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LA MAUVAISE FOI DANS L'OEUVRE DE SARTRE

Publié le 14/04/2011

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Le thème de la mauvaise foi apparaît comme le plus important de l'œuvre de Sartre. Cette notion fondamentale ressemble, en quelque sorte, à la colonne vertébrale de sa pensée. Il était indispensable, pour saisir cette idée centrale, d'avoir préalablement défini, repéré, les temps forts de la réflexion sartrienne ; la mauvaise foi, en effet, ne peut pas être comprise en elle-même ; isolée de tout le contexte qui la justifie, elle perd de sa réalité. C'est donc à partir d'un tout presque indécomposable que le thème de la mauvaise foi s'éclaire, prend sa vraie dimension et se dévoile. La mauvaise foi constitue ainsi la toile de fond toujours présente des différents aspects d'une pensée, des différentes étapes d'une réflexion, des différents moments d'une vie. A elle seule, mais toujours simultanément rattachée à tout ce qui l'entoure, la mauvaise foi pourrait représenter la dominante du système sartrien, si l'on veut bien entendre par système non une grandeur abstraite et morte, mais un ensemble vivant dont la référence essentielle demeure la réalité humaine. La mauvaise foi, au sens où Sartre la comprend, n'est, bien entendu, jamais qu'une attitude provisoire, un état à vaincre ; si elle décrit la condition humaine, elle ne le fait qu'en évoquant cette dernière dans une totale inauthenticité. La mauvaise foi renvoie ainsi à autre chose et suppose un dépassement qui seul permettra à l'homme de se réaliser dans une liberté toujours à nouveau conquise.

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« Il est intéressant de comparer ce texte du Mur, qui date de 1937, avec une page de Situations, III où Sartre donne,en 1946, dans un article paru aux Temps modernes, un commentaire involontaire mais excellent de la citation du Muroù Lucien apprend qu'il a été fait pour être chef ; Sartre écrit en effet : « Tout membre de la classe dominante esthomme de droit divin.

Né dans un milieu de chefs, il est persuadé dès son enfance qu'il est né pour commander et,en un certain sens, cela est vrai puisque ses parents, qui commandent, l'ont engendré pour qu'il prenne leur suite.

Ila une certaine fonction sociale qui l'attend dans l'avenir, dans laquelle il se coulera dès qu'il aura l'âge et qui estcomme la réalité métaphysique de son individu.

Aussi est-il à ses propres yeux, une personne c'est-à-dire unesynthèse a priori du fait et du droit.

Attendu par ses pairs, destiné à les relever en temps voulu, il existe parce qu'ila le droit d'exister.

» Jacques, dans L'âge de raison, est un homme arrivé et assis ; quand son frère Mathieu vient lui demander quatremille francs pour un avortement clandestin, somme qu'il pourrait lui accorder facilement, Jacques refuse en donnantà la place de ce prix une série de très bonnes raisons dont toutes manifestent principalement le refus de reconnaîtreen face de lui un homme qui l'interroge et le met en question.

Jacques, c'est l'homme sérieux par excellence14.

Il aatteint l'âge de raison, c'est-à-dire une certaine maturité où le raisonnable se confond avec le conformisme, et lasagesse se dissout dans la « résignation ». Thomas, dans La putain respectueuse, est aussi un cas typique de salaud ; il a voulu tuer un Noir et le fait ensuitecondamner à sa place pour une prétendue tentative de viol inventée de toutes pièces.

Comme Jacques, il plaide sacause avec de très dignes arguments.

Thomas, c'est un « chef16 », dira de lui son ami et défenseur Fred.

C'estparce qu'il est un chef qu'il a droit à la vie ; c'est parce que le Noir n'est pas un chef que sa vie ne compte pas etqu'on peut indifféremment travestir la vérité à son sujet.

Lizzie, horrifiée par une telle démarche, traite alors Fred de« salaud » et le mot trouve véritablement sa place ici.

A Lizzie, invitée à un faux témoignage qui menace la vie d'unNoir et va le faire condamner à mort, le Sénateur déclare fermement à propos de Thomas qu'il veut ainsi sauver : «C'est un Américain cent pour cent, le descendant d'une de nos plus vieilles familles, il a fait des études à Harvard, ilest officier — il me faut des officiers — il emploie deux mille ouvriers dans son usine — deux mille chômeurs s'il venaità mourir — c'est un chef, un solide rempart contre le communisme, le syndicalisme et les juifs.

» Nous pourrions ainsi multiplier les exemples.

