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L'artiste se moque-t-il du monde ?

Publié le 25/06/2009

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Un artiste est un individu qui pratique cette activité singulière qu’est l’art. Jusqu’au dix-huitième siècle, le terme « art « désignait l’ensemble des techniques de production d’artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau. Aujourd’hui, par art nous entendons plutôt une activité créatrice gratuite, mais sérieuse, qui représente dans des œuvres un état de la sensibilité et de la pensée d’une époque, en s’opposant à la fois à la disgrâce qui frappe les activités techniques utilitaires, jugées serviles, et à la futilité des activités ludiques vouées au divertissement. Ni labeur, ni distraction, l’œuvre d’art incarne et suggère un sentiment de la vie.

Le verbe « se moquer « désigne l’action de celui qui se rapporte à autrui ou à lui-même pour susciter le rire. Lorsque je me moque de quelqu’un, j’énonce une critique sur cette personne de sorte à faire rire. Allant un peu plus loin, se moquer signifie également provoquer l’objet de la moquerie, avoir un rapport insultant avec lui : on sait d’ailleurs que souvent la moquerie appelle une réponse violente, l’offensé cherchant à obtenir réparation de l’offenseur, notamment par la pratique du duel lorsque celle-ci existait encore. Mais dans un sens quelque peu différent, et néanmoins complémentaire, nous pouvons dire que lorsque quelqu’un se moque d’autrui ou de quelque chose, cela signifie qu’il ne s’en soucie pas, qu’il ne lui accorde aucun intérêt. « Se moquer « signifie donc deux choses : énoncer une critique qui tourne à la provocation ; manifester une indifférence souveraine pour quelque chose ou quelqu’un.

Lorsque nous parlons du monde dans un sens général, comme objet de connaissance, nous pouvons entendre ce terme comme le réceptacle d’une très vaste extension d’êtres et d’objets. En effet, en parlant du monde en ces termes, nous parlons à la fois de toute la sphère des choses dont les hommes peuvent avoir une expérience sensible, mais aussi des relations que ces derniers ont entre eux (pensons par exemple à l’expression : « le monde social «).

En posant la question « l’artiste se moque-t-il du monde ? « nous pouvons penser à première vue qu’elle est surprenante, sinon nulle et non avenue. En effet, comment l’artiste pourrait-il se moquer du monde, alors qu’il semble que sa tâche propre, sinon son ambition la plus grandiose, soit de produire des artefacts qui l’imitent et le reproduisent le plus exactement possible ? Mais l’artiste ne se moque-t-il pas du monde, dans la mesure où il manifeste son indépendance vis-à-vis du modèle qu’il est censé lui fournir ? Et l’artiste ne se moquerait-il pas du monde en s’en faisant le rival et en distinguant dans la création des motifs de rébellion ?

La question au centre de notre réflexion sera de déterminer si l’artiste se rapporte au monde comme à un modèle à imiter ou à dépasser par la critique et l’instauration d’une rivalité.

 

« créer.

Il se peut par exemple que l'artiste s'empare d'un sujet qui provient d'une expérience que lui-même n'a pasfaite, mais qu'autrui a connue : c'est notamment la démarche de Truman Capote dans De sang froid , qui s'empare d'une histoire réelle, d'un fait divers contemporain.

Mais un artiste peut également se servir de ses propresexpériences, de son rapport au monde pour en faire le point de départ de sa démarche artistique : tel est parexemple le cas de Sade.

Sade a bien réemployé ses souvenirs relatifs aux lieux et aux personnes pour écrire son Histoire de Juliette .

Encore faut-il préciser que parmi les personnages réels qui intègrent l'espace fictionnel du roman, certains sont des personnages historiques, d'autres des individus dont l'Histoire n'a rien retenu, mais quifurent les amis du marquis en cavale.

Dans le cas des premiers, deux exemples peuvent nous retenir : celui ducardinal de Bernis et celui du Pape Pie VI.

