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La psychologie peut-elle se contenter de l'introspection ?

Publié le 22/06/2009

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La psychologie est une science jeune. Sans doute, il y a des dizaines de siècles que l'homme s'observe, et la connaissance tirée de ces observations nous a valu des ouvrages remplis de réflexions judicieuses comme les Caractères de La Bruyère ou de profondes suggestions comme les Pensées de Pascal; elle fait le tact délicat de l'homme du monde et le don de commandement du chef. Mais cette psychologie est un savoir-faire plus qu'un savoir. Elle résulte d'un long apprentissage de l'homme, que des leçons théoriques ne remplacent pas. Bref, jusqu'à l'époque contemporaine, la psychologie a présenté les caractères de la connaissance empirique; ce n'est qu'au XIXe siècle qu'elle arrive au stade de la connaissance expérimentale et se présente comme une science analogue à la physique ou à la chimie. Comme le physicien ou le chimiste, le psychologue observe les faits qui constituent l'objet de son étude — pour lui les faits psychiques ou faits de conscience — en vue de déterminer les lois qui les régissent. Mais, à la différence des autres savants qui doivent à l'expérience externe, c'est-à-dire aux données de leur sens et principalement de la vue, la connaissance des faits sur lesquels ils se fondent, le psychologue doit recourir avant tout à l'expérience interne, c'est-à-dire aux données de sa conscience, à l'introspection. Sans introspection, en effet, nous ne connaîtrions jamais le moindre fait psychique : le Penseur de Rodin ne nous donnerait pas la moindre idée de ce que peut être la réflexion, la vue d'une mère qui sanglote derrière un corbillard nous laisserait ignorant de ce que c'est que la douleur, tout comme les savantes études sont incapables d'apprendre à un aveugle de naissance l'impression produite sur les voyants par la couleur. On ne saurait donc songer à faire une psychologie sans introspection; l'introspection reste le point de départ indispensable, le fondement essentiel de la science psychologique. Mais on peut se demander si cette science peut se contenter de l'introspection et si le psychologue ne doit pas recourir à d'autres procédés.

« même.

De son moi, qui cependant lui est si familier, bien des retraites demeurent inexplorées, tant que l'observationdes autres ne l'a pas poussé à la découverte des terres inconnues. * * * A plus forte raison ne peut-on pas prétendre tirer de la simple observation de soi-même les lois générales del'activité humaine, objet propre de la psychologie.Supposé que l'introspection nous ait permis de déterminer les causes des phénomènes qui se passent en nous, nousaurons bien sans doute une certaine idée des lois de la psychologie de l'homme en général : étant de même nature,les autres doivent, dans les mêmes circonstances, se comporter d'une façon analogue.

Mais étendre rigoureusementà tous les hommes ce que l'on a observé en soi-même serait tout à fait illégitime.

Il est, entre les individus de mêmeespèce, des différences importantes, et la variété augmente avec la perfection de l'espèce.

Avec l'homme, elleatteint un degré que nous ne soupçonnons pas par manque de réflexion : songeons-nous que la plupart descontrats tirent leur valeur d'une signature, c'est-à-dire, en définitive, des diverses façons de former les mêmeslettres ? Les réactions dépendent donc de l'individu; c'est pourquoi, avec les inconnus, nous nous tenons sur laréserve, ne sachant pas comment nos avances seront reçues.Pour établir des lois valables pour l'homme, il faut donc observer Un grand nombre d'hommes, et, par conséquent, nepas se cantonner dans une étroite introspection de soi-même.L'observation des autres est encore plus nécessaire pour comprendre la mentalité d'individus d'une culture différentede la nôtre, à plus forte raison la mentalité d'individus formés dans un milieu de civilisation toute différente ou desprimitifs.

L'Esquimau et le Japonais, le serf du moyen âge et l'esclave de l'empire romain sont des hommes, tout aussibien que l'étudiant de la Sorbonne ou l'ouvrier des Usines Citroën.

Ce n'est pas l'introspection, inutile de le dire, quipermettra au lettré du XXe siècle de déterminer des lois valables pour les hommes de tous temps, de toute race etde toute culture.Il est enfin une espèce de lois intéressant tout particulièrement le psychologue et même le philosophe qui nepeuvent être découvertes si on ne sort pas de soi-même pour observer des êtres bien différents : ce sont les loisde l'évolution psychologique.Les questions d'origine préoccupent le philosophe, et le psychologue tâche de tirer la réponse de l'observation : d'oùviennent les sentiments altruistes et comment apparaissent-ils ? Quelle est l'origine du langage ? celle de l'idée deDieu ? Durant des siècles psychologues et philosophes ont discuté et ils discutent encore sur l'origine des idéesgénérales et des principes de la raison.

Pour répondre à ces questions, on ne saurait se contenter de l'introspection.Le psychologue qui s'observe remarquera bien en lui les idées ou les sentiments dont il cherche l'origine, mais il nesera guère renseigné sur cette origine même.

C'est tout enfant qu'il aurait dû suivre attentivement les premièresdémarches de son esprit encore vierge.

L'introspection étant impossible à cet âge, le psychologue en est réduit àobserver, de l'extérieur, les premières réactions de l'enfant, et à conjecturer, d'après les progrès de soncomportement, les progrès de son mode de penser.A toutes ces grandes questions d'origine, l'École sociologique française prétend avoir répondu d'un seul coup; lesfacultés et les fonctions humaines qui manquent à l'animal sont d'origine sociale.

Pour juger de la vérité de cettethéorie, on ne peut pas faire appel à l'introspection : le primitif sur lequel la société n'a pas encore laissé sonempreinte est incapable de s'observer intérieurement, comme de comprendre la question que se posent lespsychologues.

Pour discuter, en s'appuyant sur les faits, la théorie sociologique de l'origine des facultésspécifiquement humaines, le psychologue doit recourir à l'observation extérieure des primitifs. * * * Nous conclurons donc sans aucune hésitation que la psychologie ne peut pas se contenter de l'introspection.Mais faudra-t-il entendre par là qu'il n'y a pas d'étude sérieuse de la vie intérieure de l'homme sans laboratoire avecinstruments de précision, sans statistiques et calculs ? Que la connaissance de l'homme exige une documentationvariée prise auprès de peuplades de toute sorte et, par suite, une érudition universelle ?Nous n'en croyons rien.

Ce qui est nécessaire pour compléter l'introspection, c'est la connaissance des autres dansles relations ordinaires de la vie.

Sans doute, les mesures obtenues au moyen d'appareils de laboratoire peuventpermettre au psychologue d'apporter un peu plus de précision dans les lois qu'il énonce.

Elles ne l'amènent pas àcomprendre mieux le mécanisme de l'âme humaine, dont le secret n'est pénétré que par l'introspection; Par ailleurs,si la lecture des relations de voyageurs ayant vécu parmi des peuplades primitives nous éclairent, c'est avant touten nous faisant prendre conscience en nous de restes de la mentalité primitive; cette mentalité, en effet, — lesdisciples de Durkheim eux-mêmes le reconnaissent — subsiste au-dessous ou en marge de la mentalité civilisée etparfois prend le dessus sur elle.

Ici encore, l'observation extérieure se contente de nous ramener à nous-même,pour une introspection plus attentive ou plus profonde.En définitive, si le psychologue laisse quelquefois l'introspection, c'est pour préparer une introspection pluscomplète.. »

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