Sans oublier l'image très ironique et dure que Sartre donne de lui-mêmedans Les mots où il dépeint avec finesse « l'imposture » et « la bouffonnerie » d'une enfance envahie par lamauvaise foi, il serait encore possible de présenter ici le portrait que Sartre trace de l'auteur des Fleurs du mal dansson Baudelaire.

La vie du poète constitue en effet, pour Sartre, une illustration parfaite de l'esprit de sérieux : «Cette âme singulière vit dans la mauvaise foi.

Il y a en effet en elle quelque chose qu'elle se dissimule dans une fuiteperpétuelle : c'est qu'elle a choisi de ne pas choisir son Bien, c'est que sa liberté profonde, renâclant devant elle-même, emprunte en dehors des principes tout faits, précisément parce qu'ils sont tout faits », écrit Sartre deBaudelaire.

Toutefois, il ne nous paraît pas indispensable d'insister sur cet ouvrage dont la thèse est finalementconduite de manière trop sommaire, au point que Baudelaire n'est plus saisi que dans une perspective exclusive et àsens unique qui, loin de nous restituer la présence du poète, l'arrache définitivement à notre vue.

Si l'on veutconnaître l'évocation minutieuse et nuancée de la mauvaise foi, à travers un livre de critique littéraire de Sartre, leFlaubert apporte, à cet égard, une démonstration beaucoup plus riche et convaincante. Tous les héros, tous les personnages de l'œuvre de Sartre, à commencer par Sartre lui-même, connaissent latentation de la mauvaise foi.

Le drame de leur vie, c'est le dépassement difficile d'une condition de fuite et ladécouverte ultime d'une responsabilité où l'homme se choisit en assumant ses actes.

Le prix à payer pour découvriralors la liberté est souvent très coûteux.

Si le crime constitue souvent dans l'œuvre de Sartre (Les mouches, Lamort dans l'âme, Le Diable et le Bon Dieu, Les séquestrés d'Altona) la condition à remplir, en quelque sorte, pourconnaître le vrai visage de la liberté, ce n'est pas parce que l'auteur se fait l'apologète du meurtre ou du suicide,c'est parce qu'il décrit dans ses livres des situations limites où le vécu se trouve ainsi stylisé par l'œuvre d'art.

Il enva de même dans les pièces de l'antiquité ; ce n'est pas parce qu'Œdipe tue son père et épouse sa mère, que l'on ale droit de dire de Sophocle qu'il est le partisan du crime et de l'inceste.

Ce qui est vrai de Sophocle, l'est autant deSartre, et on aimerait bien que certains censeurs s'en souviennent. Quand Oreste, dans Les mouches, a tué sa mère Clytemnestre pour venger son père Agamemnon, il peut alors, maisalors seulement, déclarer à sa sœur : « J'ai fait mon acte, Electre, et cet acte était bon.

Je le porterai sur mesépaules comme un passeur d'eau porte les voyageurs, je le ferai passer sur l'autre rive et j'en rendrai compte.

Etplus il sera lourd à porter, plus je me réjouirai, car ma liberté, c'est lui.

» La foule d'Argos crie alors vengeance etveut lapider le meurtrier de sa reine ; Oreste lui répond en assumant encore totalement son acte : « Vous meregardez, gens d'Argos, vous avez compris que mon crime est bien à moi ; je le revendique à la face du soleil, il estma raison de vivre et mon orgueil, vous ne pouvez ni me châtier, ni me plaindre, et c'est pourquoi il vous fait peur.

»A la différence de l'homme sérieux, Oreste sait maintenant que notre seule propriété ce sont nos actes, et qu'ilconvient, quels qu'ils soient, de les assumer ; plaider coupable est, à la limite, la seule manière d'être innocent, dese vouloir responsable et libre.

L'homme, ainsi, ne se définit plus par ce qu'il est à sa naissance, par ce qu'il a reçu,mais par ce qu'il fait. Dans L'âge de raison, Mathieu se plaint sans cesse d'être « libre pour rien » ; ce n'est qu'à la fin du troisième tomedes Chemins de la liberté qu'il découvrira par le meurtre, comme Oreste, le prix payé pour sa liberté.

En tuant sansavoir reçu d'ordre, librement, dans une guerre qu'il n'a pas choisie, Mathieu assume comme sien ce destin qui lui estimposé malgré lui.

Là encore, la destruction n'est pas à prendre au sens d'une glorification sartrienne du crime, maisà saisir comme un absolu symbolique ; en tuant ainsi, Mathieu est responsable d'un changement radical dans. »

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