Devoir de Philosophie

IPSEITE ET ALTERITE CHEZ HEIDEGGER ENTRE SARTRE ET KIERKEGAARD

Publié le 01/06/2012

Extrait du document

heidegger

 

 

 

 

 

      Il est admis par bon nombre de commentateurs de Heidegger que l'angoisse esseule le Dasein, qu'elle l'arrache à l'existence quotidienne inauthentique pour le placer dans une solitude radicale. L'angoisse montrerait un irréductible isolement. Heidegger aurait été tenté par une « sagesse romantique « en mettant en évidence à partir de l'angoisse un abrupt héroïsme du « solus ipse «. L'angoisse porterait l'homme authentique dans une vaillante solitude en rupture avec les hommes d'une grégaire et pusillanime quotidienneté banale[1]. Ainsi, par exemple, Lévinas déclare : « La solitude était un thème “existentialiste”. L'existence était décrite à l'époque comme le désespoir de la solitude ou comme l'isolement dans l'angoisse. « Ce jugement plus sévère s’adresse de Heidegger : « Heidegger est celui qui n'a pas encore senti la solidarité humaine et qui pense (comme bien des philosophes modernes) que chacun existe pour soi et que tout est permis. « Il lui reproche de ne faire jouer aucun rôle au Mitsein dans l'économie de Sein und Zeit. La relation avec l'autre est absente de l'Ereignis et n'apparaît que pour disparaître au niveau de l'analytique existentiale : « Toutes les analyses de Sein und Zeit se poursuivent soit pour l'impersonnalité de la vie quotidienne, soit pour le Dasein esseulé. «[2]


[1] Cf. J. Paumen, « La sagesse romantique de Martin Heidegger «, Revue internationale de philosophie, 9, Bruxelles, 1949, p. 281-289. L. Binswanger fut le premier à dénoncer la lacune de l'analytique existentiale qui interdit de penser l'authenticité du Nous ou d'un être-avec-l'autre authentique en raison du solipsisme qu'implique l'angoisse. Contre Heidegger, il conduit l'analyse d'un être en commun authentique sur la base de l'« amour « (Liebe). Cf. L. Binswanger, Grundformen und Erkenntnis des menschlichen Daseins, Zurich, 1942, p. [51] sq.

[2] E. Lévinas, respectivement, Ethique et Infini, Le Livre de Poche, Biblio/Essais, Paris, 1971, p. 57 ; Difficile liberté, Le Livre de Poche, Albin Michel, Paris, 1976, p. 36 ; Le Temps et  l'Autre, « Quadrige «, PUF, Paris, 1985, p. 18. L. L n’est pas en reste

heidegger

« 2 qu'il existe facticiellement comme tel, il est un être-avec le Dasein d'autrui.

Se comprenant la plupart du temps à partir des choses, l'autre est compris sur le mode de l'étant subsistant.

Le prochain, même s'il n'est pas dans une proximité imm édiate, est compris dans son mode d'être- là-avec à partir des choses.

Néanmoins, l'être -au -monde est toujours un être -avec autrui.

« Les “autres” sont à chaque fois là avec dans l'être -au -monde ” 4.

Le mode d'être du Dasein d'autrui tel qu'il est rencontré de manière intramondaine se distingue de l'être -à -portée -de -la -main et de l'être -sous -la -main.

La rencontre des autre ne part pas du Moi privilégié et isolé.

« En effet, la clarification de l'être -au -monde a montré que ce qui “est” de prime abord n'est poi nt un simple sujet sans monde, et que rien de tel n'est non plus jamais donné.

Et en fin de compte, tout aussi peu est donné de prime abord un Moi isolé sans les autres.

» 5 Le Dasein se comprend de prime abord à partir de son « monde » en prenant autrui sur la base de son « monde ».

Car « c'est dans la préoccupation du monde ambiant que les autres font encontre comme ce qu'ils sont ; ils sont ce qu'ils font » 6.

Le Dasein quotidien entretient le « souci d'une différence à l'égard des autres » : « L'être -l'u n-avec- l'autre (Miteinandersein) , à son insu, est tourmenté par le souci de cette distance.

Pour le dire existentialement, il a le caractère du distancement .

» 7 Moins ce distancement est conscient, plus le Dasein quotidien exerce une influence sur autrui.

Le distancement est donc la source de l'emprise d'autrui sur le Dasein .

S'il n'est pas d’emblée lui- même, c'est que les autres lui ont retiré son être.

Les autres disposent de ses possibilités.

L'essentialité du On réside dans sa domination des autres.

Il gît au sein de l'être -l'un -avec- l'autre quotidien.

Le Dasein qui m'est propre se dissout dans le mode d'être des autres de telle sorte que s'évanouissent toute différenciation .

« C'est dans cette non -imposition et cette im -perceptibilité que le On déploie sa véritable dictature.

