Devoir de Philosophie

La beauté du mal

Publié le 28/01/2012

Extrait du document

Le monde grec, avec Platon, verrait dans l'expression « beauté du mal « un étrange oxymore. C'est que, pour le disciple de Socrate, le Bien est aux autres valeurs ce que le soleil est aux autres éléments : il les éclaire, les rend visible. De fait le bien se fond et se confond dans le Beau. Une telle équivalence posée, on voit mal comment le mal pourrait être recherché pour ses qualités intrinsèques ; au contraire, il est tout ce qui est objet de désapprobation, tout ce contre quoi l'homme doit lutter... Définition négative qui montre bien le statut du mal dans la pensée grecque : pas pendant négatif du Bien, mais absence de bien...       En cela, l'expression « beauté du mal « pose d'inextricables difficultés : elle associe non seulement deux termes contradictoires, mais encore asymétriques : le Beau est une Idée, un Absolu, quand le mal ne serait qu'une imperfection au monde sensible, une circonstance relative... Conception qui a le mérité de ne pas sombrer dans une connivence tacite avec le mal, mais qui vient trébucher sur d'autres ornières : la sagesse antique n'est-elle pas coupable de détourner les yeux devant l'évidence du mal, pour ne pas s'y compromettre ? Car penser le mal, c'est toujours se mettre en question, et scruter la part de trouble qui sommeille en chacun, voire qui s'exprime de façon latente... Sauf, qu'il ne faut pas réduire le débat à une attirance pour le mal qui serait sournoise, larvée, enfouie parce qu'elle relèverait des pulsions et des désirs, c'est-à-dire du corps.

« se met en branle pour l'atteindre.

Et le mal ne peut s'expliquer que par une volonté coupable, ou par paresse, ou parcequ'aveuglée par les passions, elle refuse de suivre les injonctions de l'intelligence.

On sent bien que tant que cette intelligence n'estpas mise en cause, il ne peut y avoir de « beauté du mal ».

Mais que vaut cette idée ? Son présupposé est évident : on succombenécessairement au charme du bien, qui exerce un attrait irrésistible, contre lequel on ne peut lutter.

Or, cela est intenable : renier lapossibilité de choisir le mal, revient à renier, du même coup, l'existence du bien.

En effet, s'il on ne peut lutter contre le bien, iln'est pas le fait d'un choix, mais d'une détermination contre laquelle on ne peut rien.

Si la bonté relève de la nature humaine, iln'est pas libre de faire le bien.

On voit que le bien n'est plus le bien sans l'alternative du mal, parce que faire le bien implique quel'on ait dû choisir entre le bien et le mal.

Bien agir par nécessité, ce n'est pas bien agir.

Ainsi, il faut postuler que l'intelligencepuisse choisir le mal.

D'autant que cela est loin d'être absurde : si l'intelligence est la capacité à choisir les moyens les plus adaptésen vue d'une fin, on voit bien que le mal peut constituer un raccourci pour parvenir à cette fin.

Quant à cette fin choisie parl'intelligence, rien ne permet d'affirmer qu'elle sera du côté du bien...

Il y a bel est bien un « attrait » du mal qui s'exerce sur notreesprit... Ainsi, on peut affirmer contre le monde grec que le mal existe « le mal existe et n'est pas nécessairement fruit de l'erreur».

Pourautant, il reste un moyen de refuser la « beauté du mal » ; la question est : cet attrait du mal peut-il être assimilé à une beauté dumal ? Platon a beau ironisé sur le fait que l'on puisse parler d'une « belle » jeune femme ou d'une « belle » marmite, il n'empêchequ'un conçoit très bien ce qu'est un « beau meurtre » : le meurtre parfait.

Le mal est « beau » quand il est un type-idéal, qui porteà un haut degré ses qualités intrinsèques.

Et même s'il on est pas satisfait par cette définition formelle du beau comme ce qui estparfaitement adapté à la fin qu'il vise, il est difficile de nier que l'on peut ressentir un plaisir esthétique devant le mal.

