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Faut-il avoir peur des sciences ?

Publié le 11/12/2009

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Faut-il avoir peur des sciences ?

La science est une activité théorique visant à décrire et à expliquer rationnellement l’univers, les corps vivants, les sociétés humaines, etc. Puisqu’elle n’est que théorique et non pratique, c’est-à-dire ne concerne pas l’action dans le monde mais uniquement sa contemplation, on ne voit pas pourquoi on en aurait peur. En effet si la science est une activité rationnelle, la peur, elle, est apparemment un sentiment de crainte irrationnelle qui s’empare de nous lorsque précisément on ne connaît pas la réalité des choses, qu’on ne sait pas expliquer les phénomènes : celui qui connaît les mécanismes naturels donnant naissance au tonnerre et à l’éclair en est bien moins effrayé que celui qui n’y voit que l’expression de la colère d’un être supérieur. Bien loin d’avoir peur des sciences, ce sont elles qui semblent nous apprendre à ne redouter que ce qui est rationnellement à craindre et nous faire appliquer légitimement le « principe de précaution «.

  Mais les sciences ne sont pas qu’une activité pratique : elles donnent aussi naissance à des applications pratiques sous la forme de nouvelles technologies. Or celles-ci, surtout quand elles prennent la forme d’armes dévastatrices, peuvent se révéler plus dangereuses que la plupart des phénomènes naturels. Il serait alors légitime d’avoir peur des sciences. Il faut en outre, prendre en compte la pluralité des sciences et remarquer que certaines sciences ne sont pas ou peu distinctes de leurs effets pratiques : comment par exemple tenir un discours théorique sur la folie sans que cela aille de pair avec un enfermement des individus considérés comme fous ? Ne risque-t-on pas alors de légitimer l’enfermement psychiatrique pour des raisons scientifiques ? Il y a ainsi des effets politiques et sociaux des sciences qui peuvent se révéler légitimement effrayants.

  Le problème à traiter est donc celui-ci : y a-t-il un usage légitime de la peur, et si oui, celui-ci s’applique-t-il aux sciences ? A toutes les sciences malgré leur diversité ou à certaines uniquement ? Et comment faire un usage rationnel de la peur contre les sciences qui apparaissent comme la source de toute rationalité ?

« les fait fonctionner autrement que la manière dont elles fonctionnent dans la nature, afin de produire des effetsbénéfiques à l’homme.

Une turbine par exemple, ne viole pas les lois de la gravité, mais elle permet pourtant, enutilisant la force de l’eau, de faire monter celle-ci en altitude grâce à une vis sans fin dans laquelle l’eau s’engouffreet que le débit fait tourner.

Les machines les plus complexes reposent sur le même principe : utiliser la connaissanceque les sciences nous donnent pour produire des effets bénéfiques.

Utiliser les lois naturelles (et donc extérieures aux humains) pour servir les buts humains est ce que Hegel, dans leSystème de Iéna , dans la section consacrée à la technique et au travail, nomme une « ruse de la raison.

» Il montre ainsi comment l’esprit humain, en comprenant les lois physiques, peut transformer le monde pour qu’il deviennehabitable et consommable par l’homme.

La machine vient donc remplir le même office que le travail et permet de nepas avoir à accomplir des tâches souvent difficiles et dangereuses.

Mais Hegel n’est pas dupe des effets sociauxdésastreux que peuvent avoir de telles machines.

En effet, lorsqu’une machine accomplit une tâche humaine, ellerend celle-ci moins coûteuse, et donc le salaire de ceux qui accomplissent une telle tâche baisse.

Ils doivent donctravailler plus pour obtenir le même revenu.

Paradoxalement, l’invention d’une nouvelle machine ne fait pas baisser lamasse de travail, mais au contraire l’augmente.

Les sciences peuvent donc bien avoir des applications techniquesqui, alors même qu’elles sont créées dans un but bénéfique et non destructeur, ont des conséquences socialesdangereuses.

Il est alors légitime d’avoir une crainte face à ces effets sociaux et politiques des sciences.

Ce que ne prend pas en compte Hegel mais qui paraît évident aujourd’hui, c’est que puisque l’applicationtechnologique de la science, la ruse de la raison, transforme la nature, elle peut très bien devenir dangereuse pourl’homme lui-même.

En effet, la technologie ne fait pas que rendre la nature adaptée à l’homme : elle modifie aussiprofondément l’ « entourage » de l’humanité dont elle est dépendante.

Le bouleversement climatique lié auxémissions de gaz à effet de serre est un exemple de cette action de l’homme via la technique sur l’environnement naturel de l’homme – la planète – qui menace l’existence humaine.

La technologie ne nous rend pas indépendantsdes écosystèmes dans lesquels nous sommes insérés puisqu’elle est une ruse de la raison et qu’elle ne peut rendre lanature adaptée à notre survie qu’en utilisant des éléments naturels.

Ainsi, si l’on épuise les ressources en pétrole,aucune technologie fondée sur la combustion de cette énergie ne pourra fonctionner.

L’application technique dessciences de la nature n’est donc pas uniquement une manière de se détacher de notre environnement naturel : elleest toujours dépendante de cet environnement mais en même temps, le menace.

Il n’y a donc pas que des effetssociaux dangereux de l’application technique des sciences, mais aussi des effets environnementaux nuisibles.

Ces dangers ont provoqué l’émergence du « principe de précaution » aujourd’hui inscrit par exemple dans la Charteécologique de la Constitution française.

Qu’énonce-t-il ? Qu’il faut toujours envisager les pires effets possibles d’unetechnologie et essayer de les prévoir pour les combattre.

Il s’agit donc d’un usage rationnel et légitime de la peur,puisque ce principe repose bien sur un pessimisme presque catastrophiste, mais que celui-ci vise à prendre àl’avance des mesures rationnelles proposées par les sciences elles-mêmes.

Ainsi, par exemple, prendre desprécautions contre le réchauffement climatique serait impossible si les climatologues étaient incapable d’échafauderdes prévisions et des scénarios en cas d’augmentation de la température terrestre.

En ce sens, on peutlégitimement avoir peur des effets techniques des sciences, mais on ne peut en même temps avoir légitimementpeur des sciences qui seules permettent l’application du principe de précaution.

Les sciences seraient alors à la fois le mal et le remède, et l’on ne saurait en avoir peur car les problèmestechnologiques qu’elles posent ne pourraient être résolus que par elle.

Néanmoins, ce ne sont pas que lesapplications techniques des sciences qui peuvent être dangereuses, mais aussi leur discours théorique même, entant qu’il a des effets de pouvoir et d’asservissement.

III. Savoir et pouvoir Dans les sciences de la nature, il est assez simple de distinguer les théories de leurs applications technologiques :une loi naturelle n’a que peu à voir avec un instrument ou un outil de la vie quotidienne.

Et pourtant, ces deuxaspects sont souvent mêlés, comme lorsque les études en biologie génétique passent nécessairement par laproduction technique d’organisme génétiquement modifiés.

Dans les sciences dites « humaines », c’est-dire qui portesur des objets présents en l’homme ou produit par lui (la société, le droit, la psychologie, l’histoire, etc.) les discoursthéoriques (savoir) sont toujours dépendants et producteurs de pratiques sociales.

C’est ce que remarque M.Foucault dans L’Histoire de la folie à l’âge classique : l’émergence d’un discours rationnel sur la folie à l’âge classique s’est accompagné de nouvelles pratiques d’enfermement.

C’est en effet en enfermant les fous (et non en lesrejetant à la périphérie des zones habitées) que les études sur leur comportement et leurs pathologie a pu voir lejour ; mais dans le même temps, il était nécessaire d’avoir une définition de ce qui distingue le fou de l’homme saind’esprit pour pouvoir trier ceux que l’on devait enfermer.

Ainsi, dans ce type de sciences, il n’y a pas un discoursthéorique dont dépend une série d’applications techniques mais un cercle entre savoir et pouvoir : les discoursthéoriques produisent certaines pratiques, qui elles-mêmes permettent certains discours, etc.

Ce cercle entre savoir et pouvoir est-il un motif légitime de peur envers les sciences, du moins les sciencessociales, dont le discours théorique lui-même suppose des pratiques sociales contraignantes (comme l’enfermementdes fous, la surveillance des ouvriers, des malades, etc.) ? Ce que remarque M.

Foucault, au début du cours auCollège de France Naissance de la biopolitique , c’est que tout effet de pouvoir entraîne en retour une résistance.

Ce n’est pas forcément la peur par laquelle il faut réagir à ces dominations que provoquent les discours théoriques dessciences sociales, mais par l’action.

C’est ainsi que lui-même s’est engagé dans les luttes au sein des hôpitauxpsychiatriques dans les années 1970 qui visaient à ne plus suivre une hiérarchie pyramidale (dominée par lemédecin-chef et dont la base était constituée par les malades) mais à faire circuler la parole au sein de cesinstitutions, en niant que la psychiatrie soit une science pure dont seul le directeur de la clinique aurait la maîtrise.Ainsi il ne s’agit pas d’avoir peur des sciences, mais de faire attention aux discours théoriques qui masquent despratiques sociales et qui devraient donc être discutées politiquement.. »

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