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La prosopopée de la nature , texte tiré de De Rerum Natura de Lucrèce - commentaire deuxième version

Publié le 13/06/2011

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   Lucrèce, qui a vécu durant la première moitié du premier siècle avant J.-C., tient une place à part dans la littérature latine. En effet, il n'a rédigé qu'un seul ouvrage, le De Rerum Natura, poème didactique et scientifique composé de six livres. Lucrèce y réinterprète toutes les données de l'expérience humaine à la lumière de la philosophie épicurienne, en opposant une connaissance vraie de l'Univers et de ses lois à la doxa répandue et mensongère.  Le troisième livre de l'ouvrage est consacré aux hommes. Dans la philosophie épicurienne, matérialisme sans faille, l'âme humaine est matière, comme le corps, et elle est donc mortelle. Nul besoin alors de craindre la mort, celle-ci n'est qu'un long sommeil sans rêves, d'où sont exclus la souffrance et le regret. D'ailleurs, les disciples d'Epicure faisaient graver sur leurs tombes: Fui, Non Sum, Non Curo. Pourtant, quand un homme sent sa fin proche, il se révolte et ne peut se résoudre à quitter les plaisirs de la vie. C'est alors que Lucrèce fait intervenir la nature qu'il personnifie, et à qui il donne le don de la parole. Mais quelles sont les fonctions de cette prosopopée ?   

« (allusion au tonneau des Danaïdes, châtiment infernal qui condamna les cinquante filles de Danaos à rempliréternellement une jarre percée), c'est-à-dire l'image du vase sans fond qui laisse échapper le liquide à mesure qu'onle remplit.

C'est l'image de l'homme que les plaisirs traversent sans y laisser de trace, l'image du désir insatiable parantithèse de la tempérance, vertu romaine qui permettait d'accéder au bonheur.

Ainsi, la première leçon de laNature est qu'il faut recueillir les avantages de la vie avec constance, sans tomber dans l'excès, qui conduit autrouble.

Puis, à l'opposé de cette image de précipitation, de démesure, nous trouvons celle de la sérénité, de laquiétude.

L'être humain destiné à la mort est en effet comparé à un "conviva plenus vitae" au v.

938, qui adélicieusement profité du banquet qui lui était offert, puis qui se retire doucement, comblé, le corps et le coeurapaisés.

Cette métaphore est depuis devenue un topos littéraire, avec notamment le "conviva satur" d'Horace, ouplus tard la fable "La mort et le mourant" de La Fontaine ("Je voudrais qu'à cet âge / On sortît de la vie ainsi qued'un banquet").

Cependant, face à cette figure d'analogie qui donne du courage à l'être humain, nous retrouvonségalement une Nature intransigeante, impitoyable avec ceux qui se sont révélés inaptes au bonheur.

Invoquant eneffet la loi naturelle que nous avons vue, elle révèle à l'homme malheureux son terrible secret, à l'aide de l'épiphore(répétition d'un même groupe de mot en fin de vers) : "eadem surit omnia semper" (v.

945), "eadem tamen omniarestant" (v.

947).

La Nature ne peut rien inventer de nouveau.

C'est à l'homme de s'adapter à son milieu naturel.

LaNature s'adresse ainsi aux hommes sans faire aucune concession : elle l'exhorte à vivre sereinement et pleinementmais s'il ne le peut, il ne lui reste que la Mort. Ainsi, lorsque la Nature prend la parole, elle cherche à faire entendre raison à l'homme : elle est un éternelrecommencement, un cycle.

Si je ne te conviens pas ainsi, libre à, toi de mourir.

Si, au contraire ayant connu lesplaisirs, tu ne veux pas quitter la vie, regarde-toi en convive repus et accepte ton destin.

Cependant, cetteprosopopée, au-delà de la matière même du discours, sert également à révéler l'auteur, par la forme, les genres, lesregistres employés.

Lucrèce était-il un poète, un orateur doué ou un philosophe ? Sans doute un subtil mélange deces trois vocations. Tout d'abord, le De Rerum Natura est un ouvrage poétique, qui a donc sans conteste un enjeu esthétique etlittéraire.

Ceja, en effet, est revendiqué par son auteur lui-même.

Il souhaitait traducere en latin la pensée grecquede son maître : Épicure.

Cependant, Lucrèce se plaint de l'indigence de la langue latine, dont il blâme la pauvreté(egestas verborum).

