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KANT: Le besoin d'un maître

Publié le 06/05/2005

Extrait du document

kant
L'homme est un animal qui, du moment où il vit parmi d'autres individus de son espèce, a besoin d'un maître. Car il abuse à coup sûr de sa liberté à l'égard de ses semblables, et, quoique, en tant que créature raisonnable, il souhaite une loi qui limite la liberté de tous, son penchant animal à l'égoïsme l'incite toutefois à se réserver dans toute la mesure du possible un régime d'exception pour lui-même. Il lui faut donc un maître qui batte en brèche sa volonté particulière et le force à obéir à une volonté universellement valable, grâce à laquelle chacun puisse être libre. Mais où va-t-il trouver ce maître ? e part ailleurs que dans l'espèce humaine. Or, ce maître, à son tour, est tout comme lui un animal qui a besoin d'un maître. De quelque façon qu'il s'y prenne, on ne conçoit vraiment pas comment il pourrait se procurer pour établir la justice publique un chef juste par lui-même : soit qu'il choisisse à cet effet une personne unique, soit qu'il s'adresse à une élite de personnes triées au sein d'une société. Car chacune d'elles abusera toujours de la liberté si elle n'a personne au-dessus d'elle pour imposer vis-à-vis d'elle-même l'autorité des lois. KANT

Ces lignes de Kant posent le problème du pouvoir politique, celui de sa possibilité même. L'idée générale du texte est la suivante : comment trouver un maître n'ayant pas besoin d'un maître ? Ceci semble impossible, puisque celui qui a pour tâche de gouverner est un homme affecté par la grossièreté de sa nature et chez qui domine le penchant animal à l'égoïsme. Dès lors, la possibilité même d'un pouvoir juste faisant régner une volonté universelle semble singulièrement mise en question. En fait, le mal humain paraît vicier tout pouvoir politique.  Dans la première ligne, Kant pose, de manière saisissante, l'homme comme animalité requérant une maîtrise.  Dans la première partie du texte (« car il abuse... libre «), Kant explicite ce thème. Il souligne la dualité humaine (égoïsme et, en même temps, penchant à l'universalité).  Dans la seconde partie du texte (« Mais... des lois «), Kant montre que la description précédente se réitère à propos de tout individu et rend extrêmement difficile le problème du pouvoir politique : le maître, qui doit modeler la société en fonction d'une loi universelle, est lui aussi un animal égoïste. Dès lors, le problème de la justice publique semble insoluble.

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« personne exerçant une domination, ayant pouvoir et autorité pour se faire obéir.

Cette position de l'homme commeêtre vivant ayant besoin d'un chef usant d'une autorité sur lui est paradoxale, parce qu'elle semble signifier quel'animal n'a pas réellement besoin d'un maître, mais que l'homme, cet être libre, requiert précisément à la différencede l'animal, une domination-: la relation dominant/dominé est constitutive de l'espèce humaine.

En fait, la suite dutexte va éclaircir ces premiers paradoxes et nous faire comprendre la formule initiale de Kant.Effectivement, le premier paragraphe (« Car il abuse...

libre ») explicite la situation humaine et rend intelligible laphrase précédente.En effet, l'homme est avant tout une créature raisonnable, c'est-à-dire participant à la raison conçue commefaculté unitaire suprême, celle qui pose des principes universels et des règles dépassant le particulier.

Par la raison(pratique), l'homme conçoit tout particulièrement une loi morale universelle, refoulant tous les régimes d'exception etune loi politique.

Ainsi, comme « créature raisonnable », comme être de raison édifiant une législation universelle,l'être humain souhaite une loi réprimant les abus particuliers.

La moralité, c'est l'absence de privilèges, qu'exige laraison.Néanmoins, l'homme ne sait contenir sa liberté dans les limites requises par la loi universelle.

Il déploie son librevouloir de manière telle qu'il opprime ses semblables.

En effet, Kant parle ici d'un « penchant naturel à l'égoïsme ».

Ils'agit ici de l'attachement excessif à soi-même, qui fait que l'on recherche exclusivement son plaisir et son intérêtpersonnel.

Or, du point de vue de la recherche anthropologique, ce que l'on observe chez l'homme, c'estprécisément le développement exclusif de l'égoïsme et l'attachement à l'intérêt personnel.

Kant est tellementpersuadé de l'omniprésence de cet égoïsme qu'il remarquera dans les Fondements de la métaphysique des moeursque nul acte de vertu authentique n'a jamais pu être remarqué dans le monde ! Quelque secrète impulsion de l'amourpropre est généralement la source de nos actes, qui sont toujours plus ou moins subordonnés à notre intérêtpersonnel.

On peut donc parler d'une puissante tendance psychologique à ne faire régner que ce qui est avantageuxà notre moi : ceci représente notre essence animale.Dès lors, un maître, c'est-à-dire une personne ayant pouvoir et autorité, est requis pour nous faire accéder àl'universel, à la volonté de tous.

Le chef nous fera agir selon une loi universelle et nous contraindra à obéir à unevolonté générale.Nous « forcer à obéir », n'est-ce pas paradoxal et n'est-ce pas une atteinte à notre liberté ? Non, car alors lavolonté obéit à une loi morale universelle, à une loi de la raison, à la loi éthique et aussi civile.

Etre libre c'est obéir àla loi de tous : le chef nous y contraindra.

Être libre, ce n es pas agir selon son bon plaisir, mais se soumettre à laloi.Pourquoi le maître est-il nécessaire à l'homme et non à l'animal ? Parce que l'homme vit sous deux règnes, celui del'égoïsme naturel et celui de l'idéalité et des fins morales.

Il appartient à la fois au règne de la nature et à celui del'éthique.

L'homme est le seul animal qui ait besoin d'un maître parce que le maître subordonnera la nature égoïste aurègne des fins et nous éloignera ainsi du Mal, qui représente la subordination de la loi morale à la sensibilité.

Aucontraire, l'animal vit dans une seule sphère, celle de l'égoïsme naturel et, comme il ignore toute loi, il n'a pasréellement et fondamentalement besoin d'un maître puisqu'il n'y a pas chez lui mal à proprement parler.

Le mal naîtquand il y a à la fois égoïsme et représentation de la loi.

Chez l'homme, le maître subordonnera les tendanceségoïstes à la loi de la raison.

Dans la cité, cette subordination est indispensable pour que les hommes sereconnaissent les uns les autres dans leur dignité.

Loi morale et loi civile (loi de l'État) doivent, par conséquent,l'emporter sur l'arbitraire de la volonté individuelle, arbitraire que le maître brise.

On notera, dans ces lignes, unerésonance rousseauiste (idée de la liberté sous la loi).En somme, c'est la corruption de l'homme, ce sont ses tendances innées au mal, qui rendent nécessaire le maître.Dans la seconde partie du texte (« Or, ce maître...

lois »), Kant montre que le maître lui-même est affecté par despenchants égoïstes, puisqu'il est homme, et que ce problème anthropologique rend très difficile le problème politique.Les princes sont des hommes, des êtres pleins de passions!En effet, le dominant appartient lui aussi à la sphère du vivant égoïste : chez lui les penchants exclusifs pourl'intérêt personnel prédominent.

Dès lors, il lui faut quelqu'un qui bride ces tendances et l'élève à l'universel ! Leterme d'espèce qu'emploie Kant est significatif.

Nous faisons partie d'un ensemble d'individus d'aspect semblableayant en commun des caractères qui les distinguent.

Donc le maître s'intègre dans l'espèce humaine et possède lesmêmes caractéristiques que nous tous : c'est un animal égoïste qui a besoin d'un maître pour dompter cet égoïsmeet l'élever à l'universel.

Décidément, nous n'en sortons pas !Dès lors le problème de la justice publique semble insoluble.La justice est, en effet, le pouvoir de faire régner le Droit, de faire reconnaître et respecter les droits et les méritesde chacun.

Mais comment comprendre l'exercice de la justice ? Le chef unique ou l'élite de personnes vont régnerégoïstement, s'ils n'ont pas au-dessus d'eux une instance représentant la loi universelle.

Il faut toujours qu'un autrepouvoir, au-dessus de chacun, représente la raison.

De proche en proche, le problème du maître nous échappe parun étrange jeu de miroirs car tout individu ou tout groupe d'élite est toujours affecté par la grossièreté de la naturehumaine.Le maître doit produire chez les gouvernés le respect de la loi, mais ce respect de la loi est précisément ce qui luifait défaut ! Comment donc créerait-il chez ses sujets ce dont il a lui-même besoin ? Ainsi le problème du maître estbien le plus difficile des problèmes politiques.. »

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