Devoir de Philosophie

Faut-il être vertueux pour être heureux ?

Publié le 27/02/2008

Extrait du document

Andromaque, après la victoire des Grecs devient butin de guerre. Pyrrhus, faute de pouvoir la séduire menace de tuer Astyanax si elle se refuse à lui. Elle doit alors choisir entre son désir de rester fidèle à l’amour d’Hector et la nécessité de sauver son fils d’une mort certaine. Racine montre bien comment le choix d’Andromaque contredit en partie ses valeurs personnelles : en sauvant son fils elle se veut une bonne mère et accomplit parfaitement son rôle protecteur, mais elle sacrifie le seul bonheur qui lui était encore possible : honorer le souvenir d’Hector. Il semble donc que la vertu, si l’on entend par là la capacité à faire le bien, ne garantisse en rien le bonheur, c’est - à - dire la pleine jouissance des possibilités qui nous sont offertes par la vie.  Face à cette difficulté le sens commun oscille entre le rejet cynique de toute morale, pour privilégier les plaisirs immédiats et un moralisme conformiste qui assujettit le bonheur au respect des valeurs établies.  Faut-il dès lors s’en remettre à cette alternative désespérante ou bien dissocier morale et bonheur ?  Dans ce cas, à quelles conditions pouvons-nous espérer concilier vertu et bonheur ?

« tout à l'heure vivre comme une pierre, sans ressentir désormais ni joie ni douleur.

Mais l'agrément de la vie consisteà verser dans le vase le plus que l'on peut.

» Calliclès flatte ici l'opinion en défendant l'idée que c'est le mouvement,le constant renouvellement du plaisir qui fonde le bonheur.

C'est ici un bonheur sensuel et immédiat, plutôtséduisant il faut en convenir, car sans limite, mais cette vision d'un bonheur jouissant d'une consommationindistincte ne risque-t-elle pas de réduire l'homme au rang d'animal ? La suite de son raisonnement tend à leprouver.

Calliclès prétend démasquer le calcul qui se dissimule selon lui, derrière l'apparente impartialité des lois ense référant explicitement au modèle animal.

Si comme l'affirme Calliclès, la loi qui émane de la masse n'est qu'uninstrument d'oppression qui agit selon un mécanisme d'intériorisation, l'égalité de droit qui fixe des limites à laréalisation de nos désirs, n'est que la dénégation de l'inégalité de fait.

Calliclès voudrait lui substituer un irrécusabledroit de la nature dont on ne peut que confirmer le caractère foncièrement inégalitaire.

Mais sa proposition : jouir duseul plaisir de combler le manque en remplissant inlassablement les tonneaux qui se vident indéfiniment ets'abandonner à la quête de plaisir en laissant la loi du plus fort s'instaurer parmi les hommes, ne tient aucun comptede la dimension culturelle de l'humanité.

L'homme est-il un animal comme les autres ? N'est-ce pas précisément laloi, l'interdit, qui lui permet de se constituer comme homme ?La nature atteste de ce qu'il est au même titre quen'importe quel autre animal, mais la raison n'a-t-elle pas pour objectif de déterminer ce qu'il doit être ? Il sembledonc absurde de vouloir calquer la morale sur la réalité et de définir le bonheur humain par analogie avec le règneanimal qui échappe pour sa part à la dimension symbolique qui fonde l'humanité.

En encourageant une pratiqueinverse à celle de la morale établie, Calliclès entend affirmer sa force, mais il s'éloigne de son propreaccomplissement.La prise en compte des limites imposées par la morale semble cependant contredire le plein épanouissement de nospotentialités, car elle conduit à un sentiment de culpabilité qui selon Nietzsche nous empêche d'aller au bout denous-mêmes.Nietzsche soupçonne en effet l'idéal démocratique et les valeurs morales issues du christianisme de poursuivre desbuts cachés : non pas promouvoir le bien, mais brider la puissance des plus forts pour ménager les plus faibles.

Onretrouve sous une forme nouvelle l'argument de Calliclès : le sentiment de rancune et de haine développé par lesfaibles à l'égard des forts serait à l'origine d'une morale insidieuse qui par la contrainte limiterait le plein exercice denotre puissance.

