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Faut-il rejeter toutes les opinions ?

Publié le 17/09/2005

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 »   Il ne faut pas penser la compréhension sur le mode de l'accès par un esprit vierge à une connaissance. On ne comprend un phénomène qu'en tant qu'on l'a questionné, c'est-à-dire que c'est toujours sur la base d'opinions préalables que nous comprenons. Comment, dans ces conditions, comprendre l'autre, confronter ses opinions et les miennes? Il y a une manière de se comporter face à un texte, ou face à l'autre, tel que nos propres opinions ne soient pas une gêne : il s'agit, à l'abord de l'autre ou du texte, d'expliciter la façon dont nous le questionnons, et par là d'explipiciter nos opinions les concernant. Ayant ainsi dégagé nos présupposés, il devient possible de les confronter à d'autres possibles, et donc de  les évaluer.   Transition Nous nous trouvons à présent devant le problème du relativisme : si nos opinions peuvent servir de tremplin à la compréhension d'autres opinions, ne sont-elles pas toutes équivalentes. Lorsqu'aucun recours ne peut trancher, sommes-nous donc ainsi conduits à accepter nos opinions par simple commodité, tout en sachant qu'on pourra en changer s'il le faut? Il n'y aurait alors plus aucun sens à parler d'opinion. Une opinion ne vaut, tout d'abord, qu'en tant qu'elle affirme vigoureusement : autrement, elle serait faible probabilité, intuition, hypothèse. Nous avons vu que les rejeter était un obstacle à la compréhension dans le cadre des questions humaines, et était au contraire une nécessité dans le cadre des sciences de la nature.

         Ce sujet, à la forme paradoxale, nous invite à repenser la notion d'opinion. S'il est en effet en notre devoir de rejeter toute opinion, c'est bien en vertu d'un principe recteur. De quel principe peut-il s'agir? Répondre à cette question, c'est déterminer le champ, la région spécifique, auxquels la notion d'opinion appartient. En d'autres termes, c'est déterminer de quelles valeurs le champ des opinions possibles peut relever, par quelles valeur il peut être jugé. Une autre manière d'apercevoir au nom de quoi une opinion est évaluée, est de se demander par opposition à quoi une opinion devrait être rejetée, quelle autre attitude serait préférable.

C'est sous l'angle de ce questionnement qu'il faut se demander ensuite ce que vise l'expression « toutes les opinions «. De quelle totalité s'agit-il? Qu'est-ce qui unifie toutes les opinions entre elles? Analysons la notion d'opinion à la lumière de ces questions.

         A première vue, il semble nécessaire de distinguer opinions vraies, ou droites, et opinions fausses.  Lorsque la compréhension ou l'explication d'un fait pose problème, plusieurs opinions s'affrontent. Un principe logique veut que, si ces opinions s'opposent, il y ait des opinions vraies et des opinions fausses. Ainsi, la notion de querelle permet de séparer radicalement deux types d'opinions, à tel point qu'il semble inadéquat d'interroger l'évaluation des opinions dans leur totalité. Mais le problème est que lorsqu'il y a débat, c'est qu'il est difficile de trancher : les opinions qui s'affrontent restent des opinions possibles. Ainsi, en tant que totalité, c'est en premier lieu à la science, à la connaissance, au savoir certain, qu'il faut opposer la notion d'opinion. Pris en ce sens, le tout des opinions serait un ensemble d'avis incertains, qu'on choisirait arbitrairement en cas d'ignorance. Nous atteignons ainsi un versant épistémologique de la question : comment se comporter, face à ses opinions subjectives, dans la quête du savoir certain? Nous voyons ainsi qu'il s'agit en particulier d'un problème de méthode, où la particularité de l'opinion serait opposée à l'universalité du savoir. En bref, nous avons été amenés, en premier lieu, à inscrire la notion d'opinion dans le champ de la connaissance, dont elle constituerait un degré inférieur, une réalisation imparfaite. Cependant, lorsqu'aucun moyen scientifique ou logique ne peut vérifier ou disqualifier une opinion, relève-t-elle encore du champ de la connaissance?