Nous savons que Sade les a effectivement rencontrés grâce à diverstémoignages.

Nous dirons donc qu'il est erroné d'affirmer que l'artiste se moque du monde, puisqu'il est au contraireparfaitement dépendant de celui-ci pour obtenir un matériau qu'il travaillera dans ses œuvres. II.

L'artiste se moque du monde en ne se souciant pas de lui L'artiste embellit la nature en proposant une nouvelle manière de la regarder a. Néanmoins, nous ne pouvons en rester à cette thèse.

En effet, l'artiste n'est pas inféodé au monde comme noustendions à le montrer dans la précédente partie de notre réflexion, puisqu'il tend au contraire à s'en séparer, àl'embellir plus qu'à l'imiter.

En effet, alors que la nature n'est que rarement un objet de contemplation pour leshommes, qui se contentent de la traverser ou d'entretenir un rapport pratique avec elle, les artistes nousapprennent par leurs œuvres à la considérer, d'une part, mais aussi a la considérer chargée de significationsnouvelles.

Telle est la thèse de Marcel Proust dans cet extrait de « A la recherche du temps Perdu » : « Et voici que le monde (qui n'a pas été crée une fois, mais aussi souvent qu'un artiste original est survenu) nousapparait entièrement différent de l'ancien, mais parfaitement clair Des femmes passent dans la rue, différentes decelles d'autrefois, puisque ce sont des Renoir, ces Renoir ou nous nous refusions jadis à voir des femmes ».

Marcel Proust, Le côté de Guermantes . Les artistes transfigurent le monde en nous permettant de le voir différemment, en nous apprenant à le considérernon avec les yeux de l'habitude, mais avec ceux qu'ils ont posés sur elle.

Nous dirons donc que l'artiste se moque dumonde, puisqu'il se soucie moins de représenter ce qui existe que de l'embellir en le modifiant. b.

L'artiste se moque du monde en refusant d'inféoder son œuvre au modèle du monde Mais c'est en un autre sens que l'artiste se moque du monde, c'est-à-dire ne s'en préoccupe pas et ne le regardequ'avec indifférence : car il manifeste vis-à-vis du monde une liberté souveraine.

« Je sens vivement combien, peu sensible que je suis à l'observation des « unités » de toute sorte dans une œuvred'art, je le reste fondamentalement à son unité élémentaire.

Toutes les disparates dans la nature du matériaud'une œuvre me heurtent, et cela va au point que dans un ouvrage de fiction, il ne m'est pas possible de laissersubsister un seul nom de lieu réel.

Je m'autorise ici au moins d'une préoccupation analogue dans la Chartreuse, oùla ville fort authentique de Parme se trouve déréalisée subtilement par l'implantation de la tour Farnèse.

Il ne s'agitpas d'un petit jeu, visant à piquer ou à dérouter le lecteur, il y va de l'honneur romanesque même, qui est de fairele lecteur être à mesure tout ce qui est dit, mais dans l'anéantissement concomitant de toute réalité deréférence »[1]. Ce texte de Julien Gracq exprime fort bien l'idée suivante : l'artiste est fondamentalement libre vis-à-vis du même, illui appartient même, c'est en cela que son honneur consiste, de manifester sa liberté souveraine, hautaine, vis-à-vis du monde.

De même que Stendhal désolidarise son œuvre de la réalité référentielle, tout artiste doit se moquerdu monde pour faire preuve d'une liberté sans laquelle il n'y a pas d'œuvre de prix.

III. L'artiste se moque du monde en s'en faisant le rival L'artiste rivalise avec le monde en créant un univers parallèle obéissant à ses lois propres a. Cependant, comme nous l'avons vu en introduction, il existe un autre sens à l'expression « se moquer ».

Elle signifieexprimer de l'indifférence, comme nous venons de le montrer, mais aussi émettre une critique qui est en même. »

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