Devoir de Philosophie

Expliquez et discutez cette pensée de Montesquieu : « Il n'est pas de chagrin qu'une heure de lecture ne m'aît ôté. » ?

Publié le 15/06/2009

Extrait du document

montesquieu
INTRODUCTION. - Il y a un mois, sous la pression d'un ennemi supérieur en nombre et surtout en matériel, l'armée française se repliait devant l'envahisseur. L'armistice était demandé et nos représentants se rendaient dans cette forêt de Compiègne où, vingt-deux ans auparavant, avait été consacrée la victoire de la France, pour reconnaître sa défaite et accepter les conditions du vainqueur. Durant ces journées tragiques, sauf les enfants et quelques rares adultes qui en sont restés à l'inconscience de l'enfant, les Français ne vivaient plus. Ils étaient envahis par une tristesse douloureuse, oubliant leurs soucis personnels, incapables d'écarter de leur esprit la pensée obsédante des malheurs de la patrie. Le candidat au baccalauréat ne songeait plus à son examen; point de projets pour les vacances, point, de regrets d'avoir à renoncer aux joies qu'on s'était promises durant ce temps. Tous, nous étions rivés aux mêmes réflexions : la France est vaincue, sa grandeur et son prestige passés sont atteints sinon perdus, son avenir est des plus sombres. Contre les soucis de ces heures, il n'y avait pas de traitement efficace, et si on nous avait alors proposé comme dérivatif la lecture, nous aurions tristement souri, comparant la faiblesse du remède à la force du mal. Et si on nous avait opposé la réflexion de MONTESQUIEU : « Il n'est pas un souci qu'une heure de lecture ne m'ait ôté », nous aurions sans doute douté du fait noté par l'auteur de L'esprit des lois ou méprisé une âme si superficielle. L'opposition entre l'observation de MONTESQUIEU et notre expérience personnelle nous suggère que nous n 'avons peut-être pas bien interprété sa pensée. Tâchons donc d'abord de bien l'expliquer : nous serons ainsi en état de la discuter.
montesquieu

« lecteurs contemporains, dont la bibliothèque, d'ailleurs, ne se compose guère que de romans.

11 ne prend pas unlivre pour se délasser après son travail : lire fait partie de son travail.

Il suffit, pour nous en rendre compte, dereplacer dans son contexte la phrase que nous avons à expliquer : « L'étude a été pour moi le souverain remèdecontre les dégoûts de la vie, n'ayant jamais eu de chagrin qu'une heure de lecture ne m'ait ôté.

» En lisant,Montesquieu a conscience de travailler : travail aimé qui se confond avec le jeu, puisqu'il l'a choisi lui-même, commed'autres ont opté pour la chasse; cependant, occupation supérieure au simple jeu, car il la considère comme unevocation et un devoir dont l'accomplissement le grandit, lui, les siens et son pays.

Se cultiver 'et écrire des livresest sa principale ambition.Nous comprenons mieux maintenant pourquoi il suffit à MONTESQUIEU d'une heure de lecture pour chasser loin de luiun petit chagrin ou un souci qui le tracasse.

C'est que, une fois l'attention prise par ses livres, s'avive en lui cesouci d'écrire voulu et aimé comme il s'aime lui-même.

Bien vite, ce souci a refoulé le premier : voici un trait demoeurs qui pourrait enrichir ses Lettres persanes, une anecdote curieuse susceptible d'égayer les austèresconsidérations de L'Esprit des lois, et notre auteur, plus homme de lettres qu'homme tout court, a oublié le petitennui familial, la difficulté professionnelle qui, un instant, avaient troublé sa noble sérénité. *** Il est plus facile maintenant de déterminer la portée de la réflexion de MONTESQUIEU et de préciser à quellesconditions elle peut être donnée comme une recette pratique pour conserver la joie ou du moins la tranquillité d'âmesi utile pour le bon rendement de son travail.Il est bien évident que la lecture ne saurait être proposée comme le remède souverain contre les vrais chagrins,contre ces douleurs morales profondes et lancinantes que suscitent en nous la perte d'un être très cher oul'effondrement d'espoirs que l'on croyait solidement fondés.Sans doute, on peut y trouver un moyen de se distraire une heure des douloureuses pensées qui assiègent l'esprit.Combien en est-il qui, aux jours angoissants de juin dernier, ont pris un roman pour s'arracher une heure àl'obsession des malheurs de la France! Mais on ne saurait prétendre ôter définitivement un chagrin de son âme parune lecture distrayante ou même captivante.