» 8 Sans attirer l'attention, il étend son emprise sur le Dasein.

Aussi, le On que nous sommes de prime abord prescrit le mode d'être de la quotidienneté : « Nous nous réjouissons comme on se réjouit ; nous lisons, nous voyons et nous jugeons de la littérature et de l'art comme on voit et juge ; plus encore nous nous séparons de la “masse” comme on s'en sépare ; nous nous “indignons” de ce dont on s'indigne.

» 9 P aradoxalement, ce souci de la distance prend le visage de l'aplanissement de la différ ence.

C'est ce qui définit la médiocrité (Durchschnittlichkeit) comme mode existential du On.

C elle-ci ravale toute primauté, l'originalité tombe dans le familier, toute excep tion est soigneusement écartée.

Toute supériorité est silencieusem ent rabattue ; tout ce qui est originaire est taxé de trivial ; tout ce qui se conquiert est à sa disposition ; tout mystère est privé de sa puissance.

Bref, dans ce nivellement, aucune grandeur ne peut émerger.

« Distancement, médiocrité, nivellement cons tituent, en tant que guises d'être du On, ce que nous connaissons au titre de la “publicité”.

» 10 La publicité (Öffentlichkeit) règle toute explicitation du monde, du Dasein , de l'être-avec.

Le On est indifférent à toutes différences, à l'écart de l'être -So i authentique.

La publicité obscurcit tout ce qui est profond et fait passer ce qu'elle a voilé pour bien connu et accessible à quiconque.

Elle fournit d'avance tout jugement, elle prédonne toute décision.

Il le décharge de toute décision, de toute respons abilité jusqu'à sa charge d'être.

Personne n'a à se déclarer parce que le On se propose de prendre tout en charge.

Au lieu d'assumer sa propre décision, chaque -un (Einzelne) laisse le On décider pour lui.

Mais quand le On décide, en définitive personne ne décide.

Il peut prendre tout en charge puisque personne n'a à répondre de rien devant personne.

« Mais, insiste Heidegger, il y a plus encore : avec cette décharge d'être, le On complaît au Dasein pour autant qu'il y a en lui la tendance à la légèreté et à la facilité, et c'est précisément parce que le On complaît ainsi 4 Heidegger, Sein und Seit, 1927, M.

Niemeyer, Tübingen, 14 éd., 1977, § 26, p.

[118] ; Etre et Temps , trad.

E.

Martineau, Authentica, Paris, 1985, p.

103.

(Heidegger souligne.) Sauf indications contraires, les textes allemands seront donnés en référence dans l’édition des œuvres complètes de Heidegger, parues dans la Gesamtausgabe (GA) chez V.

Klostermann, Frankfurt/Main.

On indiquera entre crochets la pagination du t exte allemand, puis la page du texte traduit.

5 Ibid., § 26, p.

[116], 101.

Le Dasein se singularise dans son rapport à autrui selon la perspective du devenir -historial (Geschehen) , de la joie communicationne lle, il laisse l’être de l’autre en sa liberté.

L e Dasein angoissé fait retour sur lui -même pour rattraper son être -avec .

Cf.

Was ist Metaphysik ? , 1929, GA 9, p.

[113], [115] ; Qu’est -ce que la métaphysique ?, trad.

H.

Corbin, Questions I, Gallimard, Paris, 1987, p.

60.

; Dans « Hegel Begriff der Erfa rhung », in Holzwege , GA 5, p.

[179], le Dasein destinal comme être avec -autrui s’énonce comme co -destin, devenir -historial de la communauté.

L’angoisse individualisante se fait gaieté (Heikerkeit), Sein und Zeit , p.

[118], joie (Freude) pour l’autre, in Einfü hrung in die Metaphysik , 1925, GA 40, p.

[3], Nietzche I , 1936 -39, Neske, Pfüllingen, [56].

La camaraderie en tant que « compagnons d’angoisse », se lève de la communauté par l’angoisse de ma mort.

Que dire de la voix de l’ami, de la fidélité, de la so llicitude dans Sein und Zeit, § [74], du respect mutuel, dans Kant und das Problem der Metaphysik, 1929, GA 47, § 30, p.

[207] ; Kant et le problème de la métaphysique, trad.

A.

de Waelhens et W.

Biemel, Gallimard, Paris, 1953, p.

294.

N’a- t- il pas thématisé l’amour ? Cf.

Prolegomena zur Geschichte des Zeitbegriffs , 1925, GA 20, p.

[61] ; Höderlins Hymnen « Andenken », 1941/42, GA 52, § 54, p.

[161] ; Brief über den « Humanismus », 1946, GA 9, p.

[316] 6 Ibid., § 27, p.

[126], 107.

(Heidegger souligne.) 7 I bid.

8 Ibid., § 27, p.

[126], 108.

9 Ibid.

10 Ibid., § 27, p.

[127], 108.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles