nous paraissentplus favorables ; bref, quand le souvenir revient, c'est à la suite d'un effort et aussi d'une critique qui relèvedirectement de — N'est-ce pas encore au même phénomène que nous assis- tons avec l'opération de lareconnaissance ? L'on sait que, contrairement à la conception de Ribot, cet élément ne saurait être considéré pourla mémoire comme un pur accident sans importance ; il constitue au contraire ce qu'il y a en elle d'essentiel.Bergson l'a établi d'une façon définitive en faisant la distinction — maintenant classique — entre la « mémoire-habitude » qui se ramène à un pur mécanisme se contentant de « jouer » le passé et la « Mémoire-souvenir » quiest tout autre chose, savoir la « représentation » de ce passé même, c'est-à-dire qui constitue la vraie mémoire.Sans doute dans certains cas la reconnaissance est immédiate ; l'état actuel — perception ou image — est commepénétré du sentiment du déjà vécu, d'un air de familiarité, d'une sorte de chaleur intime, d'une coloration affectivequi nous apporte la sensation du passé même.

Mais dans d'autres cas la reconnaissance est plus lente ; alors nousnous demandons si nous ne rêvons pas, si la perception a vraiment déjà été éprouvée, si l'image n'est pas une purefiction ; nous sommes obligés de porter notre attention sur l'état présent en nous, de constater qu'il est tout prêt ànous faire esquisser des attitudes, des mouvements auxquels nous ne tendrions pas si la modification était nouvelleou purement imaginaire, qu'il s'entoure de tout un halo d'images nécessairement absentes quand l'état est éprouvépour la première fois, quand il ne correspond à aucune réalité ou encore qu'il nous est possible de vérifier lesdiverses hypothèses que, dans le doute, nous émettons sur la nature de la représentation.

Bref, c'est par uneconclusion plus ou moins rapide, par une série de raisonnements que nous arrivons à la conviction du lien effectif quiunit l'état actuel à notre personnalité, et aboutissons à la conviction qu'il nous appartient.

— Mais c'est surtout. »

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