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La connaissance d'autrui est-elle compatible avec la reconnaissance de sa liberté ?

Publié le 31/12/2009

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La présence d'autrui revêt l'apparence d'un fait irrécusable. Et comme il faut que j'en passe par autrui pour être moi-même, cette présence va m'être tout à la fois hostile et nécessaire. Les rapports entre moi et autrui, quand bien même se poseraient-ils chez  Sartre beaucoup plus en termes d'existence qu'en ternies de connaissance, n'en vont pas moins cependant se dérouler dans la perspective du conflit, ce Le conflit est le sens originel de l'être-pour-autrui « (id., ibid., p. 431). C'est donc le concept d'autrui qui toujours fait problème. Force est de constater que le couple « moi-autrui « est une « formule insuffisante « (Merleau-Ponty, Le Visible et L'Invisible, p. 274). Que manque-t-il ?

 

 

 

Il convient d'abord de remarquer la tournure  de la question. On demande si « la connaissance d'autrui « cet « compatible avec la reconnaissance de sa liberté «. Il no n'agit donc pas de parler en général du problème d'autrui, voire de la connaissance ou de la liberté. Mais si la question posée est précise, les termes dans lesquels elle est formulée appellent des précisions. Reformulons encore la question : y a-t-il compatibilité entre connaître autrui et reconnaître la liberté d'autrui ? L'on voit mieux à présent que pour répondre correctement à cette question, il faut auparavant savoir ce que veulent dire les expressions « connaître autrui « et « reconnaître la liberté d'autrui «. Nous suggérons donc de commencer par l'analyse de l'expression « connaître autrui «. Pour la mener à bien, il serait bon de songer aux réflexions de certains philosophes commue Kant, Hegel, Husserl, Heidegger, Sartre et Merleau-Ponty. Il faut aussi faire ressortir la spécificité, et également l'équivocité, du concept d'autrui. Au terme de cette analyse qui occupera une partie non négligeable de la dissertation, nous procéderons à une transformation des termes. Nous remplacerons « autrui « par « les autres « et nous abandonnerons le terme de connaissance an profit du mot rencontre. C'est alors, et alors seulement, que nous en viendrons à la question du sujet. Nous constaterons au pus-sage que le mot autrui appliqué à l'idée d'une reconnaissance de la liberté, n'a peut-être pas le même sens que lorsqu'il renvoie à l'idée de connaissance. Nous nous demanderons toutefois si la reconnaissance de la liberté d'autrui peut avoir lieu autrement que d'une façon formelle. Au formalisme du concept d'autrui répondrait ainsi un formalisme du concept de liberté. Comment échapper à ce double formalisme ? Là encore, nous nous apercevrons qu'il est préférable de parler des autres plutôt que d'autrui. Que peut bien signifier reconnaître la liberté des autres ? Telle sera la question que nous aborderons pour conclure.

« Une telle reconnaissance n'est assurément pas une chose aisée.

Pour le montrer, prenons l'exemple d'unediscussion.

Car c'est bien après tout au sein du langage que je rencontre autrui ou plutôt que nous nousrencontrons.

Le langage se trouve être le lien d'une incessante lutte d'influence.

Implicitement ou explicitement, jeparle pour dire quelque chose à quelqu'un.

En d'autres termes, quand je parle, les autres sont là, d'une façonmédiate ou immédiate.

Mais pour que l'autre saisisse le sens de mes paroles, je dois me mettre sur le même terrainque lui.

L'autre ne peut m'entendre, me comprendre, qu'à la condition que je quitte mon univers personnel pour unterrain d'entente commun.

Seulement il y a là un risque.

En effet, plus ce terrain commun est plat, plus lesconversations vont bon train.

À la limite les paroles échangées ne charrient plus rien d'autre que des banalités.

Dèslors, ce n'est plus ma personnalité que j'exprime, je ne fais au contraire que me dissoudre chaque jour davantagedans le vaste creuset social des lieux communs.

A ce stade, la voix monotone et anonyme du langage passe-partout réduit au silence toute voix singulière et originale.

Le langage n'est plus ce qui permet à l'homme d'êtrevraiment lui-même, il se révèle au contraire être le lieu d'une gigantesque frustration.

Parce qu'il me fautcommuniquer avec les autres, je risque de me trouver privé de la possibilité d'exprimer librement ma personnalité.Parce que le langage est toujours déjà-là, et que personne en particulier ne l'a inventé, me voilà contraint de fairecomme tout le monde.

Le lieu par excellence de cette contrainte est le lieu commun où la personnalité et la libertéde chacun se trouvent comme laminées.

Tout cela se produit sur la toile de fond de ce que l'on nomme l'opinionpublique.

Il apparaît ici que vouloir, par des sondages d'opinions, connaître les autres, rend impossible lareconnaissance de leur liberté.

Au niveau de l'opinion publique, c'est-à-dire à la fois partout et nulle part, je suisramené au même plan que les autres.

Mais les autres en sont aussi au même niveau que moi.

L'univers personnel dechacun est en quelque sorte nivelé, et chaque homme devient peu à peu étranger à lui-même, autrement dit aliéné.Si d'une part je risque de perdre ma liberté et ma singularité et, à la limite, de devenir étranger à moi-même dans lebavardage du langage commun, je risque d'autre part, en m'isolant dans un langage où je pourrais peut-êtrem'exprimer mais que je finirais par être le seul à comprendre, de sombrer dans l'aliénation mentale, dans la folie.

Cedouble danger qui menace tout entretien et qui risque de miner toute reconnaissance, est plus pressant à notreépoque où « les relations entre les hommes sont à la fois des relations anonymes et des relations de puissance »(Hyppolite, Figures de la pensée philosophique, P.U.F., tome II, p.

889).Pour qu'une discussion s'instaure, pour qu'un entretien commence, il faut que dans la rencontre la liberté de chacunsoit préservée, non pas formellement mais réellement.

Il n'est dès lors absolument pas incompatible de rencontrerd'autres personnes et de les accueillir en les laissant libres.

La liberté n'advient même que lorsque, sur la toile defond du monde, se fait jour une profonde réciprocité entre mes paroles et celles des autres.

« Une discussion n'estpas échange ou confrontation des idées, comme si chacun formait les siennes, les montrait aux autres, regardait lesleurs, et revenait pour les corriger aux siennes...

Quelqu'un parle, et les autres aussitôt ne sont plus que de certainsécarts par rapport à ses paroles, et lui-même précise son écart par rapport à ceux-là.

Tout haut ou tout bas,chacun parle tout entier, avec ses « idées », mais aussi avec ses hantises, son histoire secrète que les autressoudains mettent à nu, en les formulant comme idées.

La vie devient idées et les idées retournent à la vie, chacunest pris dans le tourbillon où il n'engageait d'abord qu'une mise mesurée, mené par ce qu'il a dit et ce qu'on lui arépondu, mené par sa pensée dont il n'est plus le seul penseur.

» (Merleau-Ponty, Le Visible et L'invisible, p.

159).La rencontre des autres suppose, s'il s'agit encore une fois d'une rencontre authentique, la reconnaissance de leurliberté.

Cette liberté, ce n'est pas moi qui la confère aux autres, pas plus qu'ils ne me la donnent.

Elle prendnaissance dans le tissu même de la rencontre.

Chacun de nous la reconnaît aucun de nous ne la constitue.

Lareconnaissance des autres en tant qu'ils sont libres me libère du même coup.

Reconnaissance aussi vitale queprécaire, aussi fragile que solide.

Reconnaissance avec laquelle personne n'en a jamais vraiment fini bien qu'elle soit,parfois, pleinement présente.. »

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