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Expliquez, puis jugez cette phrase de Georges Duhamel : « Je tiens que le romancier est un historien du présent, alors que l'historien est le romancier du passé. » (Nuit de la Saint-Jean, Préface, p. 10.) ?

Publié le 20/06/2009

Extrait du document

Introduction. — « L'histoire n'est pas un art, elle est une science «, écrivait Fustel de Coulanges. Pour Spengler, à l'opposé, « la nature est objet de science, l'histoire objet de poésie «. Généralement, les historiens sont moins absolus : tout en refusant de ranger l'histoire au nombre des arts, ils refusent d'exclure tout art du travail scientifique. Mais ils prétendent bien faire œuvre scientifique et objective : un livre d'histoire ne crée pas, comme un roman, un passé imaginaire; il reconstruit un passé réel. Comment donc Georges Duhamel a-t-il pu écrire : « Je tiens que le romancier est un historien du présent, alors que l'historien est le romancier du passé « ? I. Explication. — Sous une forme paradoxale, l'auteur de la Chronique des Pasquier a voulu protester contre la distinction, trop absolue à son avis, que l'on établit couramment entre le roman et l'histoire. Le romancier, dit-on, invente de toutes pièces ses intrigues, ses personnages, ses situations; tout est fictif dans son œuvre. Dans l'œuvre de l'historien, au contraire, l'invention et la fiction n'auraient aucune place : c'est d'après les documents que le passé serait fidèlement représenté. Pour Georges Duhamel, au contraire, c'est surtout par l'objet que diffèrent l'histoire et le roman : la première s'occupe du passé; le second, du présent. Quant aux techniques, elles sont, sinon identiques, du moins équivalentes.

« y a entre le travail du romancier et celui de l'historien.

On pourrait les schématiser l'un et l'autre en ces trois temps: la documentation, l'élaboration et la vérification des résultats auxquels on aboutit.Il y a néanmoins des différences essentielles entre l'œuvre historique et le roman, et il ne faut voir dans la réflexionde Duhamel qu'un paradoxe fort suggestif, mais à ne pas prendre à la lettre. A.

Tout d'abord, l'intention de l'historien et celle du romancier sont généralement fort différentes : le premier sepréoccupe essentiellement de reconstruire le réel; le second, au contraire, s'évade plutôt hors de la réalité et yentraîne son lecteur.L'opposition est flagrante si nous comparons des œuvres romanesques, qui, tel Le Grand Meaulnes, nous introduisentdans un monde féerique, à d'austères études historiques comme L'Histoire des Institutions politiques de l'ancienneFrance, de Fustel de Coulanges.

Elle est réelle quand les genres semblent se rapprocher, et l'histoire, mêmelorsqu'elle est conçue comme une résurrection du passé dans laquelle l'imagination joue un rôle capital, resteessentiellement différente du roman, qui a pour but de faire revivre une tranche de ce passé immédiat que nousappelons le présent : l'historien veille à ne pas imaginer autre chose que ce qui s'est effectivement produit; leromancier, au contraire, même lorsqu'il prétend faire connaître son temps, se place dans un monde fictif, crée sespersonnages, imagine ses intrigues, veillant seulement à reproduire l'atmosphère générale et les mœurs de l'époquequ'il décrit. B.

Malgré quelques ressemblances, la méthode du travail historique est fort différente de celle de la compositionromanesque.

Sans doute, dans le roman comme dans l'histoire, le souvenir de ce qu'on a vu joue un rôle nécessaireet, d'autre part, l'historien ne peut pas se passer de l'imagination qu'on serait porté à confiner dans le roman.Néanmoins, l'élaboration d'une œuvre romanesque ne ressemble guère à celle d'une étude historique.C'est dans le réel concret, dans la vie elle-même, et tout particulièrement dans ses expériences personnelles, nonseulement effectives, mais encore imaginaires, que se documente le romancier.

Peut-on, même dans ce cas, parlerde véritable documentation ? Si certains romanciers prennent des notes, c'est tout autant pour ne pas oublier uneformule ou une situation qui leur sont venues à l'esprit que pour consigner une expression entendue, un trait demœurs observé.

Quoi qu'il en soit, on peut écrire un roman sans notes, et on ne conçoit guère un romanciercomposant à l'aide d'un arsenal de fiches.Ces fiches, au contraire, et les grandes collections documentaires — recensements et statistiques, chroniques etannales — sont l'instrument indispensable de l'historien.

S'il peut revivre et faire revivre une tranche du passé, il doitpartir des résidus inertes et des notations abstraites que sont les documents.Les données à partir desquelles s'élaborent d'une part l'œuvre historique et, d'autre part, le roman sont traitées defaçon bien différente.

Pour l'historien, les documents sont le roc sur lequel il doit bâtir sans jamais les contredire etsans leur rien ajouter qu'ils ne suggèrent.

Au contraire, le romancier peut, s'évadant hors du monde réel, se donnerle spectacle d'un monde plus ou moins fantasmagorique.

Le plus souvent, il est vrai, il nous décrit des personnageset des situations auxquels nous reconnaissons un caractère marquant de réalité; mais cette réalité se réduit à lavraisemblance : les créations du romancier ressemblent à la vie,dont nous avons l'expérience, mais elles ne sont pasla simple et exacte notation de faits vécus; même lorsqu'elles lui sont suggérées par des faits, elles ont étéélaborées par l'imagination.On ne peut donc pas dire, sans paradoxe, .que le romancier est un historien du présent et l'historien le romancier dupassé. Conclusion.

— Il n'en est pas moins vrai que, comme tout paradoxe, la pensée de Duhamel attire notre attention sur un fait que les classifications simplistes pourraient nous cacher.

Qu'il fasse du roman ou de l'histoire, l'homme seporte vers son objet avec tout ce qu'il est et avec tout ce qu'il sait : l'imagination ne joue pas sans un acquis, et,dans l'élaboration de l'acquis, l'imagination est aussi nécessaire que la raison.

Bien plus, si le romancier se dévoileinconsciemment dans ses œuvres, l'historien, lui aussi, prétendrait vainement faire tout à fait abstraction de sesidées, de ses sentiments ou de ses ambitions : il voit les époques révolues dans une lumière qui lui est propre, toutcomme le romancier colore celle dans laquelle il vit de nuances qui dépendent de son tempérament.

Pas plus qu'onne peut séparer le romancier du roman, on ne peut pas séparer l'histoire de l'historien.

Sans doute, l'histoire atteintà un degré d'objectivité qu'on ne demande pas au romancier, mais on passe insensiblement d'un genre à l'autre.. »

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