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La dynamique du religieux R. BASTIDE

Publié le 26/01/2020

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R. BASTIDE (1898-1974)

L'anthropologie religieuse s'efforce de décrire, au-delà ou en deçà des religions particulières, les règles de production symbolique qui déterminent le comportement de l‘« homo religiosus ». Confrontée tout autant que son objet aux bouleversements modernes, cette discipline a dû prendre en compte de nouveaux phénomènes. Roger Bastide en fait l'inventaire.

La religion comme tous les faits sociaux change tout en résistant et résiste tout en changeant. D’abord, au fur et à mesure que les civilisations se rencontrent, les religions qui les soutiennent se heurtent ou s’entrecroisent. Elles peuvent se hiérarchiser, lorsqu’un peuple vainqueur impose ses lois à un peuple vaincu ; dans ce cas, la religion du vainqueur devient la religion officielle et la religion du vaincu tend à se transformer en magie ou sorcellerie (...). À côté de ce premier processus, historiens comme ethnologues ont insisté sur le phénomène des syncrétismes religieux (...); naturellement le syncrétisme prendra des formes différentes suivant les religions en contact : islamisme, catholicisme ou protestantisme d’un côté, religions africaines ou asiatiques de l’autre. Ce qu’il est important de noter, c’est qu’il tend partout, au-delà du simple rapprochement ou de la pure réinterprétation d’une des deux religions en contact à travers l’autre, à la création de systèmes unifiés originaux qui ne sont plus ni chrétiens, ni musulmans, ni bouddhistes, ni animistes, ni non plus une simple addition de ces divers ingrédients, mais des réalités « sut generis 1 ». (...)

Le temps des institutions religieuses est un temps « au ralenti » par rapport à celui des autres institutions ; il arrivera par conséquent un moment où ic. décalage de la religion par rapport au reste de la société sera ressenti par les consciences des croyants. Nous voyons alors apparaître divers phénomènes, comme ceux du messianisme, du réveil ou de la réforme. Mais tous ces mouvements se présentent non pas avec une idéologie de renouvellement ou de « rééquilibration », mais au contraire avec une idéologie de retour au passé (...). Tout se passe comme si les prophètes ou les prêtres voulaient rassurer les consciences affolées par l’affirmation que l’on veut « maintenir » alors qu’il s’agit au contraire de « transformer ». À la loi de différenciation sociale se rattache une autre loi (...) : celle de la sécularisation progressive de nos connaissances comme de nos activités. Nous ne devons pas penser qu’à cause de cela la religion est actuellement moribonde ; elle change seulement pour reprendre des formes parfois inattendues ; l’anthropologue la découvre souvent là où il ne s’attendait vraiment pas à la rencontrer, comme d’ailleurs il découvre souvent à l’intérieur des Églises historiques, au lieu de l’appréhension du sacré qu’il espérait y trouver, un ensemble de masques, d’apparence certes religieuse, mais qui couvrent de leurs mensonges des faits d’indifférence, voire de négation du pur religieux. Nous avons donné un peu plus haut des exemples de ce jeu de cache-cache de l’homme avec le sacré : prolifération des mythologies, innovations du cérémonial dit laïque, transfert du religieux dans l’expérience politique au moment où, de son côté, le politique se déguise en religieux pour ne plus dire son nom.

Roger Bastide, « Anthropologie religieuse » (1968), in Encyclopaedia Universalis, vol. 2, 1968, pp. 65-69.

1. Sui generis : spécifiques, originales (mot à mot : de son espèce).

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