A moins qu'il ne soit trop léger — et dans ce cas on ne songera pas àlui trouver de remède — le sentiment refoulé continuera sourdement à prolonger en nous cette atmosphère detristesse; il émergera par instant des profondeurs du subconscient et, la lecture terminée, se retrouvera maître de laplace, renforcé peut-être par la conscience aiguë de la vanité de nos artifices.La lecture ne peut avoir d'efficacité que sur un chagrin léger, une contrariété passagère.Ce n'est pas, d'ailleurs, n'importe quelle lecture qui possède une sorte de pouvoir anesthésique.

Donnez L'Esprit deslois à un élève qu'une punition a privé de sortie : il est peu probable que cette lecture, si même il s'y engage, luifasse oublier ce qui le chagrine.

Le livre choisi comme consolateur doit être intéressant, capable de captiverimmédiatement une attention qui se refuse, concentrée qu'elle est sur l'objet du chagrin.Il ne faudrait pas, d'autre part, que l'ouvrage appelé au secours d'un coeur qui souffre et destiné à le distraire ait lerésultat opposé.

Nous sommes ainsi faits que nous aimons notre tristesse et nous complaisons dans la considérationde nos malheurs.

Une mère qui vient de perdre son fils prendra un intérêt morbide aux romans qui racontent deshistoires semblables à la sienne.

Cette lecture ne fera qu'épaissir le voile de tristesse dont toutes choses sontrecouvertes à ses yeux.Il ne faudrait pas croire, d'ailleurs, retrouver la joie en se plongeant dans les comédies de COURTELINE.

Le contrasteentre le gros rire que doivent soulever les scènes auxquelles on assiste et les larmes amères qui nous coulaient desyeux un instant auparavant est trop frappant.

De plus, après ces lectures, on est comme honteux d'avoir ri alorsqu'il eût été plus raisonnable de pleurer.

Le chagrin qui serrait le coeur n'est pas ôté.Il est donc bien difficile de trouver la lecture assez attrayante pour fixer l'attention, sans contribuer à augmenter latristesse que nous voulons guérir.

En dehors des intellectuels du genre de MONTESQUIEU, ils sont rares, noussemble-t-il, les hommes capables de trouver dans la lecture l'oubli de leurs chagrins.Mais, et c'est consolant, il n'y a pas que la lecture qui ait cet effet bienfaisant.

La lecture, avons-nous dit, avaitune grande influence sur l'état affectif de Montesquieu parce qu'elle était pour lui son travail.

Le travail, voilà, endéfinitive, le dérivatif au chagrin.La leçon pratique à retirer de l'exemple de MONTESQUIEU n'est donc pas de recourir à la lecture comme à lapanacée universelle capable de nous délivrer de tous les chagrins et de nous assurer la joie de vivre : bonne pour cepenseur et pour les esprits de la même famille, cette recette serait inefficace pour la plupart.Ce qui est essentiel pour s'élever au-dessus des petits ennuis de l'existence, c'est de cultiver en soi quelque grandet noble souci, un souci qui nous tienne à coeur et dont nous soyons fier : bref, un idéal à notre goût et.

à notremesure.

Le mieux serait de trouver son plaisir et sa distraction dans son devoir d'état : alors toute l'activité seraitharmonieusement et agréablement unifiée, le travail prenant la facilité du jeu, et le jeu n'empiétant jamais sur letravail.

Mais ce serait déjà une sérieuse assurance contre les tristesses déprimantes que d'avoir, en marge de sonactivité professionnelle, une occupation de choix, son violon d'Ingres, par laquelle on réalise des virtualitéssupérieures que les circonstances n'ont pas permis de développer. CONCLUSION. — Copier les grands est absurde : il n'est peut-être pas de plus sur moyen de rester petit.

Pour grandir à leur école, il faut adapter leurs principes à son propre tempérament.

Si nous sommes intellectuels,cherchons dans les livres, à l'exemple de MONTESQUIEU, la tranquillité de l'âme, que les accidents de la vie tendentà nous ôter sans cesse.

Mais si nous ne sommes pas intellectuels, ne désespérons pas de trouver une consolation ànotre trouble : elle sera peut-être dans l'action, dans une action adaptée à ce que nous sommes.

Le plus importantet peut-être le plus difficile est de se bien connaître : la connaissance de soi-même peut seule permettre à l'hommede déterminer les moyens de se maintenir dans cette sérénité que nous envions à l'auteur de L'Esprit des lois.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles