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L'art : une perception étendue de BERGSON

Publié le 05/01/2020

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perception

Notre univers familier n'est pas, contrairement à notre certitude première, véritablement perçu. Nous le croyons sans mystère parce que nous en faisons usage, mais il revient à l'art de nous en donner l'image vraie, l'artiste ne nous donne pas accès à un double fictif de la réalité, mais à la réalité même, beaucoup plus étrangère à la conscience usuelle que nous ne le croyons spontanément.

 

À quoi vise l’art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l’esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d’âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous n’observions en nous, jusqu’à un certain point, ce qu’ils nous disent d’autrui. Au fur et à mesure qu’ils nous parlent, des nuances d’émotion et de pensée nous apparaissent, qui pouvaient être représentés en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle l’image photographique qui n’a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. Mais nulle part la fonction de l’artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la plus large place à l’imitation, je veux dire la peinture ; les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes. Un Corot, un Turner, pour ne citer que ceux-là, ont aperçu dans la nature bien des aspects que nous ne remarquions pas. - Dira-t-on qu’ils n’ont pas vu, mais créé, qu’ils nous ont livré des produits de leur imagination, que nous adoptons leurs inventions parce qu’elles nous plaisent, et que nous nous amusons simplement à regarder la nature à travers l’image que les grands peintres nous en ont tracée ? - C’est vrai dans une certaine mesure ; mais, s’il en était uniquement ainsi, pourquoi dirions-nous de certaines œuvres - celles des maîtres - qu’elles sont vraies ? Où serait la différence entre le grand art et la pure fantaisie ? Approfondissons ce que nous éprouvons devant un Turner ou un Corot : nous trouverons que si nous les acceptons et les admirons, c’est que nous avions déjà perçu quelque chose de ce qu’ils nous montrent. Mais nous avions perçu sans apercevoir. C’était, pour nous, une vision brillante et évanouissante, perdue dans la foule de ces visions également brillantes, également évanouissantes, qui se recouvrent dans notre expérience comme des dissolving views et qui constituent par leur interférence réciproque, la vision pâle et décolorée que nous avons habituellement des choses. Le peintre l’a isolée ; il l’a si bien fixée sur la toile que, désormais, nous ne pourrons nous empêcher d’apercevoir dans la réalité ce qu’il y a vu lui-même.

 

Henri Bergson, Matière et Mémoire (1896), PUF, 1968, p. 148 sq.

perception

« les grands peintres nous en ont tracée? -C'est vrai dans une cer­ taine mesure; mais, s'il en était uniquement ainsi, pourquoi dirions­ nous de certaines œuvres -celles des maîtres -qu'elles sont vraies? Où serait la différence entre le grand art et la pure fantaisie? Approfondissons ce que nous éprouvons devant un Turner ou un Corot : nous trouverons que si nous les acceptons et les admirons, c'est que nous avions déjà perçu quelque chose de ce qu'ils nous montrent.

Mais nous avions perçu sans apercevoir.

C'était, pour nous, une vision brillante et évanouissante, perdue dans la foule de ces visions également brillantes, également évanouissantes, qui se recouvrent dans notre expérience comme des dissolving views et qui constituent par leur interférence réciproque, la vision pâle et décolorée que nous avons habituellement des choses.

Le peintre 1' a isolée ; il l'a si bien fixée sur la toile que, désormais, nous ne pourrons nous empêcher d'apercevoir dans la réalité ce qu'il y a vu lui-même.

Henri BERGSON, Matière et Mémoire (1896), PUF, 1968, p.

148 sq.

POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE La conscience n'est pas un simple miroir où se déposerait le reflet de la réalité.

Elle comporte des degrés, et la plupart du temps, nous demeurons à la surface des choses.

C'est­ à-dire, comme le précise la fin du texte, que notre perception et notre sensibilité en restent à une sorte d'image moyenne de la réalité, un équivalent «pâle>> des notions abstraites que nous utilisons pour la décrire, la penser : un arbre perçu n'est qu'un exemplaire d'arbre auquel nous ne prêtons pas attention.

C'est ainsi que ce qui est représenté est en réalité beau­ coup plus vaste que ce que le langage peut décrire et que ce que la raison, qui distingue et sépare les choses, peut identifier de la réalité.

Notre conscience englobe en tait la totalité de l'instant vécu, avec son cortège d'émotions et de sentiments; simplement, son contenu demeure à !' arrîère­ plan du psychisme, nous ne pourrions pas définir ce que nous percevons.

L'artiste a le pouvoir de nous le révéler, et contempler une œuvre.

c'est, par l'intermédiaire du talent d'autrui, déployer notre propre sensibilité au monde.. »

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