Nous sommes ainsi amenés à considérer l'opinion en tant qu'elle est dans une concurrence nécessaire avec d'autres opinions possibles. Nous ne mettons plus ainsi l'accent sur la notion d'incertitude objective, mais au contraire sur celle d'affirmation subjective : c'est le versant herméneutique de la question. Au sein d'un tel espace, l'opinion est redéfinie comme point de vue, regard particulier, hypothèse, conception et vision du monde. Le problème se recentre ainsi vers l'opposition de l'unité du sujet à la multiplicité des sujets. En effet, c'est l'unité du sujet qui le pousse à émettre des opinions sur des objets dont il ne peut avoir, du fait de sa finitude, de connaissance certaine. Le problème est donc celui du relativisme. Celui-ci nous impose d'entreprendre une généalogie de l'opinion. Comment se forment les opinions? Quelle valeur accorder à des interprétations conditionnées et particulières? Est-il possible de concilier des opinions différentes? Dans le cas contraire, faut-il donc les rejeter toutes deux? Pour expliciter ce problème, prenons l'exemple de l'organisation du politique. Nous pouvons en opposer deux idéaux : un idéal scientifique, pour lequel l'Etat doit être une technostructure, ancré dans la primauté du tout et la recherche de son ordre; un idéal démocratique, cherchant à concilier les opinions des individus, ancré dans la primauté du sujet et l'affirmation de ses droits.

Mais nous n'avons fait que considérer l'opinion dans sa négativité : par rapport à une connaissance certaine, ou à une autre opinion possible. Il s'agit donc de penser l'opinion dans sa positivité : l'opinion affirme en effet une théorie sur le monde, elle le pense selon son mode propre. Ainsi, l'opinion s'oppose au doute et à l'ignorance réels qu'elle recouvre. Nous abordons alors le versant éthique de la question : les valeurs par lesquelles le tout des opinions serait disqualifié sont l'honnêteté (intellectuelle et en général), la sincérité, la vérité, et la transparence à soi-même. Ici encore, la question est fortement ancrée dans le problème de la subjectivité : l'honnêteté face à soi-même réclamerait que l'on reconnaisse toutes ses opinions comme telles, c'est-à-dire qu'on les rejette. Cette question nous confronte donc à un idéal de conscience de notre finitude radicale. Cet aspect du sujet comprend en particulier le problème de la foi et des croyances : peut-on dire que ces dernières sont des opinions? Ou une opposition plus radicale que l'incertitude les sépare-t-elle?

         Les trois aspects de la question que nous avons mis en valeur sont parcourus par une interrogation plus profonde, qui les conditionne et les ordonne tous trois. En effet, tous trois ont mis en valeur l'intentionnalité de l'opinion : toute opinion est un opinion sur quelque chose. Mais ce quelque chose lui-même est déjà une opinion. Car s'il ne s'agit encore que d'une opinion, c'est que la détermination de son objet résulte encore d'une pré-compréhension, c'est-à-dire d'une construction, en d'autres termes que l'opinion, même si on la reconnaît comme tel, transforme la vision du monde par sa simple existence. En d'autres termes, elle constitue en retour le sujet qui la construit. Pouvons-nous donc même départager ce qui en nous est opinion de ce qui ne l'est pas? En d'autres termes, l'opinion se manifeste-t-elle toujours comme telle? Il faut alors distinguer ce que nous appellerons des opinions ouvertes, des opinions masquées, déguisées en savoirs certains. Mais alors, rejeter toutes les opinions ne pourrait jamais être que rejeter les opinions ouvertes, au risque de les départager au moyen d'opinions déguisées. A quelles conditions une opinion peut-elle apparaître comme telle? C'est uniquement en cherchant à l'origine de l'opinion cette configuration du sujet qui la suscite, que nous pourrons répondre à cette question. Son enjeu est décisif : en distinguant les conditions de sa genèse et de son apparition, nous pourrons savoir quelle attitude nous devons avoir face à elles.

 

« risque de les départager au moyen d'opinions déguisées.

A quelles conditions une opinion peut-elle apparaîtrecomme telle? C'est uniquement en cherchant à l'origine de l'opinion cette configuration du sujet qui lasuscite, que nous pourrons répondre à cette question.

