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Faut-il vouloir être heureux ?

Publié le 06/03/2005

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Car cette recherche est toujours déjà intéressée, égoïste donc contraire à la morale.Le bonheur est l'accomplissement de la vie sensible comme telle, et par conséquent il appartient à tout être sensible en possédant la notion de souhaiter être heureux. Mais il y a une différence entre souhaiter qui n'engage à rien (souhaiter être riche, c'est juger positivement la richesse en refusant de faire quoi que ce soit pour le devenir) et vouloir qui est déjà mobilisation des moyens par la représentation contraignante d'une fin. Si tout le monde souhaite évidemment être heureux (le contraire signifierait qu'on n'existe pas comme vivant sensible), tout le monde ne veut pas le devenir. C'est que nous n'avons pas que des aspirations sensibles, du moins certains d'entre nous : pour les héros qui donnent leur vie parfois dans des conditions atroces (Jean Moulin) ou pour les créateurs qui subissent les affres d'un travail épuisant et ingrat (cf. la correspondance de Flaubert, notamment ses lettres à Louise Colet), il est clair que ces aspirations ne comptent pas, et qu'ils ne peuvent être soupçonnés de chercher un bonheur simplement paradoxal, puisque sa notion renvoie d'abord au maintien de la vie et à l'exclusion de la souffrance. Cela est vrai également dans l'ordre de la conscience morale : agir par devoir, c'est avoir implicitement décidé que le bonheur ne compterait pas et que les inconvénients liés à l'accomplissement de l'action ne seraient pas pris en considération, dès lors que sa nécessité s'imposait. Les héros, les créateurs et les sujets moraux en tant que tels ont donc en commun de considérer que, si important que son désir puisse être par ailleurs, le bonheur ne compte absolument pas. Autrement dit les meilleurs d'entre nous se refusent de faire du bonheur le but de leur vie, - même s'ils souhaitent évidemment être heureux, parce que pour eux ce n'est pas cela qui compte même si cela importe évidemment.Cette opinion serait-elle donc le propre des gens qui ne sont ni des créateurs ni des héros et qui accomplissent leur devoir à la seule condition qu'il ne mette en cause ni leur confort ni l'idée qu'ils ont d'eux-mêmes ?

« Mais le problème tient d'abord à ce que cette vérité elle-même est divisée : elle est actuelle pour les héros et lescréateurs, mais représentative pour les agents moraux, puisque les héros et les créateurs adviennent à eux-mêmesdans la surprise de ne s'être pas représentés ce qu'il sont pourtant en train de faire, quand les agents moraux sereconnaissent dans leur propre certitude, agir moralement consistant à faire ce qu'on se représentaitnécessairement devoir faire.

Dès lors l'opposition des rares et des nombreux se redouble d'une opposition interne à lapremière catégorie, puisque les agents moraux partagent avec ceux qui font du bonheur le but de la vie la mêmedéfinition de la vérité comme nécessité représentative, un but étant une représentation contraignante.

Allons mêmeplus loin : la position des agents moraux est exactement symétrique, donc en vérité semblable, à ceux qui font dubonheur le but de la vie, puisque dans l'un et l'autre cas il s'agit d'effectuer la certitude de ce qu'on est.

Loin qu'ils'agisse d'une simple détermination subjective, la nécessité universelle de tout, de l'étant en général, estsemblablement engagée dans l'une et l'autre détermination : soit on s'entend comme être sensible et on dira que lebonheur suffit à justifier que l'univers existe, soit on s'entend comme sujet digne et on dira que c'est la morale quioccupe cette position.

La véritable division ne se trouve donc pas entre les nombreux qui s'en tiennent à leur proprebonheur et les rares qui s'en tiennent à ce qui compte, mais elle se trouve entre ceux qui sont leur propre étrangeté(les héros et les créateurs, sujet singuliers) et ceux qui sont leur propre semblance (les nombreux et les agentsmoraux, chacun étant ce que n'importe qui serait ou devrait être à sa place).La question de la vérité constitue par conséquent l'enjeu de cette problématique, selon qu'elle sera actuelle (lavérité du créateur est son oeuvre, celle du héros est son acte) ou représentative (pour vouloir le bonheur ou lamorale, il faut se soumettre à l'idée de ce qu'est l'être humain : une sensibilité ou une dignité), c'est-à-dire selonqu'elle se repérera subjectivement à la surprise et à l'impossibilité de se comprendre (le créateur ne peut pas rendrecompte de ce qu'il a fait, et le héros ne comprend pas comment l'homme ordinaire qu'il est quand il y repense a puaccomplir de tels exploits), ou à la certitude d'avoir raison (on est certain d'être une sensibilité donc de devoirchercher le bonheur ; on est certain d'être une dignité donc de devoir tout subordonner à la nécessité morale).

Dèslors il nous faudra parvenir à une notion précise : si la question de la vérité oblige à faire de la représentation lecritère discriminant impliqué dans tout ce qu'on vient de poser, et si la notion de but est expressément située endeçà de ce critère puisqu'elle la suppose aller de soi, il nous faudra découvrir ce qui correspond au but pour ceux quine s'en tiennent pas à la pure représentation c'est-à-dire pour ceux qui récusent l'opinion présentée non pas auniveau de sa détermination mais au niveau de son principe, qui est la conception représentative de la vérité.

Qu'y a-t-il d'autre que la vie, qui justifie qu'on la voue à sa propre étrangeté ?Or la question semble aporétique, car même si l'on admet qu'il y a autre chose que la vie, la réflexion en feranécessairement un moment de la vie dès lors identifiée à la stupidité de son propre fait.

Par exemple si l'on considèrequ'il y a un Dieu en dehors du monde, cela permet certes d'affirmer que la vie dans le monde a un sens ; mais laquestion est simplement repoussée d'un degré, puisqu'on demandera alors quel sens aura l'ensemble constituée parle monde et par ce Dieu qui lui donne un sens ? Toute réponse factuelle (dont le paradigme est évidemmentconstitué par la mention d'un Dieu dont la figure peut être déclinée de multiples façons – politique, culturelle,écologique, etc.) est donc expressément mensongère.

Dès lors nous découvrons que la question de ce qui voue lavie à sa propre étrangeté ne concerne pas quelque chose ! Qu'est-ce qui n'est pas quelque chose, qui compte seulquand tout le reste importe, et qui permette de penser la vérité d'une mort héroïque ou d'une vie entière de travail,irréductiblement à leur valeur morale ou culturelle c'est-à-dire à la nécessité représentative ? Voilà concrètementnotre question.. »

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