Il va alors avoir recours au langage poétique, pour embellir son ceuv1-e didactique.

Ainsi, il used'hexamètres dactyliques, qui sont les vers destinés au genre noble de l'épopée et il va avoir recours à diversprocédés poétiques dans ce passage ; nous avons bien sûr déjà évoqué la figure principale de la prosopopée de laNature, ainsi que les deux métaphores filées du vase et du convive.

Mais nous trouvons également des figures destyle propres au genre poétique comme les parallélismes ("Si tibi non annis corpus jam marcet" v.

946 et "[Si] artusconfecti languent" v.

946-947) ou encore le caractère emphatique du discours de la Nature.

Celui-ci participe auparadoxe du passage : la Natura invective les hommes et parle sans cesse de mort, mais ce texte est en filigrane unhymne à la vie et à ses plaisirs, c'est pourquoi nous retrouvons le champ lexical de ce qui est agréable : "grata" (v.935), "commoda" (v.

937), "plenus vitae" (v.

938).

Ainsi, Lucrèce avait le souci de l'esthétique littéraire et ilsouhaitait conférer à ses mots une dimension poétique que l'on ne peut pas ne pas apprécier.

Néanmoins, la poésien'avait pas pour seule fin la beauté des vers chez Lucrèce.

Cela était également un choix tactique.

En effet, lapoésie selon lui, doit apporter la lumière et enrober de douceur l'amertume du sujet choisi, à savoir une penséephilosophique.

Pour l'auteur, la volonté d'enseigner une matière difficile justifie le recours à ce miel poétique. En outre, le caractère poétique de la prosopopée s'allie ici à un tout autre type : le discours oral rhétorique.

Toutd'abord, nous voyons, grâce à l'adverbe "denique" (v.

931), que notre passage est la péroraison, c'est-à-dire que laprosopopée de la Nature sert d'ultime partie au discours structuré de Lucrèce.

Et l'indignation que celle-ci manifesten'exclut pas de sa part un raisonnement rigoureux, bien au contraire.

Nous voyons ainsi se déployer un véritablediscours rhétorique, qui use de tous les procédés du genre.

En premier lieu, nous y trouvons des élémentsempruntés aux trois genres du discours rhétorique.

Tout d'abord, l'auteur fait intervenir le discours démonstratif (ouépidictique), par lequel on blâmait ou on louait une chose (ici donc, la critique virulente de l'attitude de l'homme faceà la mort).

En outre, il use également du discours délibératif.

En effet, bien que ce discours ne soit normalement liéqu'à l'enceinte politique (discours qui s'adresse à l'assemblée, au sénat, dans lequel on y conseille ou déconseille surtoutes les questions portant sur la vie de la cité ou de l'État), nous le retrouvons ici dans la mesure où à la fin durécit de la Nature, l'homme doit pouvoir prendre une décision (ce qui était toujours la finalité d'un discoursdélibératif).

Il choisira la vie tempérée et la mort paisible ou s'il ne peut surmonter ses peines, il ne surseoira pas à lamort et ira la chercher.

Enfin, nous trouvons dans ce texte des empreintes du discours judiciaire, grâce notammentà la métaphore filée du procès en fin de passage "Quid respondemus, nisi justam intendere litem / naturam, et veramverbis exponere causam ?" (v.

950-951).

En second lieu, nous pouvons voir que Lucrèce a incontestablement untalent d'orateur, puisque sous couvert d'arguments qui se veulent logiques, il use également d'arguments affectifs,qui doivent pousser l'homme à s'apitoyer sur lui-même et son comportement misérable.

C'est ainsi que la pléthore dequestions rhétoriques, l'utilisation du vocatif ou encore le ton pathétique ont pour objet la persuasion.

Cependant,ce talent d'orateur n'est pas employé ici à une fin gratuite, qui met uniquement en valeur l'art de manier les motscar Lucrèce est avant tout un philosophe.

Ainsi, son discours qui peut paraître rhétorique est en réalité un moyen,tout comme la poésie, pour transmettre la philosophie épicurienne, la fin ultime de tout l'ouvrage.

Ici donc, l'hommedoit prendre conscience qu'il s'inscrit dans un processus d'échange et que la dissociation des atomes qui leconstituaient vivant permettra à sa mort la formation de, nouveaux corps.

L'homme doit accepter de quitter la viesereinement, en toute quiétude, puisque la mort est condition même de la vie.. »

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