Il dénonce ainsi une morale du ressentiment dont il trouve la trace dans l'égalité démocratique et lacharité chrétienne.

« Là où vous voyez l'idéal, je ne vois que des choses humaines », peut-on lire dans Humain, trophumain.

La morale ascétique est donc fondamentalement hypocrite : les vaincus de la vie se sont fabriquéd'illusoires compensations pour oublier leur misère.

Les valeurs qu'ils imposent par le biais de la religion et del'idéologie leur permettent de se dédouaner de toute responsabilité face à leur échec.

Ils substituent le salut del'âme à la santé du corps, l'au-delà improbable à l'ici et maintenant, la fiction du péché à la pleine jouissance del'élan vital.

Mais cette logique si elle condamne la soumission aux valeurs établies, ne rejoint pas pour autant lemodèle de la jouissance bestiale vanté par Calliclès.Nietzsche cherche à mettre en avant la vie et le dépassement de soi par l'instauration d'une morale immanente quicoïnciderait avec la dynamique du désir.

Le surhomme se situe dès lors aux antipodes de la loi du plus fort, commel'incarnation d'une force morale et d'un courage hors du commun. Si la vertu confine au moralisme, c'est -à- dire à l'adoption passive de valeurs imposées pas la société, au respectscrupuleux le limites que l'on ne met pas en question, alors on voir mal comment la vertu pourrait conduire aubonheur.

La recherche d'un plaisir détaché de toute préoccupation morale semble cependant bien peu satisfaisantelle aussi.

Le questionnement, la capacité à examiner ses contenus de pensées, ses choix ne sont-ils pas aufondement de la dignité spécifique de l'homme ? « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature ; mais c'est un roseau pensant.

Il ne faut pas que l'universentier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer.

Mais, quand l'univers l'écraserait,l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt, et l'avantage que l'univers a sur lui,l'univers n'en sait rien.Toute notre dignité consiste donc en la pensée.

(…) Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale.

»Dans les Pensées, Pascal souligne ainsi que la dignité de l'homme renvoie à l'exercice de sa conscience, enl'arrachant à l'innocence du monde naturel elle lui fait connaître la précarité de sa condition et sa misère.

Laconscience ne saurait donc se définir comme une qualité parmi d'autres nous permettant de définir l'homme, elle estce par quoi il est tenu à l'obligation de se penser et de s'interroger, de porter un regard réflexif sur ses propresactes.

Par la distance qu'elle instaure entre soi et le monde, entre soi et soi, elle dégage un espace pour lequestionnement, le doute, par là elle rend possible la pensée et en fait un devoir.

Bien sûr Pascal met en avant lagrandeur que nous confère ce travail, mais il souligne aussi la souffrance, l'inquiétude, l'angoisse qu'il implique.

Ainsis'affranchir de toute forme de réflexion morale reviendrait à nous abaisser, ce serait nous montrer indignes de notrehumanité, mais « travailler à bien penser », pour reprendre les mots de Pascal, nous rapprocherait de nous-mêmestout en nous éloignant du bonheur.

Peut-être y a-t-il cependant un certain bonheur à penser, mais il est bien loindu plaisir des sens appelé par Aristippe.Agir moralement, c'est d'abord mettre à distance son intérêt immédiat et faire retour sur ses penchants sesinclinations, c'est aussi se projeter dans l'avenir pour envisager les conséquences de nos actes.

Réfléchir,s'interroger sur nos propres principes d'actions, mettre en questions les valeurs établies ou bien celles que nousavons adoptées, c'est sortir du confort passif.

Etre vertueux ou travailler à le devenir, ne va donc pas sans douleur,sans effort, il se peut que nous y perdions notre tranquillité, notre bien -être.

Lorsque dans Le Neveu de Rameau, lenarrateur s'efforce de défendre l'idée que la vertu rend heureux, son neveu lui répond malicieusement : « On loue lavertu, mais on la hait, mais on la fuit, mais elle gèle de froid, et dans ce monde, il faut avoir les pieds chauds.

Etpuis cela me donnerait de l'humeur, infailliblement ; car pourquoi voyons-nous si fréquemment les dévots si durs, sifâcheux, si insociables ? C'est qu'ils se sont imposé une tâche qui ne leur est pas naturelle.

Ils souffrent, et quand. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles