En effet, nous ne sommes pas les vivants les plus forts
physiquement, mais par la pensée, nous possédons un pouvoir inaccessible à tout
autre vivant. « L'homme n'est qu'un roseau, mais un roseau pensant. Il ne faut
pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser : une vapeur, une goutte d'eau
suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore
plus noble que ce qui le tue, parce qu'il sait qu'il meurt ; et l'avantage que
l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien ». Il apparaît ainsi que notre
pensée est un avantage inestimable, qui nous confère une noblesse que tout autre
vivant ignore, en particulier par le fait que nous savons que nous mourrons.
C'est d'ailleurs cette pensée qui donne toute son importance à la vie. En la
sachant éphémère, nous pouvons d'autant plus apprécier les instants qu'elle nous
donne, d'une part, et utiliser cette pensée pour vivre au mieux d'autre part :
« Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. » L'apogée de
notre pensée consisterait alors à vivre en suivant entièrement ce que la pensée
nous apprend.
II/ LA PENSEE NOUS EMPECHE DE VIVRE.
Ce pouvoir de la pensée pourrait pourtant poser problème.
Pourquoi opposer radicalement ces deux termes, pensée et vie ? Remarquons d’emblée qu’il ne s’agit pas de « notre « vie, mais de la vie, qui, ici, n’est pas accompagnée d’un adjectif possessif. Précisément parce que la pensée, ici, se réfère à nous-mêmes alors que la vie, elle, concerne tout ce qui est vivant, et non pas simplement l’homme. Pourtant nous vivons, nous aussi. Nous pourrions même nous qualifier de « vivants pensants «. Notre pensée cherche à comprendre ce qui apparaît autour d’elle, à « cerner « ce qui nous entoure en le conceptualisant. Ainsi, en quoi une qualité qui nous serait spécifique pourrait-elle gêner, s’opposer ( obstacle signifie : « ce qui s’oppose « ) à ce qui nous anime ? De la même façon qu’un outil nous permet de faire davantage de choses, notre pensée serait plutôt la possibilité d’augmenter notre pouvoir, notre puissance. Elle semble donc un avantage plus qu’un inconvénient gênant. Néanmoins, n’est-il pas nuisible de chercher à enfermer entièrement la vie dans la pensée ? La vie semble plutôt réclamer de nous de l’action, et non de la compréhension. Ainsi, à trop vouloir comprendre la vie, il se pourrait que nous ne vivions plus. Or, la vie peut-elle être entièrement saisie par la pensée ? Nous devrions alors reconsidérer la vie comme ce qui serait à l’origine de notre pensée. Dans ce cas, il nous serait alors impossible de jamais la cerner entièrement.