Par exemple,on peut apprécier un peut apprécier un beau tableau alors qu'il représente la détresse, comme c'est le cas pour le Radeau de laMéduse de Géricault : quoi de plus terrifiant que cette image ? Et pourtant qui pourrait nier y trouver un sentiment esthétique, etmême des qualités d'harmonie, de régularité, bref, une perfection formelle.

De même, toute une partie de la peinture chrétiennereprésente le supplice du Christ : il semble bien que le beau et le bien ne se confondent pas... Ainsi, les anciens ont réduit la faute à l'erreur, ce qui est une erreur voire une faute.

Il est trop rassurant de limiter le mal à un« dommage collatéral » ou un désir illégitime que la forteresse de la raison aurait mal repoussé.

Le beau et le bien ne sont passynonymes, et, contre Platon, le mal peut être commis volontairement.

Le mal trouve aussi sa source dans les facultés morales,intellectuelles et spirituelles, on en donné des exemples.

Reste à savoir ce qu'il y a dans le mal de si séduisant et raffiné... L'attirance, la fascination qu'exerce le mal sur l'homme est indéniable.

Cette idée de conflit est parfaitement exprimé parVladimir Jankelevitch : « la tentation est la sollicitation de la beauté sans bonté ni vérité ».

Le mal n'est pas une absence de valeur,mais une hiérarchie, une dissociation entre les valeurs car le beau passe avant les autres valeurs, les élude.

En d'autres termes, latentation, c'est ce qui permet d'économiser les moyens.

Effectivement, le mal est tentant, séduisant, ne serait-ce que parce quecomme moyen, il est souvent parfaitement adapté en vue de la fin visée.

Tout individu n'est-il pas alors attiré par la « beauté » dumal, conçue du point de vue de son adaptation à une fin ? Mais quelqu'un comme Charles Baudelaire va peut-être plus loin : « Ily a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l'une vers Dieu, l'autre vers Satan.

L'invocation à Dieu, ouspiritualité, est un désir de monter en grade ; celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre ».

Le mal n'est plus l'absencede bien, mais son opposé, il accède au même rang, et les deux peuvent ainsi se livrer un combat permanent.

Dans cette optique,le beau peut germer indifféremment du bien et du mal.

Comment expliquer cela ? Par la scission de la raison : certes, la raisonmène au raisonnable, mais elle mène aussi au rationnel.

Or, si le raisonnable est du côté du bien, le rationnel n'en a que faire, aucontraire, il amène souvent à transformer l'autre en objet.

Prenons l'exemple des Liaisons dangereuses de Laclos : le lien entreraison et mal est très étroit.

La raison y mène au mal parce que des personnages « cérébraux » (même dans le domaineamoureux, les sentiments sont au service de la raison toute puissante) utilisent les personnages sensibles, dans leur soif depossession, besoin de montrer son emprise, qui les amène à avoir une pratique consciente, volontaire et assumée du mal.

L'autreest « chosifié », une chose vivante avec laquelle il est bon de jouer...

En termes philosophiques, il y a bien une scission entre lerationnel et le raisonnable.

La perversité n'existait pas chez les grecs, mais ici, l'idée du bien et l'idée du beau sont totalementdistinctes.

Rien n'empêche la beauté du mal d'exister.

On peut même aller plus loin : le mal ne peut-il pas détrôner le bien ? Le mal n'est-il pas premier, avant même le bien ? C'est lathèse de Glaucon, cité par Platon, avec sa parabole de l'anneau de Gygès : Gygès trouve un anneau qui le rend invisible, et alorsqu'il était un humble berger plein de bonté, il tue le roi, prend sa place et épouse la reine, car l'anneau qui lui confère une impunitéparfaite.

L'anecdote est troublante : on choisirait tous le mal, si on l'osait.

Le bien et le mal ne sont que des moyens, mais les finssont les mêmes.

S'il on choisit le bien, c'est uniquement parce qu'on ose pas choisir le mal, par hypocrisie et par lâcheté.

La forcede cette anecdote est qu'elle renverse la pensée grecque : c'est le mal qui est premier, et le bien second.

Le bien ne se définit plus. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles