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L'apparence est-elle mensonge ?

Publié le 11/01/2004

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mensonge
Ramenant Eurydice des enfers, Orphée la perd, de nouveau et définitivement, en se retournant et en la regardant malgré l'interdiction. Cocteau nous montre, à son tour, un Orphée conduisant Eurydice en voiture et ne pouvant résister au plaisir de la voir dans le rétroviseur. Le sens de ces mythes est, peut-être, qu'il faut se méfier des reflets qui nous donnent l'illusion de posséder l'objet reflété alors qu'ils n'en sont que l'image ou l'ombre. C'est ainsi que Platon nous met en garde contre l'art qui n'est qu'une copie de la réalité, une apparence trompeuse. Reste toutefois que, grâce à l'art, la copie demeure alors même que le modèle a disparu pour toujours.Mais si le prétendu modèle n'existe plus, n'est-ce pas parce qu'il était lui aussi la copie d'une réalité supérieure, éternelle, immuable ? C'est, en tous cas, ce qu'affirme Platon au livre VII de La République : le monde sensible n'est qu'apparence, ombre illusoire, comme en témoigne la fameuse allégorie de la caverne. L'homme qui prend ce monde sensible pour la vraie réalité est semblable à ces prisonniers qui, depuis toujours, sont enchaînés dans une demeure souterraine en forme de caverne. Ne pouvant changer de place, tournant à lamais le dos à l'orifice, ils n'ont devant leurs yeux que des ombres projetées sur la paroi qu'éclaire d'une clarté diffuse un feu lointain. Ces ombres sont celles d'objets artificiels que promènent, tantôt parlant et tantôt silencieux, des hommes qui vont et viennent le long d'un mur, élevé sur la pente entre le feu et l'entrée de la caverne.
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« Le dualisme de Platon est une réplique à l'affirmation d'Héraclite selon laquelle l'essence de la réalité est le devenir.

La première raisondes Idées, c'est d'échapper au devenir sensible et de constituer ainsi l'objet d'une connaissance possible.

Aristote, inspiré par la mêmevolonté d'échapper au relativisme d'Héraclite, pose la différence entre l'essence universelle et l'être singulier et affirme que lors de l'individuation de l'essencedans une réalité concrète, il y a comme une perte de la réalité.

Pour Aristote, le réel dont nous faisons l'expérience, même s'il n'est pascomme chez Platon la copie d'un autre monde, est un être moindre. Cette séparation entre l'être et l'apparence, la vraie réalité et la réalité inauthentique, se retrouve d'une certaine manière chez Kant quisépare la réalité nouménale (celle des choses en soi) de la réalité phénoménale (celle que nous connaissons théoriquement).

L'hommene peut jamais connaître qu'une réalité informée par les formes a priori de sa sensibilité (espace et temps) et les concepts a priori de sonentendement (catégorie de la causalité, par exemple).

Certes, chez Kant, l'apparence n'est plus l'ombre de l'Idée et du vrai, mais il y al'affirmation que le monde que nous connaissons est une vérité élaborée par l'esprit, donc en quelque sorte seconde par rapport à lavérité de la réalité nouménale.

La vraie réalité n'est pas celle que nous pouvons connaître. Il faut attendre Nietzsche pour que soient déjouées toutes ces philosophies qui se nourrissent de «l'illusion des arrière-mondes ».

L'opposition entre l'au-delà et l'en-deçà, l'affirmation que le réelsingulier est une déperdition, la croyance à « l'être-de-derrière-l'apparition », les grandes Idées,l'idéalisme - tout cela est fortement récusé par Nietzsche qui affirme que l'apparence, loin d'êtremensonge, est l'apparaître même de la vérité.

Il n'existe qu'un seul monde et ce monde a valeur etsens.

L'apparence et l'être (ou le vrai) sont indissociablement liés.

La vérité en sa profondeur semanifeste bien par son apparaître.

L'apparence appartient elle-même à la réalité, elle est une forme deson être.

Les oppositions métaphysiques entre l'apparence et le réel, le mensonge et la vérité, ne sontque le symptôme de notre impuissance originaire à supporter un monde qui serait pur chaos, devenircontradictoire, inconnaissable, informe et ineffable. L'affirmation des valeurs suppose d'abord un renversement des illusions aliénantes : il faut se libérerde l'illusion de l'au-delà, de l'illusion des « arrière-mondes ».

Derrière les actes il y aurait un sujet, unmoi : tel est le grand postulat de toute morale.

Mais est-ce réellement pensable ? « Exiger de la force qu'elle ne se manifeste pas comme telle, qu'elle ne soit pas une volonté deterrasser et d'assujettir, une soif d'ennemis, de résistance et de triomphes, c'est tout aussi insensé qued'exiger de la faiblesse qu'elle manifeste de la force.

Une quantité de force répond exactement à lamême quantité d'instinct, de volonté, d'action — bien plus, la résultante n'est autre chose que cetinstinct, cette volonté, cette action même, et il ne peut en paraître autrement que grâce aux séductionsdu langage (et des erreurs fondamentales de la raison qui s'y sont figées) qui tiennent tout effet pourconditionné par une cause efficiente, par un « sujet » et se méprennent en cela.

De même en effet que le peuple sépare la foudre de son éclat pour considérer l'éclair comme une action particulière, manifestation d'un sujet qui s'appelle lafoudre, de même la morale populaire sépare aussi la force des effets de la force, comme si, derrière l'homme fort, il y avait unsubstratum neutre qui serait libre de manifester la force ou non.

Mais il n'y a point de substratum de ce genre, il n'y a point d'« être »derrière l'acte, l'effet et le devenir; l'« acteur » n'a été qu'ajouté à l'acte — l'acte est tout.(...) Lorsque les opprimés, les écrasés, les asservis, sous l'empire de la ruse vindicative de l'impuissance, se mettent à dire : « Soyons lecontraire des méchants, c'est-à-dire bons ! Est bon quiconque ne fait violence à personne, quiconque n'offense, ni n'attaque, n'use pas dereprésailles et laisse à Dieu le soin de la vengeance (...) ».

Tout cela veut dire en somme, à l'écouter froidement et sans parti pris : «Nous, les faibles, nous sommes décidément faibles ; nous ferons donc bien de ne rien faire de ce pour quoi nous ne sommes pas assezforts.

» — Mais cette constatation amère (...) a pris les dehors pompeux de la vertu qui sait attendre, qui renonce et qui se tait, comme sila faiblesse même du faible — c'est-à-dire son essence, son activité, toute sa réalité unique, inévitable et indélébile — était unaccomplissement libre, quelque chose de volontairement choisi, un acte de mérite.

» L'exigence morale de renoncement n'est concevable qu'à une seule condition : que la force puisse exister sans se manifester.

Mais alorsexiste-t-elle encore? Peut-on réclamer une couleur incolore ou une musique silencieuse? On ne peut exiger de la faiblesse qu'ellemanifeste de la force, pourquoi faudrait-il supposer une force qui se manifeste sous les dehors de la faiblesse?Cette pseudo-exigence a recours à un argument simple : il est possible de supposer que la force peut être retenue si et seulement si elleest l'aptitude d'un être qui peut ou non l'utiliser.

Le modèle du sage asiatique passé maître dans un sport de combat peut voler ausecours d'une telle conception : sa douceur est le fruit d'une maîtrise ; il possède une force qu'il a la liberté de manifester à volonté.Toutes les morales se servent d'une manière ou d'une autre d'une référence de ce type : le sage stoïcien ou le martyre chrétien ont aumoins en commun de pouvoir ne pas céder à leurs penchants, de ne pas commettre tous les actes dont ils sont capables.

La forme mêmede l'interdit sur laquelle repose au moins une partie de toute morale suppose cette aptitude.Cette explication est renforcée et accréditée par le langage.

Il existe en effet des termes distincts : le langage courant dissocie l'effetvisible et la cause sous jacente, invisible, qui ne s'épuise pas dans l'effet.

Cette distinction correspond à la distinction entre l'action et lesujet de l'action qu'opère toute morale.

En réalité cela ne fait que repousser la difficulté.En effet, cette cause, libre de manifester la force qu'elle « possède », ne se voit jamais que dans ses manifestations; rien ne permet doncd'en affirmer l'existence indépendamment de ce qu'elle « prouve » : le sage n'est fort qu'en tant qu'il fait usage de la force ; s'il nemanifeste pas sa force, celle-ci n'est qu'un vain mot : une force qui n'a pas les caractères essentiels de la force n'est pas une force.

Lelangage, qui distingue l'effet et la cause, l'action et le sujet de l'action, nous fait croire à l'existence réelle de ce qu'il distingue...

mais rienne permet de justifier cette existence, bien au contraire.

C'est donc encore en vertu d'un présupposé de type métaphysique (qui visequelque chose au-delà (méta) de la nature (Physis) que l'on suppose qu'il y a un sujet derrière les actions.

Mais il n'y a pas un êtremystérieux caché derrière l'apparence : nous devons nous libérer des dualismes.

L'acte est tout comme l'apparence est tout : elle n'estjamais l'apparence « de » quelque chose qui resterait en partie caché.Les idées de sujet, de cause, de potentialité ne sont donc que des mots sans contenu.

Mais si elles ne se justifient pas par leursignification, il faut en chercher le fondement ailleurs : pourquoi a-t-on eu besoin de les concevoir?L'analyse ici change de statut : la question classique de la philosophie qui demande « qu'est-ce que...? » pour saisir la définition de l'idéevisée par le mot n'est plus possible.

Il faut se demander quels sont les intérêts qui ont conduit les hommes ou telle catégorie d'hommesà produire des mots de ce type.

En un mot, il faut faire la « Généalogie » des idées, retracer l'histoire de leur formation.Ici les choses sont simples : si l'on a inventé l'idée d'un sujet capable de ne pas utiliser une force qu'il possède, c'est pour faire croire quesa faiblesse est volontaire.

L'éloge moral de la douceur, de la justice, trouve son origine dans une ruse du plus faible qui appelle vertuson impuissance.

Sa seule force est en réalité de tromper par son maniement du langage.. »

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