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La technique est-elle nécessairement libératrice ?

Publié le 22/02/2012

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technique
La technique est-elle nécessairement libératrice ? Par nature, la technique n'est-elle pas, avant tout, destinée à ne libérer que ceux dont elle épargne les efforts physiques ? Et pourtant, la technique n'a-t-elle pas montré sa capacité à affranchir tous les hommes d'un certain nombre de leurs limites physiques ? Cela dit, le développement récent de la technique ne fait-elle pas de celle-ci un instrument d'aliénation universelle plutôt que de libération universelle ? Nous allons donc approfondir l'idée que la tekhnè vise la production comme préoccupation dévolue à l'esclave, ce qui permet à l'homme prudent, c'est-à-dire libre, de se consacrer à l'action politique qui est le mode de vie authentiquement humain.
technique

« venir à l'existence ce qui a été délibéré par l'intelligenve.

Or, « de même que les arts [tekhnai] doiventrecourir à des instruments appropriés si l'on veut que la production soit menée à bonne fin, de même en est-il en cequiconcerne l'administration familiale [oïkonomia].

Les instruments sont soit inanimés, soit animés : pour le pilote, legouvernail est un instrument inanimé, alors que le timonier est un instrument animé, puisque l'exécutant dans lesdifférents métiers entre dans la catégorie de l'instrument »(Aristote, P o l itique, I, 1253b-1254a).

Donc, onpeut dire que l'utilisateur final de la technique (ce mot vient évidemment de tekhnè1), celui qui tientl'outil, est lui-même un instrument animé dans la mesure où la seule partie de son être qui importe,c'est sa main, par extension, ses bras, ses muscles (d'où l'expression très significative de "maind'oeuvre").

En tout cas la main, qu'elle soit biologique ou sociale (main-d'oeuvre), est toujours auservice d'une intelligence : « c'est parce qu'il est le plus intelligent des êtres que l'homme a des mains»(Aristote, Parties des Animaux, 687a) (D223).

Et, dès lors que la main et l'intelligencen'appartiennent pas au même homme mais découlent d'une division sociale des tâches, alors on peutdire que la main d'oeuvre (l'esclave) est l'instrument de l'homme prudent (phronimos) qui agit en luifixant les objectifs de production économique2, objectifs qui participent de la finalité générale del'existence humaine, à savoir bien vivre.

Il apparaît donc que, pour Aristote, la technique, c'est-àdirel'activité de production rendant possible la meilleure vie pour la Cité, ne peut être libératriceque pour les hommes prudents (phronimoï), c'est-à-dire les citoyens qui se voient, par là, libérés dusouci d'avoir à pourvoir à leur propre subsistance par le travail (D224).

En d'autres termes, latechnique n'est libératrice que pour ceux qui peuvent jouir du loisir (skholè) (D315).(E113) On pourrait croire que l'analyse d'Aristote est historiquement datée et ne vaut quepour le passé.

Or, fait remarquer Arendt, qui est une philosophe du XX° siècle, la technique, en tantque tekhnè, c'est-à-dire, comme nous l'avons vu, l'activité qui doit se doter d'instruments pourproduire et donc créer les conditions de la vie bonne, est une activité essentiellement asservissante(du latin servus, "l'esclave") en ce sens que la technique est indissociable du travail.

Et, pourArendt, le travail, contrairement à la parole, à l'oeuvre et à l'action, est l'activité dévolue à l'esclave(D122) : « l'esclavage [...] fut une tentative pour éliminer le travail, que les hommes partagent avec les animaux, delacondition humaine : ce que les hommes ont de commun avec les animaux, on ne le considérait pas comme humain» (Arendt, C ondition de l'Homme Mo d erne, i-iii).

Arendt va même jusqu'à remarquer que latechnique moderne est, en un sens, encore moins libératrice, encore plus asservissante que latechnique rudimentaire de nos ancêtres.

En effet, « l'outil le plus raffiné reste au service de la main qu'il nepeut ni guider ni remplacer.

La machine la plus primitive guide le travail corporel et, éventuellement, le remplace toutàfait.

[...] Ce n'est plus le mouvement du corps qui détermine le mouvement de l'instrument, ce sont les mouvementsdela machine qui règlent ceux du corps »(Arendt, Condition de l'Homme Moderne, iv).

Paradoxalement,l'esclave antique ou le serf médiéval était, en un sens, plus libre que le travailleur moderne dans lamesure où il avait la maîtrise de ses outils auxquels il communiquait le mouvement de son corpsconformément à une qualification, une compétence, bien déterminées.

Alors que le travailleurmoderne a, au contraire, tendance à être déqualifié dans la mesure où il est de moins en moinsnécessaire de maîtriser des machines de plus en plus souvent automatisées, et, de surcroît, c'est luiqui doit s'adapter au rythme de la machine pour répondre aux objectifs de productivité fixés par lepatron (cf.

le film les Temps Modernes avec C.

Chaplin).

Bref, pour Arendt, Aristote est tropoptimiste de penser que « si les navettes tissaient d'elles-mêmes et si les plectres jouaient tout seuls de la cithare,les patrons n'auraient pas besoin d'ouvriers ni les maîtres d'esclaves »(Aristote, P o l itique, I, 1253b-1254a) 1 Avant la fin du XVIII°, voire le début du XIX° siècle, le terme art, dans la langue française, a le sens que lui donneAristote, c'est-à-dire qu'ildésigne indistinctement n'importe quelle activité de production.

Ce n'est qu'à la suite de la première RévolutionIndustrielle qu'on vaprogressivement prendre l'habitude de nommer techniques les activités de production artisanale ou industrielle, etarts les activités de productionesthétique.

En effet, à la suite de la première Révolution Industrielle, on s'est rendu compte que, pour fabriquer desobjets artisanaux ouindustriels, il suffisait d'appliquer rigoureusement des règles de production, tandis que cela n'était plus vrai lorsqu'ils'agissait de créer des oeuvresd'art au sens esthétique.

On s'est donc rendu compte que l'art au sens esthétique, contrairement à l'art au sensartisanal ou industriel, n'avait quefaire des progrès concernant les règles de production, progrès qui ont caractérisé toutes les révolutionsindustrielles.

D'où la distinction entre,d'une part, la technique qui évolue vite et qui permet de produire toujours plus en un temps toujours moindre,d'autre part l'art qui évolue peu oupas (encore aujourd'hui, on considère que les meilleurs violons ont été construits par Stradivarius au ...

XVI° siècleet ...

à Crémone !), et qui,même après la Révolution Industrielle, continue à ne se préoccuper que de la qualité (le Beau) et non de la quantité(un seul exemplaire suffit).. »

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