Son enjeu est décisif : en distinguant les conditionsde sa genèse et de son apparition, nous pourrons savoir quelle attitude nous devons avoir face à elles. Proposition de plan I Peut-on évaluer ses opinions sans les rejeter? René DESCARTES Discours de la méthode « Pour ce que nous avons tous été enfants avant que d'être hommes, et qu'il nous a fallu longtemps être gouvernéspar nos appétits et nos précepteurs, qui étaient souvent contraires les uns aux autres, et qui, ni les uns ni lesautres, ne nous conseillaient peut être pas toujours le meilleur, il est presque impossible que nos jugements soient sipurs, ni si solides qu'ils auraient été, si nous avions eu l'usage entier de notre raison des le point de notre naissance,et que nous n'eussions jamais été conduits que par elle. Il est vrai que nous ne voyons point qu'on jette par terre toutes les maisons d'une ville, pour le seul dessein de lesrefaire d'autre façon, et d'en rendre les rues plus belles; mais on voit bien que plusieurs font abattre les leurs pourles rebâtir, et que même quelquefois ils y sont contraints, quand elles sont en danger de tomber d'elles mêmes, etque les fondements n'en sont pas bien fermes.

A l'exemple de quoi je me persuadai [...]que pour toutes les opinionsque j'avais reçues jusques alors en ma créance, je ne pouvais mieux faire que d'entreprendre, une bonne fois, de lesen ôter, afin d'y en remettre par après , ou d'autres meilleures, ou bien les mêmes, lorsque je les aurais ajustées auniveau de la raison.

Et je crus fermement que, par ce moyen, je réussirais à conduire ma vie beaucoup mieux que sije ne bâtissais que sur de vieux fondements, et que je ne m'appuyasse que sur les principes que je m'étais laissépersuader en ma jeunesse, sans avoir jamais examiné s'ils étaient vrais.

» A proprement parler, nous sommes sûrs de très peu de choses.

Beaucoup de nos certitudes nous été enseignées,soit par des précepteurs, faillibles par définition, soit par notre expérience propre, contingente, accumulée au fild'âges à la rationalité inégale, etc...

Descartes avance donc le rejet de toutes les opinions comme un principe deméthode : sa visée directrice est la certitude.

Ainsi le rejte des opinions apparaît comme un moment nécessaire maistemporaire : on ne rejette pas les opinions comme telles à tout jamais, on les réévalue, au besoin pour les remplacerpar « d'autres meilleures ».

L'examen critique des opinions est ici envisagé du point de vue du sujet : je ne puis, enpremière personne, être sûr de rien que je n'ai rationnellement examiné. Gaston BACHELARD La formation de l'esprit scientifique « La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion.

S'il luiarrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour des raisons autres que celles qui fondent l'opinion; desorte que l'opinion a, en droit, toujours tort.

L'opinion pense mal; elle ne pense pas; elle traduit des besoins en connaissances.

[...] On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire.

Elle est le premier obstacle àsurmonter.

Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme unesorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire.

L'esprit scientifique nous interdit d'avoir desopinions sur une question que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formulerclairement.

» Transition Dans la recherche de la vérité et de la certitude, l'opinion est un obstacle à détruire.

Cependant, l'opinion ne relève pas du seul champ des définitions et des normes de méthode de la science.

Elle concerne aussi,par exemple, la juste conduite de sa vie, la question du meilleur régime, l'existence de Dieu, ou l'interprétation de telou tel phénomène humain.

La science ne peut considérer le tout des opinions avec tant de radicalité que parce queson objet est restreint par rapport à l'ensemble des opinions possibles.

Et remarquons tout de suite que lescientifique oeuvre dans une recherche universelle : ce n'est pas en première personne qu'il parle, mais en tant queraison et sujet d'une expérience.

En d'autres termes, rejeter toutes les opinions ne peut vouloir dire, pour unscientifique, que se séparer d'elle dans l'exercice de son travail.

Si donc nous nous écartons des normes de vérité etde méthode de la science, quel statut donner à l'opinion.

Si, aux yeux de la raison universelle, l'opinion ne pensepas, le sujet particulier ne pense-t-elle pas en elle? Et cette question atteint jusqu'à la question de la science : car,si elle peut se libérer de l'opinion dans le cadre de ses normes de vérité et conventions, la détermination de sonobjet ne dépend-elle pas d'opinions plus radicales? La séparation de la physique, de la chimie et de la biologiesupposent certaines conceptions de la nature, des éléments et du vivant. II Opinion, subjectivité et altérité. Hans-Georg GADAMER Vérité et Méthode « La question est ici également de savoir comment on peut échapper à l'enfermement dans le cercle de ses proprespréconceptions.

On ne peut absolument pas supposer qu'en règle générale ce qui nous est dit dans un texte s'insère. »

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